par Marco de Andreis SOMMAIRE: L'objet de cette relation c'est le processus politique américain sur la modernisation des armes nucléaires dans le cadre de l'OTAN. Bien que le débat, à Washington comme dans toute l'Alliance en général, se soit concentré en grande partie sur un système d'arme particulier - le successeur du missile Lance - Les deux premiers chapitres sont l'introduction des questions d'ordre plus général: les différentes armes qui font objet de modernisation et les raisons de leur développement et de leur installation.
S'agissant d'armes destinées à l'Otan, cela aurait eu peu de sens de considérer les positions américaines sans les corréler à celles des alliés européens et à celles des soviétiques - interlocuteurs, ces derniers, de l'alliance occidentale en fait de contrôle des armements. D'où l'effort pour rendre compte des actions de ces acteurs non-américains. Au point que la thèse principale de ce travail est que ce sont les choix d'un allié particulier - l'Allemagne Fédérale - qui jouent un rôle décisif dans le processus politique des Etats-Unis, spécialement en perspective.
(Relation du CESPI, Octobre 1989)
1. Quelques renseignements sur le software
Les Etats-Unis commencèrent à déployer leurs armes nucléaires en Europe tout de suite après la Deuxième Guerre Mondiale. Ce qui motivait ces installations, c'était la portée limitée des premiers vecteurs nucléaires, les bombardiers B-47 des années 40, les missiles balistiques à rayon d'action moyen Thor et Jupiter des années 50. Ces systèmes ne pouvaient atteindre des objectifs en Union Soviétique, qu'à partir des bases européennes. Ils ne furent retirés que lorsque les bombardiers et les missiles balistiques à grand rayon d'action, dits "intercontinentaux", et basés en Amérique, entrèrent en service.
Les armes nucléaires de théâtre (Theater Nuclear Weapons, que nous simplifierons par les initiales TNW).
Dans cette relation, nous entendons par TNW, les armes nucléaires américaines non-stratégiques (portée inférieure à 5.500 km) déployées sur le territoire européen à l'usage des américains ou des alliés. Comme nous le verrons plus loin, les armes nucléaires navales et les stratégiques sont excluses, même si certaines d'entre-elles gravitent autour du vieux continent ou si elles sont à la disposition du commandant de l'Otan. Les armes nucléaires non-stratégiques déployées ailleurs (Usa, Corée du Sud, etc...) sont excluses également. Des sous-catégories de TNW, comme INF ou SNF, seront définies lorsqu'on les introduira pour la première fois dans le texte.
Au début les projectiles d'artillerie et les missiles à court rayon d'action furent introduits en Europe en 1953-54. C'est un lieu commun de l'Otan que celui de dire qu'ils furent déployés par les Usa pour compenser l'infériorité conventionnelle de l'Alliance face aux 175 divisions soviétiques. Comme on le découvrit plus tard, l'Urss n'a jamais possédé autant de divisions, une grande partie d'entre-elles n'étant que des unités-"cadre".
Ce qui, conjugué avec la limitation des dépenses militaires décidée par l'administration Eisenhower, fut bien vite résumé dans le slogan "a bigger bang for the buck". Littéralement: "un plus grand coup au dollar".
Il existe cependant de nombreuses explications concomitantes, sinon alternatives, à ce développement des TNW: le souhait de l'armée américaine de briser le monopole de l'aéronautique sur les armes nucléaires; le débat sur la bombe thermonucléaire qui induisit des scientifiques comme Robert Oppenheimer à recommander le développement des armes nucléaires de champ de bataille comme alternative à la bombe H, par exemple.
Bien que, "sous certains aspects, l'histoire des armes nucléaires tactiques soit une histoire d'armes sans une doctrine" (Catherine Kellehe et Ernest May, "Battlefield Nuclear Weapons. The Historical Overview", relation écrite par l'Harvard Center on Security and International Affairs, 1988), la logique du "bigger bang for the buck" fut assez facilement prise au sérieux jusqu'à ce que les soviétiques ne furent en mesure de répondre par les mêmes armes aux représailles nucléaires en force de l'Otan.
Lorsque cette situation changea, même la doctrine alliée fut obligée de changer - justement, de "représaille en force" en "réponse flexible", adoptée officiellement en décembre 1967.
La réponse flexible, encore en vigueur aujourd'hui, demande un mélange d'armes conventionnelles, nucléaires de théâtre et nucléaires Stratégiques. Selon la description que l'Otan donne de sa propre doctrine, "le but de cet équilibre de forces...est de permettre une vaste gamme de réponses inspirées des deux concepts suivants: répondre à toute aggression par une défense directe, à un niveau jugé suffisant pour repousser l'attaque et, si la défense au niveau précédent se révélait inefficace, être prêts à recourir délibérément à l'escalade, tout en maintenant le contrôl politique total de la situation".(L'Alliance Atlantique - Histoire, structure, activités, Service des Renseignements de l'Otan, Bruxelles, 1983, p.150.)
Avec la Réponse Flexible les TNW maintinrent leur centralité. N'étant plus exempte de risques et continuant à ne pas se fier de ses propres capacités conventionnelles, l'Otan trouva dans les TNW les marges de sécurité de supériorité nécessaires à la crédibilité de sa propre stròatégie dissuasive. La perspective de l'escalade, à laquelle on se réfère dans la doctrine, concerne directement les TNW. A quel moment, l'Otan trouverait ses défenses conventionnelles inefficaces et ferait recours aux armes nucléaires, est une chose laissée exprès dans le vague. Cette imprécision, ou plutôt cette ambiguïté, est supposée renforcer la dissuasion.
Lorsque la Réponse Flexible fut adoptée, "un certain degré d'ambiguïté fut aussi nécessaire pour permettre aux américains et aux alliés européens d'interpréter la stratégie selon les préoccupations et perspectives respectives". (J. Michael Legge, TNW and the Nato Strategy of Flexible Response, Santa Monica, The Rand Corporation, 1983, p.9.
De nouveau, cette ambiguïté "interne" tourne autour du rôle des TNW: pour les européens...la menace d'utilisation des TNW représentait la meilleure façon de relier (coupling) la dissuasion stratégique des Usa à la défense de l'Europe, pour les américains...elle offrait le meilleur espoir pour éviter qu'une bataille terrestre étendue en Europe arrivât au point de l'échange nucléaire stratégique". Ibidem, p. 10.
C'est dans ce contexte que le rôle des armes nucléaires de théâtre dans la doctrine Otan doit-être évalué. C'est vraiment un rôle-clé comme le témoigne, entre-autre, le triplement des TNW déployées en Europe dans les années qui vont du début du débat sur la Réponse Flexible (1961) à son adoption finale. Cet arsenal fut réduit par une croissance guère moins impressionnante des armes soviétiques correspondantes. C'est un fait que l'Otan ayant perdu toute marge de supériorité, peut avoir soutenu sa capacité, sinon sa volonté, de recourir à l'escalade. Ce n'est pas donc un hasard que les critiques de la Reponse Flexible soient devenues toujours plus nombreuses et plus incisives avec le temps.
Actuellement, l'ambiguité est ce qui retient à la fois la doctrine et le rôle des TNW dans celle-ci. Grâce à cette ambiguïté, en effet, on demande à ces armes de faire une chose et sont contraire à la fois: rendre possible l'escalade et l'arrêter, rassurer les européens que les américains et les soviétiques ne peuvent limiter en Europe un échange nucléaire et, en même temps, rassurer les américains qu'une utilisation du nucléaire en Europe n'arrive pas pour autant au point de l'échange intercontinental.
On pense encore à l'Otan que les TNW compensent les équilibres conventionnels et dissuadent les soviétiques d'utiliser les premiers leurs armes nucléaires de théâtre. Toutefois, des deux côtés de l'Atlantique cet argument coexiste avec un autre très différent, selon lequel l'Otan aura toujours besoin des TNW pour la dissuasion étendue. Par dissuasion étendue on entend ce qui a été appelé sur la Jonction de l'arsenal nucléaire stratégique américain et de la défense de l'Europe occidentale. Autrement dit, les Usa "étendraient" à l'Europe leur propre force de dissuasion nucléaire, quelles que soient la quantité et la qualité des arsenaux conventionnels et nucléaires soviétiques.
Le premier argument peut-être appelé relativisme nucléaire, puisqu'il semble impliquer qu'une fois atteint l'équilibre conventionnel satisfaisant (du point de vue de l'Otan) et que les armes nucléaires de théâtre soviétique ont été éliminées, l'Alliance puisse se passer de ses TNW. L'autre argument peut-être appelé par contre, fondamentalisme nucléaire, puisqu'il implique simplement que les TNW servent toujours et de toutes façons, sans aucun égard pour ce que la partie adverse fait ou possède.
Naturellement, le relativisme peut cohabiter aussi bien avec quelques TNW qu'avec zéro TNW - s'assurant dans ce dernier cas, que les conditions rappelées plus haut doient satisfaites. C'est pourquoi cette attitude n'a pas de limites à l'égard du contrôle des armements, et qu'au contraire elle le considère avec faveur. De son côté, le fondamentalisme nucléaire est même hésitant pour lancer des négociations, du moment que celles-ci peuvent déboucher dans les options zéro qui lui font le plus peur.
La réponse flexible peut faire cohabiter des exigences contradictoires parceque, comme toute doctrine ou théorie sur la dissuasion, elle est prêchée sur un non-évènement: la guerre entre l'Otan et le Pacte de Varsovie, conventionnelle ou nucléaire, n'a jamais eu lieu et par conséquent on peut faire une série infinie de spéculations sur le pourquoi elle a été évitée et sur ce qui pourrait arriver si au contraire elle avait lieu. Est-ce que l'Urss a jamais pris sérieusement en considération, ces dernières années, l'hypothèse d'attaquer l'Otan? Et si la réponse est "oui", qu'est ce qui l'en a dissuadé? Le simple fait qu'elle avait devant elle une alliance qui comptait les nations les plus riches du monde, dont trois d'entre-elles sont des puissances nucléaires, ou la capacité présumée de l'Otan de contrôler l'escalade? Qu'est-ce qui arriverait si l'Otan franchissait la première le seuil nucléaire au milieu d'un conflit conventionnel? Les soviétiques arrêteraient-ils leur attaque, répondraient-ils par une u
tilisation nucléaire proportionnel à celui de l'Otan, ou bien déchaîneraient-ils des représailles nucléaires totales. Répondre à ces questions ne peut que vouloir dire répondre au hasard.
Ce qui arriverait si un échange nucléaire se prolongeait en Europe, disons, au-delà d'une dizaine d'explosions, c'est moins, au contraire, une question spéculative. Tout d'abord, un évènement de ce genre rendrait impossible "le fait de maintenir le contrôle politique total de la situation". Les structures et les procédures pour la Commande, le Contrôle et les Communications (C3) dans une alliance de 16 Etats souverains, avec une douzaine de langues différentes, seraient presque sûrement bouleversées bien avant d'arriver à un accord quelconque sur l'emploi des armes nucléaires. Après quelques explosions le résultat le plus probable serait le chaos et/ou la paralysie. Une condition explicite, comme nous l'avons vu, de la Réponse Flexible. En outre, les dommages et les pertes qui s'ensuivraient peuvent difficilement être définis "limités". Comme l'a écrit un collaborateur de l'ex-secrétaire américain à la Défense, Robert S. McNamara: "Des études et des simulations faites dans les années 60, ont montré que,
même en assumant ce qu'il y a de mieux quant à la précaution et aux limites en puissance explosive et nombre d'objectifs, dans une guerre nucléaire tactique limitée, il y aurait entre 2 et 20 millions de morts européens, avec des dommages étendus à l'économie dans la zone intéressée et avec un très haut risque d'arriver à 100 millions de morts si la guerre devait s'élargir aux villes" (Alain C. Enthoven, "Us Forces in Europe: How many? Doing What?", Foreign Affairs, Avril 1975.
C'est sur cet arrière-plan de motifs contradictoires, de demandes sans réponses, de doutes angoissants et de certitudes terrifiantes que l'Otan a déployé des armes nucléaires de théâtre pendant plus de trente ans. Et c'est contre ce même arrière-plan que le débat de l'Alliance sur le rôle futur des TNW s'est récemment réallumé.
2. Quelques renseignements sur le hardware
En 1960, à la fin de l'administration Eisenhower, il y avait en Europe 2.500 TNW environ. En 1968 leur nombre était arrivé à 7.200, pour rester à ce niveau jusqu'en 1979. Ces données ne comprennent pas les missiles à tête nucléaire à bord des navires de la deuxième flotte (Alantique) et la sixième flotte (Méditerranée) US, comme les systèmes stratégiques de l'Otan - sous-marins nucléaires lance-missiles balistiques (SSBN) de la classe Polaris ne furent plne furent placés non plus sous les ordres de l'Alliance au début de l'administration Kennedy. Cf Milton Leitenberg, "Background materials in tactical nuclear weapons (primarly in the European context", SIPRI, Tactical Nuclear Weapons: European Perspectives, Londres, Taylor Francis, 1978, pp. 16-17, Tableau 1A. p.112 et pp. 115-116.
En 1979 commença un processus de réduction lorsque, dans le contexte de la modernisation des forces nucléaires à rayon d'action moyen (Intermediate-range Nuclear Forces - INF; portée de 1.000 à 5.500 kms), l'Otan décida de retirer 1.000 missiles à tête nucléaire, plus un autre pour chacun des 572 Pershing 2 et missiles de croisière sol-air (Ground Launched Cruise Missiles - GLCM) dont on décida l'installation.
Par la suite, en 1983, à une réunion du groupe de planification nucléaire (Nuclear Planning Group - NPG) à Montebello au Canada, l'Alliance décida de retirer d'Europe encore 1.400 missiles et de moderniser le reste des TNW. La tâche d'étudier les détails de chaque mesure fut confié au commandant suprême de l'Otan (Supreme Allied Commander Europe - SACEUR). En Mars 1985, durant une réunion du NPG à Luxembourg, le SACEUR d'alors, le général Bernard W. Rogers, présenta les résultats de cette étude, appelée précisément Nuclear Weapons Requirement Study (NWRS-85). En plus du retrait des 1.400 missiles et de la modernisation, ce document prévoyait la "redistribution des systèmes qui restaient à l'intérieur de l'Europe et l'amélioration de leurs capacités de survie et de contrôle". Déclaration de l'Assistant Secretary of Defence for International Security Policy, Ronald F. Lehman. DOD Authorization for Appropriations for FY 1989, US Senate, Herings before the Committee on Armed Services, 100th Congress, 2nd se
ssion, part.6, Strategic Forces and Nuclear Deterrence, 29 Février 1988, US GPO, p.7. Il faut remarquer que chaque "redistribution" ne peut se faire qu'entre le Front Central et le Flanc Sud (Italie, Grèce et Turquie), puisque les deux pays du Flanc-Nord de l'Alliance (Danemark et Norvège) ne permettent pas l'installation d'armes nucléaire sur leur territoire. Il est donc possible qu'à la suite du NWRS-85, il se soit produit un changement concernant le nombre et le type d'armes nucléaires déployées en Italie.
Avant fin-86, la traduction en pratique du NWRS-85 avait comporté le retrait de plusieurs systèmes: les missiles sol-sol Honest John, les mines atomiques et les missiles à tête nucléaire sol-air Nike Hercules. Toutes les sources ne concordent pas sur ce point. Par exemple, "on pense que l'Allemagne Fédérale est l'unique pays qui accepte encore les missiles Nike-Hercules nucléaires, qui seront retirés au cours des premières années 90. "Nuclear Notebook", Bulletin of the Atomic Scientists, Avril 1989.
Un autre développement important : le "Traité entre les USA et l'URSS sur l'élimination de leurs missiles à rayons d'action moyen et court" (traité de la double action zéro), signé à Washington le 8 Décembre 1987 et ratifié par la suite. Il prévoit avant fin-1990, la destruction des 120 Pershing 2 et des 309 GLCM déployés en Europe au moment de la signature. Parallèlement à ce traité, le gouvernement de la RFA s'est engagé à démanteler, et à ne pas remplacer, ses 72 missiles Pershing 1A (équipés avec des têtes nucléaires US), une fois que les deux super-puissances auront mis en pratique ce qui est prévu par la double action zéro. Selon les termes de l'accord, les Usa détruiront aussi 430 missiles; 170 d'entre-eux sont des Pershing 1A basés aux Usa. Cf. "INF Treaty Specifies Methods of Destruction for Banned Missiles", Aviation Week and Space Technology, 14 Decembre 1987.
Le Tableau 1 représente l'actuelle composition de l'arsenal de TNW en Europe.
Tableau 1: Armes nucléaires américaines en Europe (1989)
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à usage américain à usage OTAN total
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PA 203 mm 500 430 930
PA 155 mm 600 140 740
Bombes pour avions 1.400 320 1.720
Missiles Lance 320 370 690
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Total 2.820 1.260 4.080
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PA Projectiles d'Artillerie
Source: The Arms Control Association, Fact Sheet, Janvier 1989.
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Pour compléter ce tableau, il ne faut pas oublier que les USA disposent de milliers d'autres systèmes qui peuvent-être destinés rapidement sur le théâtre européen. Il ne faut pas oublier non plus qu'aussi bien les américains que les soviétiques peuvent utiliser, pour atteindre les objectifs en Europe, des vecteurs et des têtes nucléaires propres aux systèmes stratégiques centraux.
Ces derniers varient, depuis les têtes des missiles balistiques lancés par des sous-marins (SLBM) Poséïdon attribués au SACEUR, jusques aux projectiles d'artillerie et aux têtes nucléaires pour les missiles Lance, gardés hors d'Europe; et ils comprennent des bombes et des avions attribués aux porte-avions, des systèmes nucléaires pour la guerre navale et des missiles de croisière lancés depuis les navires (Sea Launched Cruise Missiles - SLCM). Un programme pour déployer 758 SLCM nucléaires pour l'attaque contre des objectifs terrestres est déjà dans une phase très avancée. "Ce programme augmente considérablement notre capacité de dissuasion globale et peut fournir aussi d'importants instruments à l'Otan après le retrait des missiles INF". Déclaration de Ronald Reagan, F. Lehman, Cit. p. 8.
Les plans de modernisation sur le NWRS-85, concernaient cependant les trois catégories de TNW: projectiles d'artillerie, missiles et armes d'avions.
Projectiles d'artillerie: Le modèle W33 de 203 mm et le W48 de 155 mm sont des vieux modèles et ils ont des mécanismes de contrôle et de sécurité inadéquates. Leurs successeurs sont le W79 (puissance explosive 0,5-2,5 kt) (la puissance de la bombe d'Hiroshima était de 12 kt) et le W82 (puissance jusqu'à 2 kt). Ils ont chacun, outre la portée qui est passée de 15 à 30 kms - ce qui est quand même bien loin de résoudre les énormes problèmes associés à n'importe quel utilisation nucléaire sur le champ de bataille (escalade, fallout, etc...) - une capacité neutronique et en tant que tels, ils ne peuvent pas être déployés en Europe, étant donnée la révulsion diffuse sur le vieux continent envers les armes nucléaires à radiations renforcées (Enhanced Radiation - ER). Le Congrès américain a plusieurs fois repoussé les requêtes de la première administration Reagan pour financer la production de versions à fission (non neutronique) des nouveaux projectiles. Puis, en 1984, une allocation est approuvée, mais aux c
onditions suivantes: un plafond numérique commun de 925 pour les deux calibres, à un coût total non supérieur à 1,2 milliards de dollars; un bannissement de la production des versions ER supplémentaires (325 W79 neutroniques avait été déjà construits et emmagasinés aux Usa), ce qui signifiait pratiquement que l'on ne puvait pas construire plus de 600 nouveaux projectiles nucléaires à fission de ces deux calibres. On a confié également au SACEUR la tâche de décider combien de W79 et W82 il fallait produire dans les limites établies. A ce qu'il paraît la priorité est allée à la fin au second: les obus de 155 mm sont plus nombreux à l'Otan, ce qui augmente les opportunités de dispersion et complique le calcul de l'adversaire. En outre, l'armée américaine a décidé de retirer complètement, au cours de la prochaine décennie, ses propres obus de 203 mm. Observation faite au cours d'une interview au Pentagone.
C'est pourquoi 200 W79 à fission seulement ont été construits et déployés par la suite en Europe. La production des W82 commencera au début des années 90 et sera donc limitée à 400 exemplaires env., à moins que le Congrès ne consente à rehausser le plafond de 925. C'est exactement ce que le Pentagone est en train d'essayer d'obtenir. Cf. le "Report of the Secretary of Defense Frank C. Carlucci to the Congress, FY 1990, p. 194.
- Missiles. Dans la catégorie qui ne rentre pas dans le Traité sur la double option zéro (missiles sol-sol basés à terre avec une portée jusqu'à 500 kms) l'Otan installe actuellement un système appelé Lance. Introduit à partir de 1972, les Lance ont une portée de 115 kms et une tête d'une puissance jusqu'à 100 kt.
En Europe il y a 95 lanceurs de missiles Lance. Quatre-vingt-neufs sont déployés en Europe Centrale et six en Europe Méridionale (Italie). Cf. The International Institute for Strategic Studies, The Military Balance 1988-1989, p. 220.
Le nombre de missiles n'est pas connu mais il est plausible qu'il y ait autant de missiles qu'il y a de têtes nucléaires - c-à-d 700. Les planificateurs militaires de l'Otan croient que ce système devra être remplacé au milieu des années 90. Entre-temps, il y a en cours depuis 1986, un programme pour l'extension des opérations (Service Life Extension Program - SLEP), qui maintient le Lance au goût du jour, en remplaçant au fur et à mesure les pièces de la tête et du système de guidage. Ainsi, le missile peut-être maintenu opérationnel pendant plusieurs années encore. La recherche d'un remplaçant pour le Lance (Follow-on-to-Lance, FOTL) commença au début des années 80. Le candidat favori était alors le missile tactique de l'armée (Army Tactical Missile Système - ATACAMS), une arme conventionnelle d'une portée d'environ le double de celle du Lance et qui devrait-être mise en place avant deux ans. Du point de vue du rapport coût-efficacité, le choix avait un sens parceque seule la tête nucléaire devait-êtr
e projetée en partant de zéro: le missile et le lanceur étaient déjà dans la phase de développement. Selon le général de l'aéronautique Martin J. Ryan, Director of Force Structure, Ressources ans Assessment directorate, Joint Chiefs of Staff, "...Si l'on choisit un ATACAMS avec une tête nucléaire, le coût devrait-être d'environ 600 millions de dollars. Si, d'autre part, on choisit un système complètement nouveau, le coût peut-être de plus de 1,5 milliards de dollars". US Senate, Hearings before the Committee on Armed Services. p.13.
Ce dernier sera le Multiple Launched Rocket System (MLRS), développé avec plusieurs alliés européens (dont l'Italie) et par conséquent disponible par centaines d'unités (presque mille) dans un futur proche. En 1985, cependant, le Congrès bannissait le développement d'un ATACAMS nucléaire. Au cours des années suivantes, le Pentagone essayait en vain de repousser cette restriction. En 1988 on autorisait une étude sur l'utilité militaire et le coût d'une tête nucléaire pour l'ATACAMS. Mais l'attitude au Congrès demeurait froide: au cours de l'année fiscale 1989 la dépense pour les études sur le FOTL était diminuée de moitié, de 15 à 7,5 millions de dollars. Maintenant le département de la Défense a décidé d'abandonner la version nucléaire de l'ATACAMS et de demander le financement pour un missile entièrement nouveau, qui utilisera le lanceur MLRS. Ainsi ce lanceur deviendra en effet un système à double capacité conventionnelle/nucléaire, ce qui compliquera, ou pire encore, rendra impossible le contrôle d
es armements. Cela est admis par les militaires américains. Selon le général Donald R. Pihl, Military Deputy to the Assistant Secretary of the Army for Research, Development and Acquisition, "La sélection d'un lanceur unique pour le successeur du Lance peut-être un bon choix du point de vue du contrôle des armements, mais elle ne l'est pas d'un point de vue militaire. Militairement parlant il est préférable que les soviétiques ne puisse distinguer entre lanceur conventionnel et nucléaire." DOD Appropriations for 1989, House oof Representative, Hearings before a Subcommittee of the Committee on Appropriations, 100th Congrès, 2nd session, Part 7, Research, Development, Test and Evaluation, 18 April 1988, US GPO, p. 70.
Evidemment, pour ceux qui sont défavorables au contrôle des armements, cela est même un avantage. Par ex. le directeur des études de l'IISS de Londres a écrit: "Les efforts pour limiter les missiles utilisés par des lanceurs à double capacité seront plus difficiles à négocier et à vérifier que dans le cas des missiles nucléaires qui utilisent un lanceur spécifique, réduisant ainsi les risques pour l'Otan d'une troisième option zéro". Hans Binnendjik, "Nato's nuclear modernization dilemma", Survival, Mars-Avril 1989. Troisième option zéro signifie l'élimination négociée des missiles nucléaires à rayon d'action court des deux côtés.
Il devrait avoir une portée supérieure à l'ATACAMS, très proche probablement de la limite minimum du Traité, c-à-d 500 km. La demande de l'administration Bush pour le FOTL est de 32,9 millions de dollars pour l'année fiscale 1990 et de 128, 7 millions pour l'année fiscale 1991.
- Armes aériennes. La modernisation des bombes nucléaires pour les avions tactiques est en train de se poursuivre depuis quelques années sans susciter de préoccupations particulières en Europe et aux Etats-Unis. Un nouveau modèle - B61 (puissance explosive 100-150 kt) est en train de remplacer les plus anciens B28, B43 et B57. Ce qui n'est pas clair c'est de savoir si cela débouchera dans une augmentation ou dans une diminution du nombre de ces engins. Puisque les bombes n'ont jamais été mentionnées ni dans un sens ni dans un autre, on en déduit généralement que leur nombre total reste plus ou moins le même. Certaines bombes nucléaires pourraient-être cependant retirées si l'on développait un nouveau missile air-sol pour avions tactiques, appelé pour le moment Tactical Stand-off Missile (TASM). Le but de ce système d'arme est celui de rendre les avions moins vulnérables, en leur évitant d'arriver jusque sur la cible - ce qui peut fait le missile qui peut-être lancé à une distance de l'objectif égale ou supé
rieure à sa portée. Une modernisation est en train d'avoir lieu également en ce qui concerne les avions eux-mêmes. "L'installation en Europe de 72 modernes f-15 pourrait commencer dès le début des années 90 - ce qui augmenterait de 50% le nombre des bombardiers tactiques à long rayon d'action à capacité nucléaire de l'Otan". Hans Binnenjik, cit.
Comme TASM, l'aéronautique Us a choisi le Short Range Attak Missile II (SRAMII), en cours de développement pour les bombardiers stratégiques B-1 et B-2, dont la portée devrait-être d'environ 250 kms. Pour la recherche et le développement du TASM, la demande de l'administration est de 173,1 millions de dollars pour chacune des années fiscales 1990 et 1991. Ce travail de recherche et de développement dvrait-être limité principalement à l'adaptation du missile sur les avions tactiques.
Enfin, au cours de la réunion du NPG qui s'est déroulée en Avril 1989 à Bruxelles, le SACEUR gén. John R. Galvin a présenté un nouveau Nuclear Weapons Requirement Study pour la période 1991-1998. On prévoit des réductions supplémentaires du nombre de projectiles et de bombes nucléaires si l'Otan appui les plans de modernisation décrits plus haut. Il semblerait que l'arsenal nucléaire de l'Alliance se réduirait ainsi à 3.000 têtes. Cf. Michael R. Gordon, "Nato's Looks to Never, Fewer Arms", The New-York Times. 19 Avril 1989.
3. Le débat pré-Gorbatchev sur la modernisation nucléaire de l'Otan
En Octobre 1983, au cours de la réunion de Montebello du NPG, plusieurs gouvernements européens (britannique, allemand fédéral et italien en particulier) essayaient de calmer l'opinion publique, fortement anxieuse devant les armes nucléaires. La date de l'installation des Pershings 2 et des GLCM, approchait.
Les colloques Usa-Urss sur le contrôle des armements se trouvaient dans un cul-de-sac: entre Novembre et Décembre, alors que les premiers missiles de l'Otan étaient déployés, les soviétiques abandonnaient les négociations INF et START de Genève et refusaient de fixer une date pour la réouverture des négociations MBFR de Vienne. Il est naturel d'interpréter donc, la décision de Montebello de retirer 1.400 têtes nucléaires, comme une tentative de calmer la peur nucléaire croissante.
Il évident par contre que, dans un tel contexte, l'aspect qui concernait la modernisation ne devait pas être mis en évidence: de par le passé les TNW avaient été modernisées façon routine, sans trop de publicité et les ministres de la défense de l'Otan avaient des raisons d'espérer que cette fois encore, cela se passerait de la même façon. En outre la tâche de décider les mesures de modernisation spécifiques fut laissée au SACEUR; cela demanda du temps et donna l'occasion à l'atmosphère politique enflammée de se refroidir.
L'installation des INF dans le respect des temps pre-établis de la part des Alliés européens redonna de l'initiative aux Usa, tant en ce qui concerne le contrôle des armements que la modernisation des TNW: c'est l'administration américaine qui doit négocier avec les soviétiques et c'est le Congrès américain qui, en dernière instance, autorise la dépense pour les programmes des nouvelles armes.
Dans les deux cas, c'est le Congrès qui mènera un rôle-guide. Les élections de 1982 avaient révélé en effet un soutien diffus au mouvement pour la congélation des armes nucléaires et, plus en général, une forte défiance de l'opinion publique envers la politique reaganienne de contrôle des armements. Les évènements de l'année qui suivit - avec l'installation des INF et le retrait soviétique des négociations - n'avaient fait que renforcer cette attitude de peur et de défiance.
Au début de 1983, pour essayer de sortir de l'impasse, d'importants membres du Congrès commencèrent à négocier avec l'administration une nouvelle proposition américaine pour les colloques START. Il en résulta ce qu'on appelle le built-down, que l'on peut traduire littéralement par démantèlement, mais il vaut mieux l'entendre comme "réduction progressive". L'idée était plus ou moins celle de se mettre d'accord pour retirer plus d'une tête nucléaire pour chacune des nouvelles têtes qui était introduite dans les arsenaux. On essayait par un schéma plutôt extravagant de pousser les Usa et l'Urss à se défaire des missiles à têtes multiples basés au sol, et considérés les plus destabilisants. C'étaient ces derniers qui devaient payer le prix le plus élevé, en termes de vieux systèmes à retirer pour pouvoir être mis en service.
Une proposition qui n'alla pas très loin sur la table des négociations de Genève mais qui mérite d'être rappelée pour son origine institutionnelle sans précédents. Les membres du Congrès qui s'en firent les portes-parole étaient les représentants Aspin, Gore et Dicks, ainsi que les sénateurs Percy, Cohen et Nunn. Sur la génèse du build-down cf. Strobe Talbott, "Building and Break-down" Foreign affairs, America and the World, 1983.
Il semblerait donc que les restrictions imposées par le Congrès sur l'artillerie nucléaire et les missiles à rayon d'action court (décidées resoectivement en 1984 et 85), réfléchissaient au moins en partie l'état-d'âme prédominant en cette période, c-à-d l'exigence de modérer une administration qui semblait prendre les choses nucléaires à la légère, sinon avec enthousiasme.
Une autre raison qui peut expliquer ces restrictions est relative au concept de seil nucléaire en Europe. Le débat de l'Otan sur cette question est enclanché par quatre "sages" américains en faveur de l'adoption, de la part de l'Alliance, d'une politique de non-premier-usage des armes nucléaires. Cf. McGeorge Bundy, George f. Kennan, Robert S. McNamara et Gerard Smith, "Nuclear Weapons and the Atlantic Alliance", Foreign Affairs, Printemps 1982.
A la fin la proposition fut repoussée, malgré un vaste consensus sur la nécessité d'élever le seuil nucléaire et de se diriger au moins vers une politique de non-premier-usage-précoce (no-early-first-use). Sur ce point cf. Bernard W. Rogers, "The Atlantic Alliance", Foreign Affairs, Eté 1982.
Cela prit le (vilain) nom de conventionnalisation. L'ATACAMS, par exemple, avait été présenté originairement au Congrès comme une des armes dites intelligentes (dans ce cas le projet du Pentagone appelé Assault Breaker), avec un effet comparable à celui des armes nucléaires et en mesure par conséquent de les remplacer et d'élever ainsi le seuil nucléaire. On ne doit pas être trop surpris donc si les législateurs américains ont repoussé l'idée de rendre nucléaire l'une des armes au centre de l'effort tout entier de conventionnalisation.
Un autre élément important de l'attitude du Congrès, maintenant comme alors, peut-être localisé dans les affaires associées au débat sur la bombe à neutrons de la fin des années 70 et aux incessants problèmes résultant de la double décision de l'Otan de 1979 sur les INF.
Dans le premier cas les Etats-Unis avaient développé et produit des armes spécifiquement destinées au théâtre européen; mais à la fin ils se sentaient obligés de les garder chez eux, puisque les gouvernements alliés n'étaient pas en mesure de s'imposer sur l'aversion publique pour les armes E.R. Le cas des INF était très semblable: on supposait que ces armes devaient servir à calmer les inquiétudes européennes en ce qui concerne le rapport entre la défense de l'Otan et les systèmes stratégiques centraux américains; cependant elles avaient déclanché des mouvements de masse en Europe, teintées souvent d'anti-américanisme. A la fin Pershing 2 et GLCM ne purent être déployés qu'en soulignant le côté négociation de la decision de 79 et en rappelant l'attention sur l'absence de volonté soviétique de se défaire de son propre avantage numérique dans cette catégorie d'armes.
Pour résumer, à moitié des années 80, une tendance semblait s'être dessinée: le Congrès américain n'était disposé à financer qu'un nombre minimum de TNW qui fût compatible avec l'effort de conventionnaliser et qui ne causât pas de revirements chez les gouvernements européens qui devaient à la fin les déployer.
Bien que cette tendance soit sommes toutes encore là, la venue de Mikhaïl Gorbatchev au Kremlin changeait tous les autres termes du débat.
4. La révolution de Gorbatchev dans le contrôle des armements et dans les relations Est-Ouest
La nouvelle attitude de Moscou se manifeste rapidement. En Juillet 1985, quatre mois seulement après l'élection de Gorbatchev en tant que Secrétaire général, l'Urss déclare un moratoire unilatéral sur les essais nucléaires qui durera 18 mois. En Janvier 1986, Moscou présente un plan qui prévoit le désarmement nucléaire complet et général avant l'an 2.000.
Encore plus important, toutes les principales objections soviétiques, devant la proposition Us d'une solution zéro pour les INF, tombent progressivement: de sévères mesures de vérifications, la non-compensation pour les arsenaux nucléaires français et britanniques ainsi que l'inclusion des SS-20 déployés en Asie sont acceptées. Au sommet Reagan-Gorbatchev de Reykjavik de Novembre 1986, le Traité INF est pratiquement conclu et seul le refus américain d'accepter des limites à l'initiative de Défense Stratégique empêche la conclusion d'un accord de principe pour le démantèlement de toutes les armes nucléaires ou de tous les missiles balistiques, selon la version ultérieure américaine de ce qui s'était passé à Reykjavik.
En 1987 Moscou élève l'enjeu des négociations sur les euromissiles en proposant une deuxième solution zéro pour les systèmes à rayon d'action plus courts (entre 500 et 1.000kms de portée). Celle-ci deviendra partie intégrante du traité signé à Washington à la fin de l'année.
Entre-temps, de grosses différences sont composées sur la voie d'un accord sur les armes stratégiques dont l'objectif est celui de réduire de moitié les arsenaux des super-puissances; on constate ce progrès également aux colloques sur les armes chimiques à la Conférence sur le Désarmement de Genève et aux colloques sur la Coopération et la Sécurité en Europe, en cours à Vienne.
En 1987 et 88, plusieurs gestes de valeur symbolique importante commencent à rompre la discrétion et la défiance traditionnelles: les observateurs occidentaux visitent les sites soviétiques pour les expérimentations nucléaires, les installations et les dépôts chimiques, un radar en construction à Krasnojarsk en Sibérie, et assistent à certaines manoeuvres militaires.
La préoccupation militaire occidentale par excellence - le rapport de force conventionnelle en Europe - est d'abord affrontée par les soviétiques par une série de propositions qui acceptent en principe l'idée de démanteler les capacités d'attaque par surprise et qui souhaitent des forces construites selon des principes comme la "suffisance raisonnable" et la "défense défensive". Puis, dans un discours à l'Onu en Décembre 88, Gorbatchev annonce le retrait unilatéral de six divisions soviétiques, 5.000 blindés et 50.000 hommes, d'Europe orientale. Comme on le comprendra plus tard, cette action s'accompagne d'une restructuration générale des divisions restantes en des unités de moindre intensité de blindés et en des équipements offensifs réduits. Les alliés du Pacte de Varsovie s'adaptent rapidement par des mesures semblables, qui commencent à être traduites dès les premiers mois de 1989. Pour un jugement total sur les réductions soviétiques et du Pacte de Varsovie. Cf. Jack Mendelsohn, "Gorbatchev's Pree
mptive Concession", Arms Contrôl Today, Mars 1989.
Enfin, à l'ouverture des négociations sur les Forces Conventionnelles en Europe (Conventional Forces in Europe, CFE) en Mars 1989, le ministre des Affaires Etrangères soviétique Eduard A. Shevardnadze présente une proposition qui est jugée par la plupart comme pas trop éloignée de celle de l'Otan et, si jamais, plus ambitieuse et tournée vers l'avenir. Le Président de la Commission Forces Armées de la Chambre des Représentants. Les Aspin, a comparé les deux propositions dans les termes suivants: "Nous ressemblons à un tas de petits comptables (bean-counters, littéralement des compteurs de haricots), tandis que Gorbatchev fait figure de quelqu'un qui veut de nouvelles relations en Europe". Cité dans R. Jeffrey Smith, "Nato Arms Cut Proposal Faulted as Too Cautious", The Washington Post, 17 Avril 1989.
A un niveau politique plus général, l'amplitude et les objectifs du changement ne sont pas moins impressionnants: l'Urss coopère de bon gré avec l'Occident sur presque tous les problèmes régionaux; les troupes soviétiques sont retirées d'Afganistan; un accord est obtenu en Angola et en Namibie; le gouvernement vietnamien, allié de Moscou, annonce son propre retrait du Cambodge et l'aide militaire soviétique au Nicaragua est interrompue.
En Urss ont lieu les élections politiques générales dans lesquelles plusieurs candidats du parti en faveur de dissidents historiques comme Sakharov, ou de communistes comme Boris Yeltsin, sont repoussés. En Pologne, Solidarnoch et l'Eglise catholique sont légalisés; ce qui ouvre la voie aux élections et à l'ouverture des relations diplomatiques avec le Saint-Siège. La Hongrie aussi va vers les élections, elle désempare les fortifications à la frontière autrichienne, elle fait avancer ses propres réformes économiques et discute librement de questions comme la "finlandisation de l'Europe de l'Est".
Il est clair que quelque chose est arrivé. Quelque chose destiné à altérer radicalement la notion de menace - en Europe sûrement mais également aux Usa. Selon un sondage d'opinion New-York-Times-CBS mené en Mai 1989, deux américains sur trois pensent que l'Urss ne représente plus une menace militaire immédiate et presque trois sur quatre considèrent comme improbable une guerre nucléaire. De plus, tandis qu'en 1985 47% (et en 87 65%) des personnes interviewées considéraient Gorbatchev différent de ses prédécesseurs soviétiques, en 1989, 79% des américains pensent de cette manière. Cf.R.W. Apple Jr, "Poll Finds That Gorbatchev's Rules Eases American Minds on Soviets", The New-York Times, 16 Mai 1989.
Il est clair que les termes du débat transatlantique sur la sécurité occidentale ne sont plus les mêmes.
5. L'héritage du traité INF
La question qui a le plus influencé le débat Otan sur la modernisation des TNW est certainement le traité INF et sa génèse. La solution zéro, qui fut la position de négociation américaine depuis le début (novembre 1981) jusqu'à la fin (décembre 1987), avait été originellement ventilée dans le parti socialdémocrate allemand en 1980. Elle finit par être adoptée par une administration conservatrice américaine uniquement parcequ'elle avait la qualité d'être à la fois inacceptable par les soviétiques, simple à comprendre et capable de faire taire les critiques de gauche et celles favorables au désarmement. Ce fut essentiellement un chef-d'oeuvre en termes de relations publiques de la part de Ronald Reagan et une victoire pour ces responsables du gouvernement américain qui s'opposaient par principe à un accord de contrôle des armements avec l'Urss. L'architecte de ce grand bluff était Richard Perle, alors Assistant Secretary of Defense for International Security Policy. L'histoire de la manière avec laquelle
il réussit à vaincre les objections de Richard Burt, alors Assistant Secretary of State for Politico-Military Affairs, est bien documentée dans un livre écrit par le correspondant diplomatique de l'Hebdomadaire Time, Strobe Talbott. Cf. son Deadly Gambits, New-York, Alfred A. Knopf, 1984.
Les batailles entre Perl et Burt sont typiques de quelque chose de plus que la différence entre ceux qui font obstacle au contrôle des armements en soi et ceux qui y sont à peine favorables. Elles illustrent en effet, une différence d'attitude aux Usa entre les conservateurs radicaux, à la Perle, qui tout simplement ne donnent pas d'importance aux TNW (selon Talbott, "Perle manifestait quelques réserves quant au rapport coût-efficacité des GLCM et Pershing 2, et il critiquait ouvertement l'idée de payer des milliards de dollars pour 572 missiles... un satané prix pour un remède militaire d'importance marginale". Deadly Gambits, p. 44) et les conservateurs, à la Burt, qui sympathisent au contraire avec le point de vue européen classique, selon lequel les TNW sont essentielles pour la dissuasion étendue et la liaison entre défense européenne et armes nucléaires américaines. Les gouvernements européens qui déployèrent les INF étaient justement modérés. Cela est vrai pour Londres et Bonn; un moins vrai po
ur le gouvernement de coalition au pouvoir à Rome, qui comprenait deux partis socialistes. L'Italie cependant n'a pas la réputation d'avoir de fortes convictions sur les questions stratégiques et elle définit d'habitude ses propres positions selon des considérations de caractère politique général.
Le résultat qu'ils auraient préféré pour les négociations INF était un accord qui aurait laissé quelques GLCM et Pershings 2 en place. Un accord de ce genre, selon eux, aurait été cohérent avec l'affaire de "la liaison", et, en même temps aurait affaibli le mouvement anti-nucléaire. Ces gouvernements furent extrêmement irrités lorsque le shéma de Paul Nitze, appelé "promenade dans les bois" - Nitze était alors chef de la délégation américaine aux colloques sur les INF - proposa de sa propre initiative aux soviétiques, un accord selon lequel les Usa auraient maintenu 75 lanceurs GLCM et l'Urss un nombre identique de lanceurs SS-20. Les Pershings 2 auraient été retirés (ou plutôt non-déployés) tout-à-fait. L'idée prit ce nom du fait que, à ce qu'il paraît, Nitze la présenta aux adversaires soviétiques au cours d'une promenade dans un bois des environs de Genève.
Mais les américains ne se laissèrent pas convaincre et ils restèrent fidèles à leur propre bluff. Un bluff, comme - on l'a déjà dit - l'appela par la suite Gorbatchev.
Après le sommet de Reykjavik l'attitude prédominante des capitales européennes est une attitude de consternation: voilà un président américain qui a presque négocié la liquidation de la dissuasion nucléaire et qui, malgré les objections des alliés, s'est pratiquement mis d'accord pour retirer complètement les euromissiles.
Au début de 1987 il y a une ultime tentative désespérée pour éviter la solution zéro. Celle-ci prend la forme typique d'attirer l'attention sur la supériorité numérique soviétique dans la catégorie des armes secondaires. La solution zéro, dit-on, est un piège parcequ'elle laisse intacte justement la supériorité numérique soviétique des INF à rayon d'action plus court. Mais cette tentative échoue: Moscou propose une deuxième solution zéro pour ces systèmes.
A ce moment-là l'Otan ne peut rien faire d'autre qu'accepter les deux solutions zéro. On a écrit que le Chancelier Helmut Kohl essaya de résister à la double option zéro. "...avec le soutien du Premier Ministre britannique Margaret Thatcher. Cependant, devant la double pression des élections politiques et des appels de Reagan et de Shultz (à ce moment-là, Secrétaire d'Etat), la Dame de fer s'inclina et dit clairement à Kohl qu'il devait en faire autant. Kohl sortit piqué au vif de cette affaire, en déclarant en privé à ses collaborateurs qu'avec la bataille sur la double option zéro c'etait bien la dernière fois qu'il se faisait court-circuiter sur le contrôle des armements, par une administration américaine". Jim Hoagland, "The Nato Crisis is Reagan's Doing", The Washington Post, 9 Mai 1989.
Les opinions, sur les conséquences que cela aura pour l'Alliance, varient selon les différents points de vue nationaux.
D'abord à Londres et ensuite même à Washington, on est convaincu que le processus de remise à zéro progressive des TNW peut aller de l'avant indéfiniment, jusqu'à l'abandon de la Réponse Flexible et à la dénucléarisation de l'Europe. Paris, préoccupé pour l'avenir de son propre arsenal nucléaire indépendant, brandit avec encore plus de vigueur le spectre d'une europe dénucléarisée - un objectif de longue haleine des soviétiques, dit-on, lesquels pourraient ainsi jouir pleinement de leur prépondérance dans l'armement conventionnel.
6. Les développements en Allemagne Occidentale
Le point de vue de Bonn est différent. Le gouvernement allemand a autant de préoccupations quant au rôle de la dissuasion étendue mais elle doit se résigner au fait que plusieurs marches de l'"escalier" nucléaire ont été retirés. Ce concept de marches (steps) de l'escalier (ladder) provient de l'une des conditions requises de la Réponse Flexible, c-à-d, le contrôle d'une éventuelle escalade nucléaire sur tout le spectre allant des armes nucléaires tactiques aux armes stratégiques, en passant par les armes à rayon moyen.
Par contre on a gardé les systèmes (missiles nucléaires à rayon d'action court et artillerie nucléaire) qui, s'ils étaient utilisés, ils exploseraient dans les deux Allemagnes. Les armes nucléaires des champs de bataille sont déployées, dans l'Otan, même en Italie, Grèce et Turquie. Donc, de ce point de vue, il n'existe aucune singularité allemande. Il est vrai cependant que les missiles déployés en RFA ont une portée qui rend pratiquement impossible leur usage en dehors de l'Allemagne (Est et Ouest), à l'exception des bombes pour avions.
Autrement dit, Bonn n'a pas de quoi se réjouir du fait que l'autre "escalier", celui du désarmement, doive s'arrêter à 500 kms de portée (la limite minimum autorisée par le traité INF pour les missiles basés à terre). A ce moment-là, les conservateurs de la CDU-CSU s'unissent graduellement à l'opposition socialdémocrate pour demander à ce que le contrôle des armements intéresse aussi les TNW qui restent. Les initiatives soviétiques dans le domaine des armements conventionnels renforcent cette tendance: la perspective d'obtenir dans un futur assez proche une parité approximative entre Otan et Pacte de Varsovie ne peut que renforcer, en effet, l'intérêt Ouest-Allemand à négocier sur les forces nucléaires à moyen-rayon (Short-Range Nuclear Forces- SNF; portée 0-500kms).
Pour de simples motifs de réalisme politique, n'importe quel parti en RFA doit tenir compte du fait qui, sondage après sondage, montre que l'opinion publique se méfie des armes nucléaires et considère favolrablement les initiatives de Gorbatchev. "Dans un sondage de Juin 88, 79% des personnes interviewées étaient pour la totale dénucléarisation de l'Europe, et 68% s'opposaient à la modernisation des missiles à court Rayon". Thomas Rissen-Kappen, "Will Nato settle for Kohl's cuts?" Bulletin of Atomic Scientists, Juin 1989.
Outre cela, il y a un sentiment de fatigue répandu après 40 ans de forte présence militaire dans le pays; fatigue signalée par une demande croissante de limiter les exercices aériens et terrestres de l'Otan
En dehors du milieu militaire, Bonn réagit à ce qui a été appelé "la révolution de Gorbatchev" en augmentant le rytme et la portée des objectifs de l'Ostpolitik dans tous les secteurs; économique, culturel et humanitaire. Cf. "Being thère", The Economist, 29 Avril 1989.
C'est un effort beaucoup plus intense que celui de toute autre capitale européenne. Pour s'en rendre compte il suffit de considérer le capital économique et politique que le gouvernement de Bonn est prêt à investir pour permettre aux allemands provenant de l'Europe de l'Est et de l'Urss (il s'agit de plus de 3 millions de personnes qui s'ajoutent aux 18 millions de citoyens de RDT) de s'établir en RFA ou de s'y rendre en visite: capital économique sous forme de milliards de marks de crédit à l'Est; capital politique sous forme d'un relancement de la droite extrême, aux couleurs xénophobes qui enlève des voix à la base électorale de la CDU-CSU.
Le simple fait que la RFA est le pays européen qui a les plus gros intérêts investis dans la détente Est-Ouest est évidemment plus important, dans ce contexte, que tout exercice de diétologie politique - comme deviner si la nouvelle Ostpolitik cache une tentative d'arriver à la réunification allemande ou pas.
Il y a enfin ce qui a été appelé un nouveau "sentiment d'autoaffirmation" allemande ou la fin de la traditionnelle attitude de déférence à l'égard des Usa. Sur ce point, Cf. J. McCartney, "Bonn Seeks More Independent Nato Role", The Washington Post, 2 Mai 1989.
Un aspect qui peut-être plus simplement interprété comme la traduction en termes politiques de la croissance économique du pays à des niveau de puissance mondiale.
7. La dichotomie au sein de l'Otan sur la modernisation nucléaire
Au milieu de 1987 les délégations aux négociations INF de Genève mettent au point les derniers détails. Puisqu'il est évident pour tout le monde que la voie pour le traité est désormais tracée, l'Otan commence à discuter sur les dates pour les prochains colloques sur le contrôle des armements. L'idée d'établir des priorités - quel forum devra-t-il avoir la priorité sur un autre? - est déjà en soi une tentative de prévenir une troisième option zéro, c-à-d l'élimination des missiles sol-sol qui restent. La logique suggèrerait plutôt de procéder là-où se présentent les meilleures opportunités.
Alors que celle-ci est précisément la position prise par le gouvernement allemand, les français et les britanniques insistent pour repousser toute négociation sur les SNF et toute décision concernant leur modernisation. Lorsque les ministres des Affaires Etrangères se rencontre à Reykjavik en Juin 1987, leur communiqué final est retardé dans le but de faire coexister les points de vue divergents. Ce communiqué dit en effet qu'un "ensemble approprié de forces nucléaires et conventionnelles adéquates et efficaces... continuera d'être mis à jour (kept up to date) là-où ce sera nécessaire... le concept global (comprehensive concept) pour le contrôle des armements et le désarmement comprend... en conjonction avec la réalisation de l'équilibre conventionnel et l'élimination globale des armes chimiques, des réductions sensibles et contrôlable des missiles nucléaires à rayon plus court basés à terre américains et soviétiques qui portent à des niveaux numériques identiques "Nato Press Service, Declaration of the
Heads of States and Government Participating in the Meeting of the North Atlantic Council in Brussels (2-3 Mars 1988)", Press Communique M1 (88) 13. Comme il deviendra clair plus loin que le communiqué de Reykjavik avait dit les mêmes choses avec les mêmes mots.
Le rôle des armes nucléaires est réaffirmé; cependant, ce que peut-être "un ensemble approprié" avec les armes conventionnelles demeure indéfini. Garder "à jour" (là-où ce serait nécessaire) les TNW, peut signifier remplacer les vieux systèmes par les nouveaux, mais aussi maintenir opérationnels les vieux systèmes avec des programmes tels que le SLEP pour le Lance. Le terme "en conjonction avec" peut-être lu soit comme l'intention de différer les négociations SNF par rapport à celles sur les armes chimiques et conventionnelles, soit comme un engagement à garder les différentes négociations en parallèle. Enfin, "niveau numériques identiques" peut signifier n'importe quel nombre de SNF, même zéro.
En définitive, les différences d'approche n'ont pas été réellement résolues, mais uniquement on les a seulement fait coexister verbalement. Dans le but de les surmonter, l'Alliance se donne pour tâche de définir un "concept global" dans lequel on l'espère, le contrôle des armements et la modernisation puissent coexister.
L'idée d'un concept global est allemande et son étude durera presque deux ans. Durant cette période les protagonistes demeureront sur leurs propres positions; par exemple le communiqué final du Conseil Atlantique-Nord, qui s'est tenu à Bruxelles en Mars 88, se limite à rappeler le compromis obtenu l'année précédente à Reykjavik, en employant les mêmes mots.
En Automne 87, par contre, un changement important s'opère au sein de l'Administration américaine: le Secrétaire à la Défense, Caspar Weinberger et son Assistant for International Security Policy, Richard Perle, quittent le Pentagone. Ils sont remplacés respectivement par Frank Carlucci et Ronald Lehman.
Sur la modernisation des SNF, Lehman en particulier semble se ranger décidément du côté franco-britannique: en Février 1988 il lutte sans succès pour obtenir du Congrès l'autorisation pour le successeur du Lance. Au cours d'une audition devant la Commission Forces Armées du Sénat, à la question qui définissait comme "très ambigüe" l'engagement allemand pour la modernisation, Lehman répond dans les termes suivants: "Laissez-moi dire que je n'ai aucun doute que le Chancelier Kohl ou même ses successeurs... feront exactement ce qu'il est juste de faire... le Chancelier Kohl a dit... que nous devons maintenir la Réponse Flexible, que nous devons maintenir des forces nucléaires américaines en Europe, que nous ne pouvons pas accepter la troisième option zéro. Il a expliqué que ne pas moderniser équivaut à une troisième option zéro unilatérale" DOD Authorizations for Appropriations for FY 1989, US Senate, cit. p. 10.
Evidemment, tous les sénateurs ne sont pas persuadés de la caractérisation faite par Lehman du point de vue allemand. Le sénateur J. James Exon (démocrate du Nébraska), par exemple, répond que plusieurs experts européens lui ont dit "qu'il est très difficile, et cela pourrait causer la chute de son gouvernement, que Kohl consente à déployer les armes à rayon d'action court, étant donné la propension à la dénucléarisation en Europe". Ibidem, p. 36.
Même sur les négociations SNF Lehman n'a pas de doutes: "Nous nous opposons aux négociations SNF. Nous n'avons jamais cessé de dire aux allemands que nous ne pensons pas que ce soit une bonne idée et que nous n'avons aucun intérêt à entreprendre ces négociations". Ibidem, pp.36-37.
Ce qui semble se présenter c'est une situation de pat. L'Administration américaine n'arrive à obtenir ni la voie libre pour le Congrès sur le développement du FOTL, ni le Congrès sur son éventuelle installation. Ils dépendent l'un de l'autre: l'absence de l'un empêche d'obtenir le second. Les négociations SNF sont comme un anathème pour le Pentagone parcequ'elles renforceraient aussi bien l'attitude allemande de renvoyer du moins un engagement pour la modernisation que la réticence du Congrès à allouer les fonds pour la nouvelle arme. A ce propos, il faut remarquer qu'un investissement de 1,5 milliards de dollars dans un nouveau système qui pourrait-être retiré rapidement comme conséquence d'un accord semblable à celui de l'INF, n'est pas destiné à être bien vu par les députés des différents partis. Etant donné, en outre, que même le nouveau secrétaire Carlucci est en faveur d'une limitation de la dépense militaire. Il n'est donc pas surprenant, donc, qu'à la fin le Congrès rendra disponible une somme
d'argent relativement modeste (7,5 millions de dollars, soit la moitié de ce qui avait été autorisé à l'origine) pour une simple étude de possibilité du FOTL.
Les opinions de Lehman sont probablement typiques de ce qui a été appelé d'abord l'approche conservatrice modéré des TNW et de la dissuasion étendue. Autrement dit, il est convaincu que le point de vue prédominant en Europe est opposé au contrôle des armements et en faveur de la modernisation et que Kohl pense de même. Le seul problème du Chancelier serait qu'il ne peut le dire ouvertement. Les Usa devrait donc commencer leur propre modernisation: le consensus allemand arrivera à peine la situation interne le permettra. Ce diagnostic pourrait même être bien trouvé; mais le problème est que la situation interne ne permettra pas à Kohl de prendre la position à laquelle il aspire dans son fort intérieur. Les initiatives soviétiques et l'opinion publique en Allemagne rendront la décision de moderniser l'équivalent du suicide politique. Et, comme on peut s'y attendre, "le Chancelier Kohl (décidera) que le Lance ne vaut pas un suicide politique". Rissen-Kappen.
Que le Congrès eût l'intention de procéder avec grande précaution dans la modernisation des TNW c'était déjà clair en 1984-85. Moins de trois mois avant la signature du traité INF, l'un des parlementaires des plus influents sur les questions de sécurité avait été encore plus explicite. Dans un discours ayant pour titre "Le monde après l'option zéro, Les Aspin, président de la CVommission Forces Armées de la Chambre des Représentants, s'était occupé tant des négociations que de la modernisation des SNF. Les Aspin, The World after Zero INF, Speech Text, Américan Association for the Advancement of Science, Crystal City, Virginia, September 29, 1987, d'où proviennent les citations qui suivent.
Au début il avait dit: "selon moi, un autre contrôle des armements pour les TNW, maintenant, n'est pas une bonne idée". Mais il avait aussi critiqué le FOTL: "Ce nouveau missile serait présenté comme un remplaçant modernisé du Lance, bien qu'il finirait probablement par être un système avec une portée, une précision, un lanceur et une tête nucléaire différents - en fait un missile complètement nouveau". Encore plus important, il semblait être parfaitement conscient des problèmes politiques de la modernisation: "Si nous avions la moindre certitude d'arriver à l'installation, la modernisation nucléaire serait utile. Mais ce qui aiderait à résoudre le problème de la liaison nucléaire - comme le FOTL - n'est pas possible à réaliser politiquement". Après avoir soutenu une approche de bas profil à l'amélioration des capacités nucléaires de l'Otan, il avait résumé ses propres opinions de la manière suivante: "Je considère avec scepticisme les mesures ultérieures de contrôle des armements comme les modernisati
ons ultérieures des armes nucléaires de théâtre. Bien qu'ils comportent certains avantages, les coûts probables des différentes approches suggèrent décidément de miser ailleurs si possible". En réalité Aspin désigna dans la solution des problèmes conentionnels en Europe la direction à prendre pour résoudre les problèmes de l'Otan après les INF. Il est peut-être intéressant de remarquer - mais j'y reviendrai par la suite - que ce conseil sera repris par l'Administration Bush en Mai 1989 pour trouver une issue à ce qui était devenu dans l'Alliance, un désaccord ouvert sur les SNF.
Dans la mesure où les opinions d'Aspin peuvent représenter la majorité du Congrès, il est intéressant de remarquer que ce dernier avait: premièrement, prévu et compris l'urgence d'un contentieux de l'Otan qui était capable de partager les alliés; deuxièmement, joué un rôle d'arbitre pour les Usa avec la tentative de satisfaire les deux points de vue, c-à-d un renvoi à la fois des négociations (un geste envers la France et la Grande Bretagne) et de la modernisation (un geste envers l'Allemagne fédérale).
Une Administration à la fin de son mandat avait décidé par contre d'épouser sans équivoque la thèse de Paris et Londres.
Début 89, la nouvelle Administration Bush poursuit la voie tracée par ses prédécesseurs. Le 29 Janvier, dans un discours à Munich, le secrétaire à la Défense John Tower souhaite la modernisation des SNF. Cf. Robert J. McCartney, "Tower Warns Nato About Soviet Power", The Washington Post, 30 Janvier 1989.
Son discours a lieu au cours de la conférence annuelle Wehrkunde, un forum pour experts de sécurité des deux côtés de l'Atlantique qui est le dépositaire traditionnel du point de vue conservateur modéré sur les TNW et la dissuasion étendue. Les impératifs politiques, cependant, prendront bien vite la place de la pensée abstraite des stratèges.
Le 10 Février, le jour suivant le départ du secrétaire d'Etat James A. Baker III pour un voyage de huit jours dans 14 pays de l'Otan, le Chancelier Kohl demande publiquement un renvoi à après 1991-92 de toute décision sur la modernisation des SNF.Il n'est pas de lire, derrière cette réaction de Kohl, la tentative de s'approcher des élections politiques allemandes (décembre 1990) sans le poids d'une décision impopulaire - dans les sondages d'opinion, la CDU-CSU est déjà derrière l'opposition.
L'Administration américaine est prise au dépourvu et elle se trouve devant un dilemme. D'un côté il est clair que tout espoir de modernisation de la SNF s'amenuirait si une coalition des Verts et des Sociaux-démocrates devait prendre le pouvoir en RFA. Ces partis, durant ces dix dernières années, ont demandé le désarmement nucléaire en Europe. Les Usa, ont donc des motifs pour aider Kohl à gagner les élections. D'un autre côté cependant, dans un colloque avec son homologue britannique Geoffrey Howe au cours de ce même voyage, Baker déclare que "la question de la modernisation doit-être résolue par les alliés, dans le but de persuader le Congrès à financer les armes (FOTL) "Don Oberdofer et Robert J. McCartney, "Baker Voices Concerns Over START Pact", The Washington Post, 13 février 1989.
A son retour d'Europe Baker semble avoir une propension à trouver une solution dans une répétition de la double décision Otan de 1979 sur les INF: un engagement à moderniser les SNF devrait s'accompagner d'une "composante de contrôle des armements et du désarmement" déclare-t-il. Don Oberdofer, "Short-Range Missile Issue May Go On Table", The Washington Post, 18 février 1989.
Cette approche deviendra vite une lettre morte devant l'opposition allemande pour prendre n'importe quel engagement sur le FOTL avant 1992.
De plus, Bonn demande peu après que soient entrepris les colloques pour réduire les SNF. "Notre demande est celle d'ouvrir sans hésitation les négociations sur ces systèmes, selon ce qui est prévu par la décision Otan de 1987" dit le ministre des Affaires Etrangères allemand Hans-Dietrich Genscher le 2 Mars à la Conférence de l'ONU sur le désarmement à Genève". Bonn Asks Talks Now On Short-Range Arms", The New York Times, 3 Mars 1989.
Genscher est réputé pour être le principal défenseur de ces négociations au sein de la coalition gouvernementale de Bonn. Le moment et le lieu choisis pour sa déclaration et le fait que celle-ci ne sera pas rectifiée par la suite par le chef de son gouvernement, rendent clair le fait que Genscher a parlé au nom de l'exécutif.
Le mois suivant, lorsqu'il laisse Washington pour prendre part à un meeting du NPG à Bruxelles, le nouveau secrétaire à la Défense Richard B. Cheney se prononce "nettement pour la modernisation les armes nucléaires à rayon moyen de l'Alliance et contre les négociations Est-Ouest pour les réduire". Robert J. McCartney, "Cheney Urges Modernizing of A-Missiles", The Washington Post, 20 Avril 1989.
Après la réunion, de toutes façons, il devient clair que Bonn a obtenu un renvoi à 1992 de toute décision sur la modernisation. De leur côté, Cheney et son collègue britannique George Younger réaffirment leur opposition aux colloques SNF. C'est pourquoi il semblerait que l'on soit arrivé à un compromis sur la base d'aucun engagement à la modernisation contre aucune négociation SNF dans l'immédiat. La controverse atlantique sur ce sujet semble avoir été désamorcée. Bien que le communiqué final du meeting n'offre rien de plus que l'habituel vague engagement à "moderniser là où cela est nécessaire" les forces nucléaires, Cheney pense avoir "assez d'intérêts...pour demander au Congrès, les fonds nécessaires pour la recherche et le développement" du FOTL cité dans le texte de Robert J. McCartney, "U.S. Accepts Delay by NATO On Updating Short-Range Arms", The Washington Post, 21 Avril 1989.
Loin d'être désamorcée, la controverse est sur le point d'exploser. Cheney est à peine retourné à Washington que, après un remaniement du gouvernement, Khol envoie Genscher et le neo-Ministre de la Défense Gerald Stoltemberg. L'objectif explicite de ce voyage-éclair est de convaincre l'administration Bush à ouvrir rapidement les négociations SNF. La réponse américaine est un Non clair et net et peut-être même un peu courroucé.
Le refus américain, cependant, ne décourage pas Kohl d'aller plus loin. Dans un important discours au Bundestag sur la politique Etrangère, après avoir réaffirmé d'une part, qu'il n'est pas nécessaire de décider sur la modernisation avant 1992, et d'autre part la requête des négociations SNF, il explique que l'on doit traiter également sur l'artillerie nucléaire.
En outre, Kohl déclare que le développement du FOTL est une "décision nationale américaine" Cf. Serge Schemann, "Kohl Sets Stage for NATO Fight By Laying Out News Arms Policy", The New York Times, 28 Avril 1989.
Il s'agit d'un message codé au Congrès des Usa qui équivaut clairement à une dissociation allemande du développement des nouvelles armes. C'est exactement le contraire de ce que l'Administration américaine a essayé de vendre à sa propre assemblée législative.
Alors qu'il ne reste qu'un mois avant le sommet de l'Otan, prévu pour les 29-30 Mai à Bruxelles, conçu au départ surtout comme une célébration des 40 premières années de l'Alliance, la cassure ne pourrait être plus nette. Tandis que Paris évite de s'aligner publiquement, tous les autres alliés européens continentaux (à l'exception peut-être des hollandais) soutiennent Bonn. Les canadiens et évidemment, les britanniques sont, dans la dispute, du côté de Washington.
Début Mai, un grand mouvement diplomatique entre la capitale allemande et la capitale américaine commence, mais avec peu de résultats concrets. Dix jours avant le Conseil Atlantique de Bruxelles, l'administration Bush accepte par principe de négocier sur les SNF, mais aux conditions suivantes: les colloques ne pourront commencer avant que l'on trouve un accord sur la réduction des armements conventionnels en Europe; les réductions des SNF résultants d'un éventuel accord à ce sujet ne commenceront qu'après que les réductions conventionnelles auront été traduites en pratique; la troisième option zero doit-être explicitement exclue. Cf. Michael Gordon, "New U.S. Terms Would Delay Cuts by Nato", The New York Times, 21 Mai 1989.
Il faut remarquer que l'estimation de l'Administration quant au temps nécessaire pour négocier et traduire en pratique un accord aux colloques de Vienne sur les armes conventionnelles est de cin ans. Par conséquent, l'accueil de principe de la requête des négociations SNF, du point de vue de Bonn, est bien loin de satisfaire les appels de Kohl pour faire "vite" commencer les colloques.
A la veille du sommet la cassure existe encore, lorsque George Bush réussit habilement à détourner ailleurs l'attention et à réunir les alliés. Il y réussit en leur présentant une proposition pour les négociations conventionnelles qu'ils appuieront rapidement avec soulagement. La nouvelle proposition consiste simplement à accueillir deux questions que les soviétiques ont essayé de mettre sur la table des négociations, malgré la résistance occidentale: l'introduction des avions de combat et des troupes dans les différentes catégories conventionnelles à réduire. L'introduction des avions avait été soutenue non seulement par les soviétiques mais également par des observateurs occidentaux, y compris, encore une fois, les Aspin.
Il s'agit toutefois de la première ouverture de l'administration Bush sur le contrôle des armements. Enplus, il a le net avantage de reléguer en marge le problème des SNF et de fournir les bases pour un minimum d'unités avec lesquelles célébrer en harmonie le quarantenaire de l'Otan.
Dans la proposition de Bush il y a un calendrier provisoire: l'Alliance "essaiera d'arriver à un accord [conventionnel] avant six mois-un an et de porter ààààà terme les réductions avant 1992-93". "Excerpts From Joint Communique by Leaders at Nato Summit Meeting", The New York Times, 31 Mai 1989, d'où sont extraites également les citations qui suivent dans le texte.
Bien qu'elle paraissent nettement optimiste, cette déclaration entend être clairement un signal pour les allemands: les colloques SNF pourraient commencer avant qu'on ne le croie.
Des références plus explicites aux questions SNF sont contenues par contre dans le "concept global pour le contrôle des armements et le désarmement", rendu public dans le communiqué final. Les conditions américaines pour entreprendre les colloques SNF sont ratifiées par l'Alliance, y compris l'exclusion de la troisième option zero. "Les USA -dit en effet ce document - sont prêts à commencer des négociations pour obtenir une réduction partielle à des niveaux égaux et vérifiables aux missiles nucléaires soviétiques et américains à rayon court".
D'autre part, le concept global fait place à certaines des requêtes allemandes en déplaçant explicitement à 1992 une décision sur l'installation des FOTL et en traitant le financement de la recherche du développement de ces armes comme "une décision réservée aux autorités nationales [américaines]" - dont la "valeur" est "reconnue" par les "alliés intéressés".
Le grand final, cependant, n'arrive pas à éloigner tous les doutes. Le sommet n'est même pas terminé que l'on écrit déjà que "certains diplomates de l'Otan se disent convaincus qu'aucun gouvernement allemme pas terminé que l'on écrit déjà que "certains diplomates de l'Otan se disent convaincus qu'aucun gouvernement allemand n'acceptera l'installation d'un successeur du Lance... Ils soutiennent que la "solution zero" pour l'Otan, peut arriver grâce à l'obsolescence technologique, et non p,as par voie diplomatique; ce qui rend les polémiques sur la signification des communiqués, un exercice académique". James M. Markham, "Nato Compromise Seems to Rule Out Tactical Arms Ban", The New York Times, 31 Mai 1989.
Le 1er Juin ces interprétations trouvent un écho dans les discours de Kohl et Genscher au Bundestag. Faisant allusion à une phrase du concept global, introduite suite à l'insistance anglo-américaine, qui disait que les SNF seraient nécessaires en Europe "dans un futur prévisible", le Chancelier déclare qu'"étant donné la tendance générale des développements actuels dans les rapports Est-Ouest, "prévisible" peut signifier un laps de temps relativement limité". De son côté, Genscher souligne une autre phrase du même document, cellle où l'on dit qu'une décision sur les FOTL sera prise "à la lumière des développements généraux dans le domaine de la sécurité". Et, ajoute-t-il, la RDA travaillera "pour influencer les développements de façon à ce qu'il n'y ait aucune obligation à continuer avec un nouveau système". Les déclarations de Kohl e Genscher sont citées dans le texte de Robert J.McCartney, "Nato Arms Discord Seen Resurfacing", The Washington Post, 4 Juin 1989.
Pour le moment, donc, la saga du Lance est terminée.
La question des SNF n'a pas été discutée en vain par l'Otan. Durant toute l'histoire, en effet, les soviétiques et leurs alliés n'ont jamais ralenti le rytme de leurs initiatives de contrôle des armements. Dans une lettre à Kohl, en Décembre 1987, par exemple, le président de la RDA, Erich Honecker proposait le retrait des armes nucléaires. En Janvier 1988, c'est par contre Shevardnaze qui avance l'idée d'une troisième option zero. Au cours des mois suivants, cependant, Moscou espace ses appels aux négociations SNF, en cédant aux insistances occidentales pour exlure les armes nucléaires de théâtre du mandat pour les négociations conventionnelles de Vienne.
Il faut remarquer, que même les propositions soviétiques dans le domaine conventionnel finissent inévitablement par avoir un impact sur la questuion des SNF. En effet, comme on l'a dit dans le premier chapitre, les armes nucléaires sont étroitement liées à l'état des équilibres conventionnels, du moins pour les relativistes nucléaires de l'Otan. Ainsi, lorsque la controverse alliée sur les FOTL est devenue du domaine public, le Kremlin décide d'agir sur les deux niveaux, en combinant les offres conventionnelles et nucléaires.
C'est exactement ce qui arriva en Mai 1989, lorsque Baker vole à Moscou avec l'intention de "mettre à l'épreuve" les soviétiques sur une série de questions en dehors du contrôle des armements. Ce seront par contre les soviétiques qui mettront à l'épreuve l'administration Bush et précisément sur le contrôle des armements: le 11 Mai Gorbatchev remet au Secrétaire d'Etat une nouvelle proposition sur le conventionnel qui accueille bon nombre des conditions contenues dans le document d'ouverture de l'Otan au négociations de Vienne. La proposition soviétique sera officiellement présentée à Vienne 12 jours plus tard. Cf. R. Jeffrey Smith, "Soviet Offers Large Reduction in Arms, Troops in Europe", The Washington Post, 24 Mai 1989.
En outre, Gorbatchev annonce une réduction unilatérale des armes nucléaires soviétiques installées en Europe. Avant fin 1989, dit-il, l'Urss retirera 284 têtes nucléaires, 166 bombes d'avion et 50 projectiles d'artillerie.
Cependant, l'impact potentiel de cette action, destinée clairement à encourager ceux qui, à l'Otan s'opposaient à la modernisation, est sérieusement compromis par les soviétiques eux-mêmes. Le lendemain, au cours d'une visite à Bonn, Shevardnaze menace d'arrêter le démantèlement des missiles SS-23 si l'Otan continue avec le successeur de Lance. La menace, si elle avait été maintenue, aurait pu équivaloir à une violation du traité INF. Les soviétiques soutiennent qu'un FOTL avec une portée de moins de 500 kms, est une violation du traité INF. Le SS-23, inclus par contre dans le traité des armes à détruire, a, lui, une portée légèrement supérieure à 500 kms.
Et lorsque, le 24 Mai, Shevardnaze la fera rentrer, il sera trop tard pour porter de nouveau l'attention sur le geste précédent, certes plus conciliant, d'une réduction unilatérale de TNW. Il faut remarquer que cette réduction est tout de suite interprétée par l'administration américaine comme une simple propagande. Les soviétiques ont, dit-on, 10.000 têtes nucléaires en Europe - contre les 4.000 de l'Otan - et le retrait annoncé correspond à 5% seulement de leur arsenal. Il est difficile de dire d'où provient cette estimation de 10.000 TNW soviétiques en Europe. La seule référence que j'ai trouvé est un tableau qui énumère "l'arsenal nucléaire soviétique estimé, en Juillet 1988", publié par le Bulletin of Atomic Scientists de Juillet-Août 1988. Cette source estime à 11.800 le nombre des têtes nucléaires non-stratégiques soviétiques basées à terre. Si l'on enlève environ 1.800 têtes qui seront retirées suite au traité INF, on arrive précisément à environ 10.000. Toutefois, une partie de ces têtes est a
ssociées à des vecteurs qui ne sont pas installés en Europe mais en territoire soviétique - plus ou moins comme les TNW installés en Asie ou aux USA même. 500 têtes donc, devraient représenter un peu plus de 5% de TNW que l'Urss a accumulé en Europe, bien que l'on se trouve sur un terrain d'estimations très incertaines.
Tant à cause du scepticisme américain que par l'absence d'habileté diplomatique des soviétiques, les actions de Moscou sur les SNF n'arrivent pas à influencer le débat Otan sur la modernisation. Beaucoup plus efficaces à conditionner l'opinion publique occidentale sont par contre les initiatives dans le domaine conventionnel. Ce sera encore plus vrai dans un futur immédiat puisque l'Otan a choisi de donner priorité précisément à cela.
Mais tant que Bonn continuera tiendra à la question SNF, Moscou fera de même. Après le sommet de l'Otan, en effet, les commentaires de Shevardnaze rappellent la position soviétique, à savoir que les colloques SNF se tiennent parallèlement à celles sur les armes conventionnelles, et non pas successivement. Cf. Edward Cody, "Soviets Raise Issue of French, British Troops", The Washington post, 1er Juin 1989.
8. Le procès politique à Washington
La première caractéristique remarquable de la position prise par l'administration Bush sur la question des SNF est le petit nombre de consensus que celle-ci a trouvé aux Etats-Unis même. En réalité les critiques sont arrivées de tous les côtés.
L'un des critiques les plus prestigieux a été Paul Nitze, le négociateur américain ayant la plus grande expérience qui, n'a certainement pas la réputation d'une personne bien disposée à l'égard de l'Urss. Nitze soulignait que demander un engagement allemand à la modernisation sans offrir simultanément la seconde approche - le contrôle des armements - était inacceptable pour "n'importe quel gouvernement allemand concevable" Il proposait par contre d'ouvrir des colloques SNF avec l'Urss après s'être assurés un accord allemand pour exclure la troisième option zero et se concentrer par conséquent sur un palfond négocié de 200 à 300 têtes de chaque côté. La raison militaire la plus convaincante pour cela était, selon Nitze, l'avantage numérique en faveur du Pacte de Varsovie des missiles à rayon court: environ 1.400 lanceurs contre les 88 de l'Otan, selon ses propres estimations. Les estimations de l'IISS sont légerement différentes (95 lanceurs pour l'Otan contre les 1432 du Pacte de Varsovie; Cf. The Milit
ary Balance 1988-1989, p.220) mais elles ne touchent pas la substance de l'argument de Nitze.
Ainsi, pratiquement tout niveau au-dessus de zero, se résoudrait en grande partie par une réduction unilatérale soviétique - un résultat manifestement dans l'intérêt de l'Otan d'un point de vue militaire. Nitze était contre toute liaison momentanée avec les négociations conventionnelles. "Si nous pouvions obtenir un accord - écrivait-il - sur un niveau équivalent de missiles à rayon court en Europe, correspondant plus ou moins aux chiffres que j'ai suggéré, je ne vois pas de raisons pour nous refuser le bénéfice des réductions unilatérales soviétiques implicite dans un tel tésultat jusqu'à ce que nous ayons atteint un but plus ambitieux (et je crois aussi à plus longue échéance) de réductions des forces conventionnelles". Paul H. Nitze, "What Bush Should Do To Solve the Nato Flap", The Washington Post, 14 Mai 1989.
Les critiques envers l'Administration, couvraient de toutes façons, le spectre du panorama politico-stratégique américain. Richard Perle, devenu entre-temps senior fellow à l'Américan Enterprise Institute, était non seulement en faveur des négociations, mais aussi pour la troisième option zero sur les missiles à rayon court. Cf. son article "To Thwart Bonn and Moscow, Ban Short-Range Nuclear Missiles", International Herald Tribune, 29 Mai 1989.
Dennis M. Gormley, vice-président de la Pacific Sierra Research Corporation, une société de consultation au Pentagone, gardait les mêmes positions. Cf. Michael R. Gordon, "Nato Dispute: Tug-of-war Over Limited Arsenal", The New York Times, 24 Mai 1989.
Même Kim R. Holmes, directeur des Etudes politiques de défense au plus célèbre institut conservateur, la Heritage Foundation, était en faveur d'un renvoi à 1992 de la décision sur l'installation du FOTL. Cf. Andrew Rosenthal, "When Left-of-Center Finds Itself in Mainstream", The New York Times, 25 Mai 1989.
Ainsi, pour une fois au moins, les "faucons" proposaient la même politique que les "colombes", comme Jonathan Dean, conseiller pour le contrôle des armements à la Union of Concerned Scientists, Jack Mendelsohn, vice-directeur de l'Arms Contrôl Association, ou encore John D. Steinbruner, directeur des Etudes de politique étrangère à la Brookings Institution , que j'ai pu interviewer moi-même. Pour les opinions de Mendelsohn Cf. aussi son article "The Pursuit of Irrelevance", Arms Control Today, Mai 1989.
Début Mai, une approche différente était demandée également par les présidents démocrates des deux Commissions Forces Armées du Congrès, Sam Nunn (Sénat) et Les Aspin (Chambre), Cf. Michael R. Gordon, "Bush is Criticized On Capitol Hill Over Nato Crisis", The New York Times, 4 Mai 1989.
La proposition de Nunn fut commentée favorablement par le Chef d'Etat Major de la Défense (Chairman of the Joint Chiefs of Staff), l'Amiral William Crowe, durant une audition au Sénat, un fait qui met en évidence la réserve d'alors des militaires sur la ligne choisie par l'Administration sur les SNF.
Les idées avancées par Nunn et Aspin en cette circonstance étaient presque identiques. La chose importante, cependant, est qu'en pratique, elles étaient aussi identiques à la proposition adoptée par l'Administration trois semaines plus tard et souscrite par lìOtan dans le concept global.
De manière semblable à l'évolution de la proposition build-down de 1983, le Congrès prenait une initiative pour sortir d'une impasse dans le contrôle des armements, comblant le vide politique créé par l'inertie de l'Administration. La différence principale est que cette fois-ci il n'y avait pas de négociation publiques entre le législatif et l'exécutif.
Cependant, une grande partie du crédit obtenu par Bush après le Sommet de l'Otan, est le fruit des suggestions du Congrès. Comme nous l'avons constaté à la note 51, même l'action habile du président, celle d'attirer l'attention sur les négociations conventionnelles, coïncide fondamentalement avec les propositions faites par Aspin en 1987.
Etant donné la convergence entre l'Administration et les leaders du Congrès, on peut s'attendre raisonnablement à ce que la Recherche et le Développement du FOTL pour l'année fiscale 1990, sera financée. Il s'agit d'une somme d'argent modeste (32,9 millions de dollars) par rapport à un bilan de la Défense d'environ 300 milliards de dollars et par rapport à l'avantage de gagner une année pour voir quel tournure prendront les colloques sur les armes conventionnelles et la question des SNF. Des problèmes pourraient naître pour l'année fiscale 1991, pour laquelle la demande de l'Administration est bien plus élevée (128,7 Millions de dollars) et encore plus l'année 1992, alors que cette demande, sera, non seulement de l'ordre de plusieurs centaines de millions de dollars, mais elle incluera également des sommes d'argent pour des secteurs relatifs à la production de l'arme.
Essayer de deviner l'attitude du Congrès pour les années suivantes, n'a pas beaucoup de sens: cela dépendra essentiellement du résultat des élections en RFA fin-90 et des résultats - s'il y en aura - des négociations de Vienne.
A ce point-là, il reste deux questions. Premièrement, pourquoi l'Administration a-t-elle pris une position qui l'a laissée aussi isolée, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur? Deuxièmement, à la lumière de cette histoire, que peut-on comprendre en ce qui concerne les perceptions américaines sur la question en soi,c-à-d, les TNW et leur rôle dans l'Otan?
En ce qui concerne la première question , il est utile de rappeler que la plateforme électorale sur laquelle Bush a été élu était explicitement très prudente et traditionnaliste dans le domaine de la sécurité nationale. Il avait dit clairement qu'il avait besoin de temps pour définir sa propre ligne dans le contrôle des armements et dans le contrôle Est-Ouest. Dans ce but, le personnel qu'il avait choisi, a tout de suite entrepris un travail de révision (policy review); travail qui allait tellement lentement qu'il était constamment dépassé par les évènements.
Donc, une première réponse peut-être trouvée dans l'interraction entre une Administration prudente et lente dans ses propres choix et les contreparties étrangères (Bonn et Moscou) penchant plutôt vers une initiative rapide et souvent imprévisible. Autrement dit, la tendance naturelle à demeurer sur n'importe quelle position déjà définie, tendait inévitablement à prévaloir à l'intérieur de l'Administration, presque sans égards envers les changements du milieu ambiant.
Si les évènements continuent à mettre un acteur sur la défensive, une réaction fréquente est l'irritation. Cela renforce à son tour la tendance à "résister", à ne pas "plier", à se sentir dans le juste.
Dans une certaine mesure, c'est ce qui est arrivé à l'administration Bush. Par exemple, lorsque Gorbatchev annonçait la réduction de 500 TNW, Cheney réagissait de la manière suivante: "Il a tant de saloperies (ratholes) en Europe de l'Est, que 500 TNW ne représentent rien" De son côté, le porte-paroles de la Maison Blanche Marlin Fitzwater déclarait que l'engagement soviétique de suspendre les fournitures d'armes au Nicaragua était "une stratégie de relations publiques" typique d'un bon à rien (drugstore cowboy) - en parlant du leader soviétique.
La frustration arrivait à des niveaux encore plus élevés lorsque, au lieu d'un adversaire comme Moscou, c'était un allié, Bonn, qui talonnait le gouvernement américain. Il ne fait pas de doutes que les circonstances contribuaient à augmenter l'agacement des Usa. Après la réunion du NPG en Avril, en effet, l'Administration Bush avait des raisons de penser que le problème des SNF avait été résolu sur la base du double renvoi de la modernisation et des négociations. Mais, comme je l'ai rappelé plus haut, les allemands décidaient de demander publiquement les négociations tout de suite après avoir encaissé ce qui semblait être déjà une grande concession américaine. "Les allemands n'ont pas été honnêtes avec nous" - commentait alors un fonctionnaire de l'Administration. "Nous avions rejoint une entente sur la façon de traiter cette histoire... ils avaient promis de continuer à discuter pour aplanir les divergences, mais ils ont fait ensuite marche arrière et ils nous ont mis devant le fait accompli". Thomas
L. Friedman, "Us Anger Rising Against Germans Over Nato Stand", The New York Times, 30 Avril 1989.
Les gouvernements sont composés d'êtres humains et il est erroné de sous-estimer le rôle que la colère, l'irritation ou la peur de perdre la face ont également dans les questions les plus techniques de relations internationales.
La lente mise en route de l'administration Bush a eu aussi une autre conséquence importante, cette fois-ci sur le choix du personnel politique. Le 8 Mai, 80% des postes de grande responsabilité devaient être encore attribués - et les départements d'Etat et de la Défense étaient ceux qui avaient le plus grand nombre de nominations manquantes. Cf. David E. Rosembaum, "80% of Senior Positions Under Bush Still Empty", The New York Times, 13 Mai 1989.
La capacité du Département d'Etat de faire entendre sa propre voix à l'interieur de l'Administration, en particulier, en résultait sérieusement compromise, puisqu'il manquait justement ce personnel qui devait servir de trait d'union entre les diplomates de carrière et le secrétaire d'Etat. De plus, Baker semblait dès le début plus intéressé à son rôle dans l'entourage restreint de Bush et aux rapports avec le Congrès - domaines dans lesquels il sait bien se mouvoir - qu'à la politique extérieure proprement dite - où il est pratiquement néophyte. Il est probable que tout cela ait eu un certain impact sur l'évolution de la cassure de l'Otan sur les SNF: les diplomates sont en général mieux informés sur les développements politiques dans les pays étrangers et moins disposés à risquer un désaccord explicite avec un allié important comme l'Allemagne Fédérale.
Il est licite de présumer que la ligne politique sur les SNF ait été définie en grande partie au Conseil de Sécurité Nationale (NSC), où les nominations politiques n'ont pas besoin de la confirmation du Sénat et peuvent-être donc faites plus rapidement. C'est à l'intérieur du NSC que la politique sur l'Otan a pris forme, probablement dans le contexte du groupe de travail sur la révision, dont les membres comprenaient aussi le personnel des autres agences et départements. Donc, un regard aux gens de Bush qui s'occupent des problèmes de sécurité peut aider à mieux comprendre ses choix en la matière.
En général, l'impression que l'on reçoit de la nomination de Bush confirme l'idée qu'il était de son intention de se situer plus au centre du spectre politico-stratégique, à une certaine distance des "Reaganautes" classiques comme Perle. Bush et la majorité du personnel dont il s'est entouré, semblent par exemple très sceptiques à l'égard de l'antipathie professée de Reagan à l'encontre de la dissuasion nucléaire. Une attitude que Reagan partageait avec certains de ses collaborateurs les plus étroits: George Bush lui-mêm, qui s'était tant battu pour obtenir le consensus des alliés sur la double option zero, laissait sa propre charge de secrétaire d'Etat, convaincu que la dissuasion nucléaire ne restera plus encore pour longtemps au centre des relations Est-Ouest.
Par contre, Bush était probablement convaincu que des épisodes comme le Sommet Reagan-Gorbatchev de Reykjavik, les tons antinucléaires de l'Initiative de Défense Stratégique (chère à Reagan) et de l'origine du traité INF, avaient nuit au tissu de l'Alliance atlantique, en faisant douter les européens de la crédibilité de l'engagement nucléaire américain. Ainsi avait-il décidé qu'il valait mieux se déplacer vers ce qu'il percevait comme la position majoritaire.
Le changement avait été dûment remarqué. Paul Nitze déclarait en effet que : "l'administration Reagan dans sa politique envers Moscou, pour démontrer que ce n'est pas seulement une suite à cette (...), beaucoup de personnes choisies par Bush sont liées à l'ex-secrétaire d'Etat Henry Kissinger, qui critiquait la politique de contrôle des armements poursuivie par Shultz (...) du point de vue du personnel, c'est une caractéristique négative que d'avoir travaillé en contact étroit avec l'administration Reagan". Cf. Michael R. Gordon, "Reagan Arms Adviser Says Bush Is Wrong on Short-Range Missiles", The New York Times, 3 Mai 1989. La référence de Nitze à l'entourage de Kissinger concerne le Conseiller à la Sécurité Nationale Brent Scowcroft et le vice-secrétaire d'Etat Lawrence Eagleburger.
Ceux qui, au contraire, réussissaient à faire la transition entre les deux administrations, étaient des personnages plus modérés que ceux de l'administration Reagan, comme Richard Burt, placé à la tête de la délégation des Usa aux colloques START, ou encore Robert Blackwill, un professeur de Harvard, dèjà négociateur sur les armes conventionnelles, nommé responsable des affaires européennes au NSC. Et en particulier, lire ce que Blackwill avait écrit durant l'été 88, fait penser qu'il a eu un rôle important dans l'insistance initiale américaine pour obtenir un engagement allemand dans l'installation du FOTL. C'est ainsi que se terminait le long essai dédié aux perspectives des négociations conventionnelles: "L'objectif le plus urgent de l'Alliance n'est pas celui de réduire l'avantage conventionnel traditionnel soviétique, pour autant que ce but puisse être important. C'est plutôt la modernisation des armes nucléaires en Europe de manière à assurer la vitalité de la dissuasion généralisée et de la Répo
nse Flexible jusqu'à la fin de ce siècle et au-delà." Robert D. Blackwill, "Conventional Stability talks", Survival, Septembre 1988.
Cette brève revue du personnel à laquelle a été confiée à la sécurité internationale dans l'administration Bush, entraîne la deuxième question: que nous apprend la controverse sur la modernisation à propos des perceptions américaines sur les armes nucléaires de théâtre et la dissuasion généralisée?
Une partie de la réponse réside dans le fait que les TNW n'ont pas beaucoup de partisans aux Usa. Comme nous l'avons vu, tant la droite que la gauche, les "Reaganautes" et les colombes modérées, se déplaçant encore plus à gauche - l'antipathie envers les TNW est uniquement destinée à augmenter, puisqu'elle croît vers les armes nucléaires en général - n'aiment pas particulièrement ces armes, et ne croient pas qu'elles sont essentielles pour la dissuasion généralisée. Evidemment, ces deux blocs ont des priorités et des motivations différentes: les conservateurs extrêmes pensent que les TNW sont une carte à jouer pour obtenir en échange des réductions soviétiques encore plus substancielles, alors que les colombes modérées sont davantage préoccupées par la potentielle instabilité des TNW en cas de crise. Il reste cependant, le fait qu'une certaine méfiance envers ces armes est partagée.
Dans les forces armées par contre, il est raisonnable de s'attendre que l'on considère les TNW comme des armes de signification militaire marginale - pour autant qu'il est difficile de trouver un général disposé à déclarer de pouvoir se dispenser d'un système quelconque d'arme. Les priorités des différentes armes résident cependant ailleurs: les avions et les missiles pour l'aéronautique, les blindés et les troupres pour l'armée de terre, tandis que la marine a dans tous les cas peut à voir avec les armes nucléaires de théâtre.
Il reste à la fin un faisceau très étroit du spectre politique américain qui croit vraiment que les TNW ont un rôle important. Il est vrai que ce "faisceau" est, jusqu'à preuve du contraire, au pouvoir - qu'il s'agisse de l'Administration ou des leaders du Congrès en matière de défense. Pour l'avenir, cela est beaucoup moins important du fait que la source du consensus américain sur les TNW a disparu.
La source du consensus américain sur les TNW est l'Allemagne fédérale.
Le motif principal pour étendre la dissuasion à travers les TNW a toujours été celui de répondre aux préoccupations allemandes. On avait tendance à les appeler préoccupations européennes, mais en réalité elles ont presque toujours été exclusivement allemandes: ni des français ou des anglais, qui ont leurs propres armes nucléaires, ni des italiens, qui ont toujours eu des préoccupations de tout autre genre, ni des pays comme le Danemark, la Norvège ou l'Espagne, qui ne permettent même pas aus américains d'installer les TNW sur leur territoire. Mais au moment où les allemands surmontent leur propre anxiété sur la dissuasion généralisée, les TNW deviennent ce qu'elles ont toujours été: des armes de signification marginale, aussi bien pour la dissuasion que pour la guerre.
L'histoire des armes nucléaires de théâtre est pétrie de symbolismes. Les TNW ont toujours été une question amplement symbolique. Tous les objectifs qu'ils peuvent couvrir peuvent-être attribués aux dizaines de milliers d'armes nucléaires américaines basées aux Usa ou sur les navires américains. L'argument majeur, selon lequel la décision du Président américain - d'utiliser ou non les armes nucléaires, dépend de l'endroit où elles sont installées - a toujours été peu crédible. Seul le fait que - comme j'ai essayé de l'expliquer dans le premier chapitre - cela est du domaine des spéculations intellectuelles les plus sauvages, a pu faire tenir debout cet argument.
Donc, le vrai rôle des TNW était de symboliser aux yeux des allemands, la garantie nucléaire américaine. C'était la raison pour laquelle elles devaient-être basées à terre. Les SLCM, qui sont identiques aux SLCM, qui sont identiques aux GLCM, auraient croisé dans les eaux européennes dans tous les cas. Mais les seconds devaient être installés pour des raisons symboliques. Même dans la question des SNF, toute l'attention a été concentrée sur le système d'armes ayant le plus haut profil symbolique, encore une fois, un missile basé à terre. Entre-temps, de nouvelles bombes nucléaires d'avion furent introduites sans trop de bruit.
Le sens profond de la polémique sur les SNF est que toutes les forces politiques allemandes les plus importantes ont décidé de se retirer de cette histoire symbolique sur les TNW et la dissuasion généralisée et de compter davantage, au contraire, sur le contrôle des armements conventionnels et nucléaires.
Si cela était vrai, alors ces américains qui soutiennent la modernisation des TNW trouveront toujours plus de difficultés à défendre leur propre position. Et même l'Administration devra tôt ou tard s'adapter à cette nouvelle réalité politique.
Conclusions
Cette relt ou tard s'adapter à cette nouvelle réalité politique.
Conclusions
Cette relation a essayé de mettre en lumière les caractéristiques suivantes du processus politique américain sur la modernisation des armes nucléaires de théâtre de l'Otan.
Premièrement, une Administration certainement peu encline aux initiatives courageuses et aux changements rapides dans les relations internationales; elle a rencontré des difficultés devant le dynamisme de ses interlocuteurs sur la scène mondiale, en particulier Bonn et Moscou. La réaction initiale a été la colère et l'irritation. Mais les évènements ont démontré aussi que ce président est en mesure de changer de politique, en l'adaptant aux circonstances. Cependant, il n'est pas clair encore si Bush a l'intention d'agir et non pas de réagir simplement sous pression, dans le domaine du contrôle des armements.
Deuxièmement, le Congrès a joué un rôle central dans la définition de la ligne politique adoptée à la fin par l'Administration pour résoudre - du moins temporairement - la controverse dans l'Otan. Ce fait semble répondre à une tendance de longue période qui voit le Congrès prendre l'initiative sur les questions de sécurité et de contrôle des armements alors que l'exécutif n'est pas capable de surmonter sa propre inertie.
Troisièmement, quel que soit le soutien que les TNW ont pu avoir aux Usa, celui-ci semble destiné à se réduire parallèlement à l'augmentation du scepticisme allemand envers ces armes et la dissuasion généralisée. Le point de vue conservateur modéré sur les TNW trouve sa raison d'être, dans le besoin d'assurance des allemands. Si ce besoin fait défaut en RDA, ce point de vue peut devenir impossible dans un futur assez proche.
A propos de futur, il semble probable que le Congrès financera la recherche et le développement du successeur du Lance, bien que la décision de produire ce missile dépende du résultat des élections allemandes de fin-90 et des développements des négociations sur les armes conventionnelles en Europe.
Une question qui n'a pas été affrontée et qui concerne les aspects nucléaires du débat sur la répartitions des dépenses de l'Otan. Aspin a déclaré, par exemple, que si les européens refusent d'installer les TNW sur leur territoire, le Congrès pourrait prendre une position du type "Pas de TNW-Pas de troupes", c-à-d, pas de soldats pour défendre l'Europe occidentale sans armes nucléaires.
Selon moi cet argument est moins convaincant de ce qu'il ne paraît. Il n'a de sens que dans le contexte d'un débat plus vaste sur la répartition des dépenses. C'est, autrement dit, un instrument pour convaincre les européens à dépenser davantage pour la défense alliée. Comme instrument, il ne fonctionne que si les européens sont intéressés à l'installation des TNW. Chose qui n'est plus évidente comme de par le passé.
En outre, je pense qu'il est de l'intérêt des américains, non seulement de défendre l'Europe, mais aussi de limiter leurs propres engagements, dans la mesure du possible, au domaine conventionnel. Sans compter que toute réduction qui résulterait des négociations sur les armes conventionnelles, devrait aider à résoudre la question de la répartition des dépenses dans le sens de dépenses inférieures pour tout le monde.
Pour conclure, je voudrais ajouter simplement quelques mots en dehors de la sphère du processus politique américain et dans le contexte - qui m'est plus familier - de la sécurité internationale.
Je crois que l'on peut dire que nous sommes en train de commencer à voir l'esquisse d'un nouvel ordre mondial dans lequel l'Urss est beaucoup plus intéressé à s'intégrer dans les économies de marché, qu'à se proposer comme alternative à celles-ci.
Sur ces bases, quelle que soit la chose qui arrive dans la longue période, il y a de bonnes probabilités que l'on arrive à une approximative parité de forces conventionnelles en Europe à court terme. Si cela arrive, il est clair que continuer à installer les TNW n'est pas de l'intérêt de l'Otan et que cet intérêt sera mieux servi par contre par les négociations qui prévoient leur retrait. Avec la parité numérique des armes conventionnelles, en effet, l'Otan pourrait jouir d'une marge d'avantage technologique qui ne serait compromis que par les armes nucléaires de théâtre de la par des adversaires. C'est sur la base d'un raisonnement assez semblable à celui-ci que la marine américaine a décidé récemment de ne pas moderniser trois types de missiles nucléaires à rayon court. Cf. Michael R. Gordon, "Navy Phasing Out Nuclear Rockets for Close Combat", The New York Times, 30 April 1989.
Paradoxalement, ces armes agiraient à nouveau comme "un grand stabilisateur", mais avec des rôles inversés. L'Europe serait encore en proie à la peur de la dévastation nucléaire et les deux super-puissances continueraient à raisonner en terme d'escalade, au lieu de se retrouver face à un équilibre conventionnel stable, avec, à l'appui, des dissuasions nucléaires minimes.
Avec une situation militaire européenne comme celle que je viens de décrire, il faut être vraiment des "fondamentalistes nucléaires" pour continuer à trouver de grandes vertus dans les armes nucléaires de théâtre.
Et enfin, il faudrait se demander de part et d'autre de l'Atlantique, à quels résultats conduit le fondamentalisme nucléaire pour certains problèmes qui seront bientôt au centre de la sécurité internationale, c-à-d, la prolifération des armes nucléaires et des missiles balistiques. J'espère qu'il sera clair à tout le monde, que le fait de traiter l'élimination des négociations des missiles nucléaires à rayon court comme un anathème, n'aide pas l'Occident à être crédible lorsqu'il demande aux autres d'y renoncer.
Interviews
- Jonathan Dean, ex-ambassadeur, conseiller pour le contrôle des armements à l'Union Of Concerned Scientists, Washington, Dc.
- Jesse James, Senior research analyst à l'Arms Control Association, Washington, Dc.
- F. Stephen Larrabee, vice-président et directeur des recherches à l'Institute for East-West Security Studies, New York.
- Jack Mendelsohn, vice-directeur, Arms Control Association, Washington, Dc.
- Bowman Miller, directeur du bureau pour l'analyse de l'Europe occidentale et du Canada, département d'Etat.
- Clark Murdock, professional Staff Member, Commission Forces Armées, Chambre des Représentants.
- R. Spencer Oliver, Chief Councel, Commission des Affaires Etrangères, Chambre des Représentants.
- Gregory Shulte, assistant pour la politique des forces nucléaires de théâtre, bureau de l'assistant pour la sécurité internationale du Secrétaire à la Défense, département de la Défense.
- John D. Steinbruner, directeur des études de politique étrangère à la Brookings Institution, Washington, Dc.