Sergio StanzaniII.
LES RAISONS DU CHOIX TRANSNATIONAL ET TRANSPARTITIQUE DU
PARTI RADICAL : UN PARI DIFFICILE POUR UN PARTI DE FORCE,
D'EXPERIENCE ET D'HISTOIRE PRESQUE ENTIEREMENT ITALIENNE.
SOMMAIRE: Dans le deuxième chapitre de la relation présentée par le Premier Secrétaire du Parti radical au Congrès de Budapest, Sergio Stanzani explique les raisons de la décision de transformer un parti qui est pour la plupart un parti italien en sujet politique transnational et il parle des difficultés rencontrées pendant le processus de réalisation de cet objectif.
(35e CONGRES DU PARTI RADICAL - 22-26 AVRIL 1989)
Au début de l'année 1988, le précédent Congrès du parti radical - le 34ème d'un parti qui avait eu jusqu'alors une histoire presque exclusivement italienne puisque, tout en étant ouvert à la participation de militants d'autres pays, et tout en ayant été protagoniste de luttes politiques concernant de grandes questions internationales, il avait eu un cadre et un territoire presque exclusivement italiens - nous avait confié la tâche de réaliser la plus radicale des refondations qu'une force politique ait jamais tenté : la transformation du parti radical en organisation politique transnationale.
Pour ce faire il a même inventé une nouvelle expression, presque inconnue dans le langage non seulement politique des différents pays : un terme qui désigne un parti et une politique capables de traverser les frontières, les institutions, et les partis nationaux. Ce terme allait s' opposer à celui d'usage courant, le terme "international" qui désignait, lui, les rapports entre Etats nationaux et en ce qui concerne les organisations politiques ( les internationales des partis), les rapports entre partis nationaux qui demeurent séparés entr'eux, chacun jaloux qu'il est de sa propre autonomie nationale et de sa propre souveraineté.
Ce choix a été déterminé par la dramatique conviction que les grands problèmes de notre époque sont désormais des problèmes planétaires qui traversent les frontières nationales et ne peuvent être affrontés, et par conséquent ne peuvent être gouvernés à travers les états Nationaux, leurs lois, leurs bilans, leurs pouvoirs. L'humanité a été surtout préoccupée ,depuis la fin de la seconde guerre mondiale, par le risque d'un nouveau conflit mondial qui, à cause des bombes nucléaires, pouvait être catastrophique pour la planète entière.
Mais le risque d'événements catastrophiques s'est considérablement accru, bien au-delà de l'hypothèse d'un conflit mondial généralisé. Ainsi, on a pu constater que, tandis que l'on avait réussi à éviter l'usage belliqueux des armes nucléaires et leur explosion, on n'a pu annuler le risque de catastrophes nucléaires qui peuvent provenir des centrales nucléaires utilisées pour la production d'énergie. Et très vite, les dommages provoqués par les technologies et les processus industriels dont on n'avait pas calculé l'impact sur l'écosystème, se sont multipliés.
Qu'il s'agisse du trou dans la couche de l'ozone ou de l'effet de serre, de la déforêtisation de la planète ou de la désertification de zones toujours plus vastes de territoires, de la pollution des océans et de l'air; qu'il s'agisse des droits humains refusés à une grande partie de l'humanité ou du droit à la vie refusé à des dizaines de millions de personnes qui meurent chaque année à cause de l'absence de nourriture et des maladies, et aux centaines de millions d'autres qui souffrent de faim et de misère; qu'il s'agisse de la formation tumultueuse des mégalopolis en Asie, en Afrique ou en Amérique latine ou de l'immigration croissante en Europe ou en Amérique du Nord de millions de personnes chassées de leurs pays d'origine toujours à cause de l'absence de nourriture , et de travail; qu'il s'agisse de guerres à rayon géographiquement limité, alimentées par l'exportation d'armes ultra-sophistiquées des pays industrialisés ou, dans les pays plus riches et plus développés, de la propagation de la dro
gue et de la criminalité, il est évident que le droit, la politique et les institutions actuelles sont impuissantes à dominer ces phénomènes, si bien que le monde entier semble assister, paralysé, à leur développement, qui peut déterminer des résultats catastrophiques pour l'humanité entière.
D'un côté, on peut assister à la diffusion - non seulement parmi les intellectuels mais aussi dans l'opinion publique - de la prise de conscience de ces problèmes, de leur entité, de leur rapide évolution, de leur danger; de l'autre ,on sait qu'il existe les connaissances et les moyens pour affronter ces problèmes et les gouverner dans l'intérêt de l'humanité, dans une époque qui a vu, en moins d'un siècle, s'accumuler des acquisitions scientifiques plus importantes que toutes celles jamais acquises au cours de toute l'histoire humaine.
C'est donc un problème de volonté politique, mais pas seulement . Parce que même si celle-ci se manifestait, elle se heurterait à la lenteur des procédures internationales ,à la fragmentation des pouvoirs nationaux, à la multitude des interlocuteurs, à la résistance des intérêts privés, qui peut mieux se cacher et agir en se servant de ces difficultés.
La politique entendue en tant que capacité d'affronter de manière efficace et créative les grands problèmes de notre époque, est par conséquent refusée. Il faut reconquérir le droit à la politique, aujourd'hui que la polis est le monde entier.
S'il n'y a pas la possibilité de réaliser le droit à la vie, c' est la vie même du droit qui est mise en question et menacée. Il convient donc d'affirmer un nouveau droit transnational et supra-national qui n'annule pas les nations mais qui les traverse et les dépasse.
C'est le défi que le parti radical a décidé de lancer: un défi apparemment impossible et disproportionné par rapport à ses forces; le défi de construire une force politique qui réunisse et organise les citoyens des différents pays qui entendent se battre ensemble, pour obtenir des objectifs communs et transformer les propres programmes en lois et en droit transnationaux.
Il existe en effet des mouvements culturels et sociaux diffus en Europe et en Amérique - par exemple celui des écologistes - qui dénoncent la dégénérescence de l'actuel système économique et industriel et ses conséquences et ses effets sur l'environnement. Mais il n'existe pas un sujet politique et un projet capables de se donner et de poursuivre des objectifs politiques transnationaux, capables de réparer les dégâts qui sont produits. Et les forces politiques qui sont les expressions de ces mouvements, privées de théorie et de pratique politique réellement alternatives, finissent par se conformer aux modèles politiques déjà existants et à agir et à se consumer dans les limites nationales et internationales.
Le parti radical a décidé par contre de se refondre en parti transnational, de créer une organisation politique commune à tous ceux qui entendent se battre, ensemble, partout où c'est nécessaire, en tant que démocrates et non-violents, pour l'affirmation de la démocratie et des droits humains, pour la solution des grands problèmes écologistes de notre temps, pour combattre l'extermination par la faim et le sous-développement dans le tiers-monde, pour combattre la drogue et la criminalité, en coupant à la base les énormes profits que le prohibitionnisme des drogues a assuré aux organisations criminelles.
Ce parti n'entend pas être un concurrent des partis nationaux. Peuvent donc adhérer à ce parti ces communistes, libéraux, chrétiens et socialistes qui partagent la nécessité et l'urgence de ces propos et de ces objectifs et qui constatent avec nous l'insuffisance de leurs respectives organisations "internationales". Peuvent adhérer à ce parti les écologistes qui ne se contentent pas d'agiter et de dénoncer les problèmes ,mais qui veulent organiser les actions et les projets pour les résoudre; les fédéralistes et les européïstes qui veulent voir réaliser leurs aspirations en des temps politiques et non point historiques et donc dans l'actuelle génération; les non-violents qui ne confondent pas la non-violence avec la passivité et les objecteurs de conscience qui ne confondent pas la lutte pour la paix avec la neutralité et l'indifférence pour les problèmes de la liberté et de la démocratie.
Ceux-là trouveront un parti laïque - et non pas un parti idéologique - auquel on adhère sur la base de programmes et d'objectifs de lutte politique.
Le Congrès de Bologne nous avait donné deux objectifs d'organisations et financiers : atteindre quatre milliards de lire d'auto-financement et trois mille inscrits non-italiens pour la constitution des premiers noyaux d'association significatifs hors d'Italie.
Et il nous avait invité à chercher le terrain sur lequel implanter les racines du parti transnational sur six grandes questions , de portée gigantesque tant par leur consistance et latitude, que par l'ampleur et la difficulté de l'entreprise :
1) la lutte pour reprendre et accélérer le processus constituant de l'unité politique de la Communauté Européenne;
2) l'anti-totalitarisme et la lutte pour la démocratie e les droits humains;
3) la lutte contre l'extermination par la faim, contre le sous-développement dans le tiers-monde, pour le désarmement, la sécurité, et la paix;
4) l'anti-prohibitionnisme contre la criminalité, les cultures et les idéologies développées à cause du marché clandestin de la drogue;
5) la défense et le développement des principes de l'état de droit;
6) les grandes questions de l'environnement et la survie même de l'humanité.
Ce sont les mêmes thèmes qui appartiennent tous à notre patrimoine idéal et à notre histoire politique.
Pendant plus de trente ans ce parti a été en Italie le protagoniste, souvent victorieux, des luttes pour les droits civils. Ayant des positions minoritaires, nous avons réussi à animer et à réaliser de grandes oppositions démocratiques sur des questions comme le divorce, l'avortement, l'objection de conscience, les droits des citoyens et les garanties de liberté contre les lois spéciales et les pratiques judiciaires illibérales.
Nous avons été les animateurs d'une grande bataille contre l'extermination par la faim , en syntonie avec le souverain pontif, avec la plupart des Prix Nobel du monde entier , avec les grandes agences internationales, avec les appels des consciences les plus averties et des chefs- d'Etats-mêmes du tiers-monde.
Nous avons été en Italie, pendant plus de dix ans, tout seuls, les opposants intransigeants de la destruction de l'environnement et de l'énergie nucléaire (et aussi grâce à notre opposition, l'Italie est l'unique des grands pays de la CEE dans lequel les programmes nucléaires, maintenant définitivement rejetés par le vote populaire, ne sont point passé sinon de façon marginale).
Et nous avons été longtemps, depuis l'Italie, le point de référence et les porte-paroles des refuzniks et des dissidents du monde entier.
Mais la particularité de cette expérience et de ces succès était dûe à deux conditions : l'interlocuteur principal, sinon l'exclusif, avait toujours été localisé dans les institutions et dans l'opinion publique italienne; la caractéristique théorique de parti non-idéologique permettait en outre au parti radical de se concentrer coup par coup sur des luttes politiques spécifiques et sur des objectifs précis de réforme.
Ces caractéristiques méthodologiques ont été boulversées. D'un terrain de lutte délimité géographiquement et, de fois en fois, politiquement limité à des objectifs individuels, nous sommes passés obligatoirement à un terrain sans frontières aussi bien dans la géographie que par les thèmes abordés.
Nous avons voulu être non pas une internationale de partis et de mouvements nationaux, mais un parti transnational et par conséquent une association unique d'adhérents de différents pays, unis par des idéaux communs et qui se reconnaissent en des objectifs politiques communs : et en attendant, dans celui-ci, de vouloir se reconnaître dans ce nouvel instrument et de vouloir le construire ensemble.