("Amai Nap" - mars 1989)Zoltan Lovas: Pouvez-vous nous raconter la naissance et le développement de l'idée radicale?
Marco Pannella: Non. L'"idée radicale", s'il y en avait une, serait une idéologie, un système clos. Et elle serait mauvaise comme toute autre "idéologie", ou "théologie" qui concernent le gouvernement de notre temps, de notre société. Nous avons plusieurs idées et non pas une seule. Des objectifs raisonnables à réaliser, même si le pouvoir en place estime chaque fois qu'il s'agit d'une "folie".
Ce qui nous unit, en tant que membres du Parti, et ce qui caractérise le Parti, ce ne sont même pas ces idées-là. Elles peuvent changer. Ce qui était valable en 1980 ne le sera plus nécessairement en 1990. En général ceux qui s'opposent à nos luttes, finissent par le faire au nom de ce qu'ils refusaient dix ans auparavant, pour continuer à se refuser à ce qui est nécessaire, à la Réforme, qui est condition de continuité et condition de l'éclosion de nouvelles branches et de nouvelles fleurs sur le tronc des traditions et des cultures existantes et qui prévalent.
Ce qui nous unit c'est plutôt une règle, un ensemble de règles. La procédure, le "comment" sont plus importants que les "quoi" et les "pourquoi". Les "moyens" conditionnent et en quelque sorte préfigurent et déterminent les fins. La démocratie politique, à bien voir, est surtout une procédure, une technologie, pour construire dans la liberté, dans la responsabilité, dans la dialectique, avec leur lenteur apparemment insupportable ce que dans les choix de parti unique, de dictature du prolétariat ou autre, on estime pouvoir bâtir rapidement et définitivement...
C'est donc une nouvelle façon de concevoir un parti, c'est la seule nouvelle proposition de parti qui s'ancre dans la réalité en Europe et peut-être dans le monde, depuis quelques années. Cette conception et cette pratique de parti et d'idée se présente donc comme une réforme radicale et possible qui est expérimentée non seulement face aux partis uniques, aux partis des dictatures, mais aussi face aux partis para-étatiques, bureaucratiques et nationaux, qui sont identiques à ceux que vous avez connus avant la dictature du prolétariat et que vous êtes sur le point de redécouvrir. Toutes ces formes de partis sont d'ores et déjà battues par les nouvelles exigences du monde.
Z.L.: Quelle est la force numérique du Parti Radical aujourd'hui? Pas tant sa force numérique que son poids politique?
M.P.: Elle a été en 1988, d'environ 6.000 inscrits, dont 5.000 italiens, deux cent cinquante Yougoslaves, surtout des Slovènes, une centaine de Belges, d'Espagnols, de Portugais (une soixantaine de Français et de Polonais). Les quelques autres proviennent de nombreux pays, de l'URSS au Burkina Faso, du Brésil à la Turquie en passant par Israël. Mais plus de la moitié de notre Conseil Fédéral est composé de non-italiens et nous avons, par exemple, parmi nos Premiers Secrétaires Adjoints, Basile Guissou, un ancien Ministre des Affaires Etrangères d'un pays du Sahel, le Burkina Faso.
Mais justement ce qui me paraît important c'est que notre Parti, transnational et transparti, nonviolent gandhien et libertaire, a réussi à réunir sur ces objectifs très importants, la majorité absolue des membres du Parlement européen, du Parlement italien. Il a réussi à gagner ou à perdre des référendums avec des millions et des millions de personnes qui se sont prononcées en faveur de leurs objectifs ... Ainsi, par exemple, dans l'Italie cléricale (ce qui ne veut pas dire religieuse, loin de là), c'est à nous que revient, aux dires de nos adversaires eux-mêmes, le mérite d'avoir instauré la possibilité de divorcer, d'avorter non clandestinement, de pratiquer l'objection de conscience contre le service militaire, le mérite également des initiatives radicales en défense de l'Etat de droit contre les conceptions non seulement fascistes ou staliniennes mais aussi corporatistes, militaristes, nationalistes des Etats...
Nous sommes à l'origine de lois, et pas seulement d'idées, qui sont souvent reprises aujourd'hui par les tenants du pouvoir qui alors, les avaient combattues...
Z.L.: Est-ce une force poursuivie, tolérée ou marginalisée? Et dans quelle mesure?
M.P.: C'est une force légalement et totalement libre. En réalité on utilise souvent contre nous la forme de négation la plus dure, celle qui est en train de devenir, selon Mac Luhan dans "le village global", commune au monde entier et qui consiste à "tirer la prise", "couper le courant", à empêcher les gens de connaître nos propositions. Vous savez, la démocratie réelle, se situe de plus en plus dans le même rapport aux utopies généreuses de certains de ses ancêtres que le "communisme réel" avec les siennes ! Les classes dominantes, économiques, industrielles, militaires, bureaucratiques, politiques et institutionnelles veulent bien, et de plus en plus, être au courant de nos objectifs et recevoir nos conseils. Leur respect est très grand, mais leur peur que les gens puissent les connaître et les choisir est plus grande encore. Nous avons besoin dans le monde de réformes véritables, radicales, soit à partir du communisme réel, soit à partir de la démocratie réelle, si nous voulons défendre la planète, l'huma
nité, la personne et les citoyens, le droit à la vie et la vie du Droit face aux nouveaux problèmes de notre temps.
Nous croyons désormais que si les règles de la démocratie, du Droit et de la liberté doivent être instaurées partout et qu'elles doivent constituer une prémisse incontournable, partout et pour tout le monde, il faut que l'on comprenne bien que les clivages traversent les camps. En Hongrie, en Russie, aussi bien qu'aux USA, en Afrique du Sud ou qu'en Europe Occidentale, il faut que naissent de nouvelles unités, soudées par leurs méthodes et dans leurs objectifs. De nouvelles entités qui unissent sur des points précis, clairs et nets les tenants d'hier et d'aujourd'hui, tant du "communisme réel" que de la "démocratie réelle".
Si le communisme réel est responsable de crimes encore plus graves que ceux commis par les nazis, (au Cambodge par exemple), l'Occident a déterminé, plus encore que l'Orient, l'extermination par la faim et la misère de quarante millions de personnes chaque année, et la dégradation de la biosphère, de l'atmosphère, des mers et des eaux, des villes dans le monde entier ...
Z.L.: Quels sont les objectifs du P.R. en Europe de l'Est ?
M.P.: C'est notre Congrès qui le décidera. Si notre parti transnational et transparti est rapidement choisi comme valeur ajoutée et immédiate par tous ceux qui travaillent aujourd'hui de bonne foi à la réforme de cette société et du monde, de la politique et du pouvoir.
Mais nous sommes, individuellement, tous unis aussi parce que nous sommes les "extrémistes" de l'Etat de Droit et de la démocratie politique, surtout de la démocratie "classique", autrement dit anglo-saxone et non pas de la démocratie continentale européenne, à l'origine, elle, de tous les maux de notre siècle.
Je pense que nous sommes, presque tous, convaincus qu'il s'agit de pousser à ce que la nouveauté ne soit pas une restauration de ce qui a eu la faiblesse historique de faire gagner le pouvoir de la violence et du non-droit dans le coeur de trop de gens honnêtes ou une restauration de ce qui leur a donné l'illusion qu'il y avait d'autres chemins à parcourir hors des principes et des servitudes de la démocratie classique, de la liberté, de la tolérance.
Je suis personnellement très préoccupé par le fait compréhensible que, dans ces printemps qui fleurissent à l'Est, et donc dans nos coeurs et dans nos vies, l'on puisse sous-estimer combien il est nécessaire de bâtir une saison de réformes valables partout, à l'Ouest également.
Z.L.: Quels sont les objectifs du P.R. en Hongrie?
M.P.: Que les hongrois puissent nous connaître, nous juger, être parmi nous, nous choisir ou nous repousser, connaître nos idées et notre besoin absolu et immédiat d'eux, de leur soutien. Nous souhaitons que notre Congrès puisse se tenir ici, comme preuve d'amitié et de confiance. C'est dans les jours qui viennent que cette possibilité doit être saisie ou abandonnée...
J'ajoute que nous sommes nombreux à estimer qu'il faut pousser la Communauté européenne, les Etats-Unis d'Europe, à inviter la Hongrie à en être, au plus tôt, presque dans l'immédiat, membre à part entière ... Je dis bien qu'il faut pousser la CEE et non le gouvernement hongrois : c'est là-bas que nous sommes présents avec suffisement de force pour pouvoir le faire.
Z.L.: Pouvez-vous nous parler un peu du caractère transnational du P.R.?
M.P.: Cela me paraît clair, simple. L'"oeuf de Colomb" en somme. Tout ce qui nous menace aujourd'hui, et tout ce qui nous tient à coeur, peut être défendu, battu, réalisé et exorcisé, seulement à partir d'une dimension transnationale, supranationale et fédérale, du pouvoir et des pouvoirs.
La pollution, l'"effet-serre", la défense du Danube ou du Rhin, le problème de la transformation technologique du monde, de la production et même de la consommation, la défense du travail, du pouvoir d'achat réel, la qualité de la vie, ou bien deviennent le fait de pouvoirs non-nationaux, à la dimension des grandes régions du monde et de leur coordination planétaire, ou bien dans les vingt prochaines années nous assisterons à l'émergence d'une nouvelle candidature dictatoriale pour "sauver le monde". Nous assisterons au sacrifice des droits, de la démocratie, de la liberté et de l'auto-gouvernement démocratique des peuples et des Etats-Unis d'Europe, d'Eurafrique peut-être, ...
Il faut alors que nous nous organisions, que nous vivions, que nous luttions, que nous concevions le nouveau possible (au lieu de continuer à consommer le possible existant) en tant que "sujet politique", en tant que "parti" ... C'est d'une évidence et d'une urgence extrême. Le risque des évidences trop claires est qu'elles nous crèvent les yeux, ou ne nous les ferment ... ou favorisent le réflexe de l'autruche ...
Z.L. Vous avez voulu tenir votre congrès à Zagreb. Pourquoi a-t-il été interdit?
Un gouvernement moribond, de mauvais renseignements fournis par des fonctionnaires infidèles, le climat d'angoisse qui caractèrise aujourd'hui une grande partie de la classe dirigeante institutionnelle ont provoqué un réflexe qui a fait l'unanimité de la presse et de l'opinion yougoslave ... contre lui.