Marco PannellaMarco PANNELLA, Italie. Parlementaire européen. Il est l'un des fondateur du Parti radical et le principal artisan de son récent processus de transnationalisation. Engagé depuis le début des années '70 en faveur de la légalisation du haschisch et de la marijuana, il se rend à la justice fumant publiquement une cigarette de marijuana au cours d'une conférence de presse, cela afin de dénoncer l'absurdité d'une loi qui contraignait à la prison des centaines de jeunes. L'initiative a un effet positif puisque peu de temps après, une nouvelle loi abolit les poursuites pour ceux qui font un usage exclusivement personnel de substances prohibées. Ensuite, dès 1984 et principalement à partir de 1987, Pannella mène une campagne de presse contre le prohibitionnisme des drogues et pour leur réglementation afin de couper l'herbe sous le pied de la criminalité organisée et réduire ainsi les actes de violence dont sont victimes chaque année des centaines de milliers de personnes.
SOMMAIRE: Règlementation ou dépénalisation de drogues ? La nécessité d'une ligue internationale antiprohibitionniste.
("Les coùts du prohibitionnisme", Actes du Colloque international sur l'antiprohibitionnisme en matiére de drogues, Bruxelles, 29 septembre - 1 octobre 1988; Ed. PSYCHOTROPES, volume V, numéros 1 et 2, 1989).
Monsieur le Président, je crois qu'il est clair pour nous tous qu'il n'est pas rituel de dire "maintenant, nous sommes sur le point de nous quitter, ce n'est pas un adieu mais un au revoir". Nous avons entamé un dialogue, nous sommes tous un peu ou beaucoup plus riches en intelligence des choses et en intelligence de nos limites. Notre moralité est maintenant celle qui consiste à travailler en terme de lois, c'est-à-dire, en terme d'opportunité.
Aucun législateur parmi nous ne pense que les lois ont une valeur absolue. Nous pensons au contraire que nous devons toujours avoir les lois les meilleures possible et que nous devons pour cela avoir le courage, le cas échéant, de les modifier.
Je crois que la réflexion que nous avons entamée ici est déjà opérative: fiscalisation plus importante ou moins importante, dépénalisation ou non - et ici, que le Procureur Apap me permette d'ouvrir une parenthèse: il convient désormais de faire de toute urgence un choix sémantique, car si nous menons une bataille, nous devons aussi choisir les mots qui lui sont les plus adaptés, avec cette part d'arbitraire et de volonté qu'il y a dans chaque choix sémantique. La lutte des mots est aussi une lutte sérieuse.
Lorsque nous avons mené d'autres batailles contre d'autres prohibitionnismes, par exemple celle pour résoudre le problème de l'avortement clandestin, qui constituait un véritable fléau dans notre société, nous avons certes utilisé aussi le mot dépénalisation mais il ne fait pas de doute que la dépénalisation pure et simple pouvait signifier autoriser les structures publiques à pratiquer un avortement dans n'importe quel cas, même au neuvième mois et pour n'importe quel motif. La dépénalisation pure et simple pourrait être celle-là.
Certes, non pas l'idéal ou l'utopie mais la thèse selon laquelle il pourrait peut-être exister une ville au monde, où tout le monde serait parfait et où la loi serait superflue, chacun d'entre nous peut la garder dans un coin de son esprit. Je ne sais pas si c'est un rève ou un cauchemar, encore que pour moi, ce serait plutôt un cauchemar.
Ce qui est vrai par contre, c'est que nous voulons en revenir à l'intérieur des mots et de la loi prise dans son sens biblique, évangélique, son sens juridique, dans la cité, la polis, pour avoir des lois humaines, des lois qui garantissent la responsabilité, et donc la liberté de chacun.
Voilà pourquoi, en ce qui me concerne, je préfère dire "antiprohibitionnisme" pour ce que ce mot signifie dans l'imaginaire collectif de nos peuples, de notre temps. Le cinéma, et ensuite, la télévision ont fait en sorte qu'une grande partie des cinq milliards d'habitants de la terre connaissent les événements de Chicago et l'histoire d'Al Capone, et qu'ils ont entendu raconter que les mafia naissaient souvent à partir de logiques d'auto-défense réelle dans un contexte culturel pervers.
Eh bien, c'est grâce à cela que l'antiprohibitionnisme parle à toutes les catégories d'européens et d'américains: ces films nous rappellent la violence, la corruption de la vie politique. Il est important que dans les mots, réside un encouragement de l'imaginaire et de l'histoire collective des gens.
Voilà pourquoi nous privilégions le mot "antiprohibitionnisme", c'est un concept que j'ai toujours essayé dans mon existence d'élargir à un comportement envers l'Etat, envers le droit et envers le crime. Madame Bertrand nous a affirmé ici comme principe juridique, de "de jure condendo" l'illégitimité de la poursuite pénale dans les cas de délits sans victime. Au moment où elle nous repropose, dans toute sa force, ce vieux principe que je ressens avec beaucoup d'émotion intellectuelle je dis que nous voulons être simplement des personnes qui ne croient pas, comme un certain type d'anarchistes, que la loi est toujours mauvaise et que les gens à l'état sauvage sont bons comme le prétend un certain rousseauisme.
Nous appartenons à une école différente, à une espérance elle aussi libertaire, mais dans un sens différent. Et si dans l'état "de nature", règne la jungle, alors je prétends que la loi du tallion, qui est infame, est meilleure que la loi de la jungle parce qu'elle commence à être une loi écrite.
Je suis considéré comme un homme ancré très à gauche, je ne sais pas ce que cela signifie, mais je suis infiniment reconnaissant à l'honnêteté intellectuelle et à la simplicité de Milton Friedman, qui nous a proposé il y a six ans cette expression: "la tyranie du statu quo". Il y a aujourd'hui des membres du Patriarche qui viennent nous reprocher les morts par drogue. Ils ont été envoyés pour nous dire qu'il y a des enfants de huit ou neuf ans qui meurent de la drogue. C'est la même chose qui se passait, en Italie quand, indignés par le fléau de l'avortement candestin de masse dont plus personne, pas même sans doute l'Eglise n'avait le courage de parler, nous avons posé le problème de sa réglementation. Nous avons été accusés alors, nous, d'être les responsables du massacre des innocents qui s'était perpétré durant les décennies précédentes. C'est un mécanisme de psychologie de masse que nous comprenons.
On institue aujourd'hui un haut commissaire anti-mafia à Palerme. Quand on sait ce que représente la mafia en Sicile, on constate que ce n'est pas un hasard que l'on donne la charge de haut-commissaire anti-drogue à un magistrat qui pendant trente ans a été au coeur de la protection des délits politiques et de l'Etat, et qui n'a jamais dérangé un seul puissant dans notre pays.
Ainsi, quand mardi prochain, je serai appelé à voter sur cela au Parlement, je devrai dire à contre courant que le fait d'attribuer les pleins pouvoirs à quelqu'un dans le cadre de la lutte anti-mafia signifie encore une fois, simplement qu'en plus des personnes, c'est le droit qui meurt.
Ceux qui ne croient pas au droit cueillent toujours ces occasions au vol, parce qu'ils pensent qu'il faut toujours trouver des réponses d'exception, mais ceux-là même ne lèvent jamais les drapeaux de la loi devant la violence d'Etat, devant les autres violences qu'eux-mêmes produisent.
Je me dois dans cette conclusion de vous dire pourquoi je vous suis reconnaissant. Je vous prie donc de me permettre de m'écarter du sujet en formulant certaines observations personnelles. Il me semble que si nous avons atteint quelque chose, c'est la conviction de la nécessité d'une ligue internationale antiprohibitionniste, il faut que nous tentions de la constituer, il faut aujourd'hui nous rendre compte que nous vivons un même idéal de convivialité civile et de reconstruction de la valeur du droit et des droits, contre le massacre des lois, le masssacre du droit qui est justement le résultat du divorce entre science et pouvoir.
Ainsi par exemple, la science nous avertit depuis des années qu'il y a une diminution de la couche d'ozone dans la biosphère. Nous le savions tous, et je lis maintenant que Monsieur Reagan nous propose déjà les lunettes de soleil pour nous protéger contre le risque de mélanome. Comme pour la drogue, le pouvoir n'est pas seulement nu, il est devenu fou.
Nous nous retrouvons donc face à cette condamnation. La condamnation d'un savoir qui est certain même s'il est humble et même s'il ne peut servir d'alibi à personne d'entre nous. Je crois en effet qu'il ne sert à rien et à personne de se contenter de garder son savoir.
Grâce au résultat de vos années de travail, vous m'avez donné plus de connaissance et plus de conscience. D'un certain point de vue, je n'aurais pas envie de vous remercier parce que plus de science et plus de conscience signifie la condamnation à faire plus et mieux et à le faire avec plus d'urgence, mais j'ai eu d'autres condamnations dont j'ai été moins fier. Je vous remercie de nous avoir honorés, et vous prie vraiment de croire que c'est grâce à l'honneur que l'humanité a d'avoir des gens comme vous que ce parti existe. Merci.