Document préparatoire pour le Conseil fédéral
Lorenzo Strik-Lievers
Olivier Dupuis
Ce document a été rédigé sur la base de discussions auxquelles ont également participé Sandro Ottoni et Antonio Stango.
La spécificité du Parti radical: agir sur la dimension transnationale des problèmes.
Il faut, avant toute analyse des perspectives politiques du Parti radical en Europe centrale et orientale, avoir clairement conscience de la différence structurelle qui existe entre l'optique du parti transnational qui doit être celle du P.r. et celle typique de forces qui luttent, à l'Est également, pour la transformation démocratique dans une perspective surtout nationale. Il serait tout à fait velléitaire d'imaginer un Parti radical qui opèrerait en faveur de la transformation démocratique de la Pologne ou de la Hongrie, aux côtés, ou d'une certaine manière en concurrence avec les diverses forces politiques nationales. Celui qui concevrait un rôle de ce type pour le Parti radical ne pourrait que le préparer à des désillusions et à des défaîtes.
Une force politique transnationale peut par contre jouer un rôle d'une importance fondamentale dans le processus de transformation démocratique du monde communiste si elle sait rester rigoureusement fidèle à sa vocation spécifique. On ne peut en effet ne pas tenir compte de ce qui constitue une des caractéristiques centrales du processus de démocratisation, à savoir, précisément, qu'il s'agit d'un processus non seulement national, mais en large mesure transnational, puisque:
1. les liens d'interdépendance entre les développements démocratiques en Hongrie et en Pologne et les développements démocratiques soviétiques sont décisifs dans un contexte toujours défini par l'appartenance de l'Europe centrale et orientale à un empire dont la capitale est Moscou;
2. les aspects économiques conditionnent de façon déterminante les possibilités de développement démocratique. On ne peut donc négliger la considération élémentaire qui veut qu'il n'existe aucune marge de manoeuvre pour affronter de façon autarcique les difficultés économiques de chacun des pays, mais que des solutions peuvent être recherchées et trouvées seulement dans le cadre international;
3. l'issue des processus de démocratisation est inextricablement liée à la diffusion des tensions et des conflits nationaux ou ethniques dans de nombreuses parties du monde communiste et, par conséquent, à la question de la sécurité européenne et mondiale.
Tel est le contexte général des problèmes que les différentes forces démocratiques nationales sont, de par leur nature même, le moins en mesure d'affronter. Tel est aussi ce qui constitue pour le processus démocratique dans son ensemble un des facteurs de plus grande faiblesse et difficulté. C'est par contre le contexte spécifique, et pourrions-nous dire, la raison de la nécessité d'une force politique démocratique transnationale. Ceci est d'autant plus vrai et valable pour une force comme le P.r. qui se propose d'être force transnationale non seulement à l'Est ou à l'Ouest, mais qui se constitue comme parti transnational, comme parti agissant en même temps dans le monde occidental et dans le monde communiste. Un parti, par conséquent, qui veut être en mesure d'intervenir, avec son approche fédéraliste, sur le terrain décisif de l'interdépendance Est-Ouest en ce qui concerne les rapports économiques et la dimension de la sécurité.
Le Sommet de Paris. Une nouveauté de grande importance pour les perspectives d'une politique transnationale.
De ce point de vue précisément, le Sommet de Paris des Sept pays occidentaux les plus industrialisés modifie profondément les termes dans lesquels l'initiative radicale se pose par rapport à l'Est européen.
Jusqu'à ce jour, c'était les spécificités nationales de chacun des processus de renouveau démocratique qui ressortaient avec le plus d'évidence. Par conséquent la transformation démocratique en Hongrie ou en Pologne, était ressentie en premier lieu comme un fait intérieur hongrois ou polonais. C'est pourquoi il n'était pas toujours facile de faire saisir la valeur déterminante et décisive de la dimension transnationale. Les urgences de l'actualité pouvaient sembler à beaucoup, et sans doute aussi à l'intérieur du Parti radical lui-meme, autres, liées à divers thèmes de politique intérieure, nationale. Cependant le parti ne peut pas ne pas affronter les questions de l'encouragement et de l'aide occidentale aux processus de démocratisation, de la liaison démocratique Est-Ouest selon l'approche fédéraliste européenne, de la promotion de moments de coordination transnationale des batailles démocratiques des différents pays.
Le voyage du Président Bush d'abord et, surtout, le Sommet de Paris ensuite, ont modifié la situation: la centralité et l'importance de la dimension internationale et transnationale de la transformation démocratique à l'Est est apparue au premier plan aux yeux de l'opinion publique de l'Est et de l'Ouest. De plus, un rôle de coordination dans la gestion du soutien international à la démocratisation a été attribué à la Communauté européenne suite à une initiative, essentiellement - faut-il le dire - du Président américain. Ce qui signifie, entre autres choses, une reconnaissance de la Communauté comme sujet politique de premier plan.
Il ne peut échapper à personne à quel point ce changement de perspective est important. Aucune prise de conscience concrête ne s'était manifestée jusqu'ici sur la mesure dans laquelle le succès ou l'échec des tentatives démocratiques à l'Est pouvait dépendre d'une initiative et d'un engagement sérieux de l'Occident. Aucune prise de conscience non plus quant à l'énorme importance que l'une ou l'autre issue pourrait signifier pour l'Occident lui-même. Les initiatives américaines et européennes avaient représenté jusque là bien peu de choses. Par rapport à la transformation démocratique en cours à l'Est, l'Europe comme telle n'existait pas, ou presque pas. L'établissement de rapports entre la C.E.E. et le Comecon, et entre la C.E.E. et la Hongrie et la Pologne, bien que positif, restait en tant que tel tout à fait marginal, notamment parce que ces rapport restaient extrêmement limités quant à leurs effets pratiques. Une multiplicité d'initiatives nationales, étatiques et privées, existaient bien mais elles ne p
ouvaient, vu leur dimension globale et leur fragmentation, constituer une politique ni même des moments d'une action à la hauteur des exigences et des responsabilités d'une présence ouest-européenne significative. La ligne politique de l'Allemagne fédérale était, dans ce contexte, particulièrement indicative. Celle-ci se caractérisait en effet bien moins comme une politique européenne que comme un développement en termes nationaux allemands de la traditionnelle Ostpolitik. Ostpolitik qui, rappelons-le, n'a jamais signifié l'encouragement à de possibles développements démocratiques.
Les décisions de Paris signifient avant tout une assomption effective de responsabilité politique de l'Occident dans son ensemble. Elles indiquent donc une initiative qui a une signification politique organique et qui se propose effectivement d'utiliser l'"arme économique" comme instrument de promotion de la démocratie. Et, ce qui est important, c'est de faire exister l'Europe dans CE cadre et, plus encore, de confier à la Communauté européenne, par l'intermédiaire de la Commission de Bruxelles, la fonction de coordination de l'initiative démocratique de l'Occident. En termes de méthode il s'agit sans aucun doute d'une conquête de grande importance. D'une certaine façon on peut entrevoir dans cette option politique un premier pas en direction d'une assomption collective de responsabilités à l'égard de l'exigence de "gouverner" les grands problèmes de portée transnationale. En même temps, on peut y voir un pas très significatif en direction du dépassement du principe de non-ingérence utilisé comme paravent po
ur couvrir la complicité avec les dictatures de tout type.
En plus ce dépassement du principe de non-ingérence ne se produit pas sous la forme d'une pression qui serait telle qu'elle violerait l'indépendance des pays intéressés; au contraire l'intervention occidentale se dessine comme un soutien à des décisions prises de façon autonome. C'est, par ailleurs, précisément pour cela qu'elle finit par déterminer objectivement - non pas sous la forme de la menace ou du chantage - une forte pression de caractère destabilisant vis-à-vis des régimes de l'Est restés complètement étrangers à toute forme de démocratisation.
Et s'il est vrai qu'en ce qui concerne les rapports Nord-Sud et les questions de macro-écologie le Sommet de Paris s'est limité à des affirmations génériques, sans les traduire en engagements politiques, il faut dire que la méthode adoptée en ce qui concerne la transition démocratique des pays communistes est celle qui permettrait d'affronter également, en des termes finalement adéquats, les thèmes de l'environnement et des rapports avec le Tiers-Monde. Thèmes qu'il faut affronter suivant le principe de la priorité des droits de l'Homme. Sous d'autres aspects, on ne peut pas ne pas relever toute la valeur de la lettre de Gorbachev aux Sept dans laquelle il envisage une pleine implication de l'Urss dans cette assomption commune de responsabilités.
Un "triomphe" radical. Le P.r. dépassé ?
On peut donc dire que, sous certains aspects, nous assistons à un "triomphe" de principes et d'idées que le P.r. a mis depuis longtemps au centre de sa propre politique. Qu'il s'agisse du devoir d'ingérence, de la connexion entre rapports économiques et promotion des droits de l'Homme et, naturellement, de l'exigence d'une action politique responsable au niveau transnational. Dans la meme optique le fait que l'Europe commence à exister en termes d'initiative politique, comme sujet actif d'une initiative internationale destinée à soutenir et à promouvoir une croissance de démocratie en dehors des confins de la Communauté, s'inscrit - bien qu'encore en termes de prémisse - dans la ligne radicale.
Deux lectures opposées sur le rôle qui devrait etre aujourd'hui celui d'une force qui se propose les objectifs que le P.r. transnational s'est donné pourraient découler des considérations déjà faites.
On pourrait dire en effet qu'il reste à ce stade bien peu d'espace pour un petit mouvement comme le P.r., dès lors que la substance de sa proposition politique sur les rapports avec l'Est est devenue celle des grands de ce monde et que le rythme et la portée de la transformation en cours à l'Est semblent dépasser de loin les possibilités d'initiative et de présence d'une organisation comme le P.r.
Mais il est possible aussi de tirer la conclusion opposée. La perspective d'une situation comme celle esquissée par le Sommet de Paris rend en réalité nécessaire le développement d'une grande et puissante initiative politique transnationale pour la démocratie et le droit. Celle-ci ne peut partir que des limites, évidentes et visibles, des décisions prises par les Sept et de la nécessité dont on ne peut faire l'économie que les aspects positifs de ces décisions doivent être défendus, soutenus, développés sur un plan qui ne soit pas seulement celui des accords diplomatico-intergouvernementaux.
C'est sur ce terrain, c'est sur la capacité qu'il aura de répondre à cette exigence que l'existence du Parti radical transnational se joue.
Certes, si dans une situation aussi nouvelle, le P.r. ne réussissait pas à dépasser la tentative de se construire en affirmant seulement sa propre nature transnationale, il se trouverait inévitablement marginalisé et écarté par les évènements. Le problème du P.r. est celui de devenir - grâce à un projet et à des hypothèses politiques adéquates - le noyau promoteur d'un grand mouvement politique d'un type nouveau, capable de mobiliser et d'organiser les opinions publiques dans les différents pays. Il faut en fait donner un fondement de force politique authentique aux nouveautés positives qui se sont dessinées, mais qui, il est bon d'en tenir compte, sont liées à une situation contingente et à des accords entre gouvernements qui peuvent être reniés à n'importe quel moment. Il faut par conséquent créer l'instrument d'action politique qui sache arriver à traduire en institutions, en droit positif démocratique transnational et supranational, les acquis que les accords de ce Sommet ont esquissés.
Une proposition: le P.r. une force transparlementaire Est-Ouest promue par le P.r.
La clé d'une initiative en ce sens peut consister, à notre avis, en l'idée - qui peut être à notre portée - de faire naître à l'intérieur du P.r. ou sur initiative de sa part, une structure où les parlementaires de l'Est et de l'Ouest, appartenant à des Parlements et à des partis différents, puissent se rencontrer et se coordonner pour promouvoir ensemble, chacun dans et à partir de leur propre institution, des initiatives communes de soutien au processus de démocratisation. Une telle proposition naît en premier lieu de la constatation qu'un des caractères nouveaux des réalités soviétique, hongroise et polonaise consiste dans le rôle que les institutions parlementaires ont assumé dans ces pays, devenant les lieux où se jouent la confrontation entre les différentes forces politiques. Elle nait en second lieu de la prise de conscience par les radicaux que la présence du P.r. dans différents Parlements occidentaux - non plus en tant que parti national mais en tant que parti transnational et transparti, comptant
déjà parmi ses propres inscrits des parlementaires appartenant à différents partis nationaux et à diverses nationalités - le rend adapté pour préfigurer un tel instrument transeuropéen et transparlementaire, un instrument capable de mettre à l'ordre du jour en "temps réel" dans les différents Parlements les grandes questions d'intérêt commun de la démocratie européenne, à l'Est et à l'Ouest.
La valeur qu'une réalité de ce genre pourrait revêtir pour les objectifs dont nous parlions plus haut est évidente. Elle offrirait un instrument précieux d'initiative pour alimenter une volonté démocratique et européenne commune. Un instrument traversant les anciennes frontières, capable de stimuler et de contrôler l'application des mesures esquissées lors du Sommet des Sept et d'en proposer et d'en conquérir d'autres de manière coordonnée.
Il ne faut pas négliger non plus la valeur qu'un tel lieu de coordination entre parlementaires hongrois, polonais, soviétiques et yougoslaves - appartenant tant aux mouvements indépendants qu'aux partis communistes - pourrait revetir à l'Est. Les parlementaires trouveraient là l'endroit où projeter ensemble, dans un cadre transnational, les actions d'intérêt commun. Ils auraient en plus la possibilité de leur donner plus d'échos et de susciter des initiative correspondantes dans les Parlements occidentaux.
Les parlementaires d'Europe occidentale pour leur part, animés d'un esprit fédéraliste, pourraient trouver force, arguments et crédibilité dans le stimulus qui leur arriverait des Parlements d'Europe centrale et orientale, pour relancer l'objectif de la construction de l'Europe politique, aujourd'hui refoulé pour l'essentiel par une très grande partie des classes politiques européennes. De ce point de vue les résultats du Sommet de Paris devraient constituer déjà une forte impulsion. En effet, en attribuant un rôle politique d'importance aux institutions communautaires, le Sommet a fourni un argument de poids à ceux qui considèrent que la démocratisation des institutions communautaires est une nécessité absolue et qui, par conséquent, contestent la base institutionnelle actuelle de la Communauté.
Sur un autre plan, il faut prendre en considération que si le P.r. réussissait à mettre en route la construction d'une structure politique semblable, il en découlerait une multiplication des occasions d'agrégation et d'engagement pour les militants radicaux dans les pays de l'Europe centrale et orientale.
Le fédéralisme européen change de signification.
Parce qu'une telle initiative traduirait en réalité politique concrete le nouveau visage qui doit etre aujourd'hui celui du fédéralisme européen, le Parti radical deviendrait grace à elle, plus encore et de manière plus accomplie et organique, ce sujet politique fédéraliste qu'il est dans ses intentions de constituer et de faire croître.
Il faut en fait avoir clairement conscience que les changements profonds intervenus dans le monde communiste et, par conséquent, dans le cadre international tout entier, impliquent une transformation profonde, radicale, de la perspective fédéraliste. Finalement et pour la première fois, il est possible aujourd'hui de récupérer, en des termes certainement nouveaux, une partie essentielle du message fédéraliste originaire proposé par le "Manifeste de Ventotene" de Spinelli et Rossi. La fédération européenne dont ils se faisaient les apôtres en 1943 devait s'étendre au continent tout entier. Elle était conçue en premier lieu comme un instrument pour empêcher à tout jamais le retour du spectre de la guerre. Par la suite, lorsque le rideau de fer tomba, le fédéralisme européen fut conçu, et il ne pouvait en être autrement, dans le seul cadre du bloc occidental, comme une articulation de ce cadre. Aujourd'hui la naissance d'une espérance et d'une réalité démocratique en Europe centrale et orientale permet, ou plut
ôt impose, de reprendre un dessein fédéraliste qui concerne toutes les parties d'Europe et même plus - comme, nous radicaux, le soutenons - pas seulement d'Europe.
C'est dans ce cadre, toujours plus évident à mesure que les années ou plutot les mois ou même les jours passent, que le P.r. doit approfondir le sens de l'indication qu'il a donnée en lançant le mot d'ordre de l'adhésion de la Yougoslavie et, plus récemment, de la Hongrie également, à la Communauté européenne.
Quand elle a été formulée pour la première fois, il y a dix ans, la proposition radicale d'insersion de la Yougoslavie dans la Communauté européenne trouvait sa signification surtout dans la contestation de l'illusion du non-allignement comme support de l'indépendance nationale. L'élargissement il y a un an du discours à la Hongrie naissait de l'exigence d'indiquer la ligne directrice d'un soutien concrêt de l'Europe occidentale à l'espérance démocratique née dans ce pays. Il est possible et nécessaire aujourd'hui d'intégrer ces propositions, ou celle qui pourrait concerner la Pologne, dans le cadre d'une évaluation et d'un dessein politique d'ampleur plus vaste et plus globale.
Ne pas déstabiliser Moscou: des propositions fédéralistes dans cette optique.
Le dessein politique ne peut qu'être que celui d'intervenir de la façon la plus efficace possible pour soutenir les développements démocratiques en cours dans l'Empire soviétique dans son ensemble. C'est principalement sur base de l'évaluation de ce cadre global que toute proposition de type fédéraliste européen doit être conçue et évaluée: de ce point de vue des propositions fort différentes l'une de l'autre sont en effet immaginables, et à même d'entrainer des effets de signe contraire.
Il est clair pour tous que le match de loin le plus important mais aussi le plus difficile est celui qui se joue à l'intérieur de l'Union soviétique. Il ne se passe pas un jour sans que des nouvelles de ce pays nous arrivent et nous confirment à quel point la bataille est dure et ardue, à quel point son issue est dramatiquement incertaine. Le péril qui, de toute évidence, menace de balayer les espérances de transformation démocratique est représenté par l'addition des difficultés économiques et de l'incapacité de les affronter aux ravages des conflits nationaux. Cocktail qui risque de faire précipiter le pays dans un état de chaos où les tentations et les pulsions en faveur d'une réponse restauratrice ou en tout les cas autoritaire - au moyen, éventuellememt, de la prise du pouvoir, directement ou indirectement - par les éléments militaires, se feraient très fortes.
Si cela est vrai, il est - paradoxalement - nécessaire et vital pour que la véritable révolution que constitue la transformation démocratique en cours puisse durer et s'accomplir, que la stabilité du régime - une "stabilité dynamique" certes - soit sauvegardée pour l'essentiel. On peut dire que ce processus, pour le moins substanciellement révolutionnaire, pourra s'accomplir dans la mesure seulement où il restera sur des rails rigoureusement réformistes et gradualistes.
Il s'agit, en sommes, d'un retournement complet de la situation en vigueur sous Brejnev, quand nous, radicaux, soutenions avec justesse que l'objectif premier était celui de déstabiliser le pouvoir soviétique au moyen d'initiatives nonviolentes et à travers l'arme de l'information. Il s'agit là d'une considération de fonds qui doit être à la base de notre approche des pays de l'Est. (Ce qui n'enlève rien, naturellement, à la conscience qui doit rester claire et pleine quant à la validité de l'objectif et de la méthode de déstabilisation en ce qui concerne les régimes communistes restés réfractaires au processus de réforme démocratique ou aux prises avec une tragique dégénérescence du totalitarisme lui-même, comme c'est le cas en Roumanie; même si la réalité globalement nouvelle du monde communiste implique que cette approche se fasse en des termes et avec des instruments nouveaux.)
Ce qu'il faut alors certainement éviter c'est d'avancer des propositions fédéralistes européennes en direction de l'un ou de l'autre pays communiste, en des termes tels qu'ils puissent représenter des éléments possibles de déstabilisation à Moscou. Des propositions - comme celles émanant de certains milieux du Congrès américain - qui pourraient signifier une tentative de modification du cadre stratégique et de l'équilibre entre les deux blocs aux dépens de l'Union soviétique, avec une référence particulière à la dimension de la sécurité, seraient par conséquent négatives. Une telle attitude présagerait très certainement un jeu de massacre irresponsable, dans la mesure où il ne pourrait pas ne pas avoir des conséquences gravement déstabilisantes en Union Soviétique.
En définissant en perspective un rôle pour le "facteur Europe" par rapport aux développements du bloc communiste, le Sommet des Sept a montré du reste qu'il était pleinement conscient de ce problème et de cette exigence.
Faut-il adresser aussi à l'Urss la proposition fédéraliste ?
Se mettre dans cette optique ne veut pas dire naturellement mettre entre parenthèses les propositions fédéralistes européennes à l'égard de la Yougoslavie, de la Hongrie et de la Pologne. Il s'agit plutôt de se mesurer - même dans la recherche des voies les plus efficaces pour assurer un soutien au changement démocratique dans ces pays - avec de très forts facteurs d'interdépendance entre les différents processus démocratiques qui traversent le monde communiste. Au point que l'on peut parler à ce propos et sous certains points de vue d'articulations différentes d'un seul et même grand phénomène politico-social, même si ces processus sont indubitablement de caractères, de natures et d'origines très différents l'un de l'autre. On peut discuter en effet, et on le fait, de la question de savoir si et dans quelle mesure les choix décisifs en ce qui concerne aussi la Pologne et la Hongrie se décident à Moscou, autrement dit dans la capitale de l'empire dont ces pays continuent à faire partie. Autrement dit il peut
être vrai que les développements démocratiques à Budapest et à Varsovie sont à tel point avancés et que l'Urss est par contre si peu en mesure de prendre également en charge les problèmes des autres pays qu'une éventuelle restauration en Urss - à la condition bien sûr que les diverses appartenances au bloc soviétique ne soient pas remises en cause - n'entrainerait pas nécessairement la défaîte des processus démocratiques hongrois et polonais. Mais le contraire est possible également. A savoir qu'une catastrophe à Moscou comporterait nécessairement le suffoquement des expériences démocratiques dans ces régions de l'empire également.
Restant donc établi, en tout les cas, que les développements internes en Pologne et en Hongrie peuvent conditionner négativement ou positivement les développements démocratiques soviétiques, il demeure d'un intérêt vital pour défendre l'espérance démocratique dans ces deux pays aussi, comme en perspective dans d'autres pays, de ne pas augmenter mais au contraire d'alléger les difficultés de la transition vers la démocratie en Urss.
C'est en tenant compte de ce cadre d'ensemble que toutes les initiatives fédéralistes en direction de l'Europe de l'Est doivent être conçues. Leur valeur doit être celle de propositions qui créent des opportunités et offrent des occasions de croissance commune pour l'Est-européen.
Ainsi, loin d'attribuer une signification antisoviétique à la proposition fédéraliste adressée à la Yougoslavie, à la Hongrie et à la Pologne, il faut expliciter toujours plus la notion qu'une telle proposition s'adresse à chacun des pays de l'Europe ex-communiste qui devient démocratique et parce qu'il devient démocratique. Une telle proposition est par conséquent fonction non pas d'une logique de bloc, mais d'un critère de démocratie et de respect de l'Etat de Droit. Plus encore il faut dire que cette proposition fédéraliste ne peut pas ne pas être également adressée tendanciellement à une Union Soviétique qui, avançant radicalement sur la voie sur laquelle elle s'est engagée, serait capable de conquérir vraiment et solidement une physionomie d'Etat démocratique, d'Etat de Droit.
Les difficultés qui se profilent à la seule évocation d'une perspective de ce genre sont évidentes. Il suffit de penser aux problèmes qu'une intégration - même limitée - avec une super-puissance poserait aux faibles et riches Etats d'Europe occidentale. Super-puissance qui a été historiquement leur adversaire, qui a l'histoire qu'elle a, qui a des traditions et des structures économiques et sociales aussi lointaines et différentes de celles des pays occidentaux. Pour ne pas parler des énormes questions qui se poseraient du point de vue des relations entre l'Europe occidentale et les Etats Unis d'Amérique, relations qui ont constitué, on ne peut l'oublier ne fut-ce qu'un instant, le pillier sur lequel la démocratie a pu renaître et croître en Europe occidentale après la seconde guerre mondiale. Relations qui constituent par ailleurs un des noeuds vitaux des équilibres mondiaux.
Certes les indications qui, sur ce plan également, sont ressorties du Sommet de Paris, tout comme la disponibilité américaine de reconnaître à l'Europe un rôle propre dans une optique qui ne soit pas, par conséquent, celle d'une opposition Europe-Usa, ni celle d'un retrait américain de l'Europe, sont des éléments importants qu'il faut évaluer: quelques soient les facteurs - de politique intérieure également, ou liés aux difficultés de l'économie américaine - qui ont amené les américains à ce tournant.
Une nouvelle voie pour le dépassement des blocs. Le soutien à la démocratisation comme politique de sécurité.
De ce point de vue l'exigence qui se pose et que le Parti radical doit avoir pour tâche de soulever avec toute la force dont il peut disposer, est de repenser de façon complète la logique de l'Alliance Atlantique. Il faut retourner aux raisons originaires de la solidarité occidentale, de la solidarité d'un ensemble qui se définissait alors - non pas par hasard - comme le "monde libre". Une solidarité qui naissait bien moins dans une optique "anti-russe", hostile à la grande puissance russe en tant que telle, que dans une optique antitotalitaire, de défense des Etats libres et démocratiques contre la menace de l'expansion du communisme totalitaire. Certes, la logique de puissance des Etats Unis d'Amérique et de ses alliés s'est bien vite superposée à ces raisons initiales. Et on peut dire qu'elles ont probablement fini par prévaloir au cours des années. Mais les termes nouveaux de la situation mondiale rendent aujourd'hui réaliste, en plus que nécessaire, le retour à cette optique originaire. Et une fois enco
re les résultats du Sommet des Sept semblent indiquer des ouvertures, ou à tout le moins des non-fermetures à l'égard de la possibilité de faire des pas significatifs dans cette direction.
Il est possibile et juste dans cette optique de proposer en des termes profondément nouveaux la question du dépassement des blocs, à partir précisemment de ces exigences et non plus dans les termes d'un pacifisme disposé à négliger et à ignorer les exigences vitales de la défense de la liberté et de la démocratie. On peut par conséquent prévoir un dépassement progressif des blocs militaires antagonistes, en raison et en fonction de la chute du totalitarisme et de sa menace, chute en termes réels, autrement dit capable d'offrir de sérieuses garanties. C'est à partir de là et parallèlement à un processus de ce genre, qu'il sera possible de construire sur d'autres bases un nouvel ordre international. On peut dire plus encore qu'avoir la force de proposer une ligne de tendances telle que celle-là, signifierait créer un très fort élément de pression pour stimuler et soutenir les processus de démocratisation.
Certes il s'agit de concevoir et de définir les traits fondamentaux d'une politique de sécurité différente. Mais comment ne pas comprendre que dans une optique telle que celle indiquée le soutien aux processus de démocratisation à l'Est ne pourrait que faire partie intégrante d'une politique occidentale de sécurité bien comprise ? En ce sens il serait juste et opportun de mesurer la dimension de l'engagement occidental à l'aune du soutien, économique également, à ces processus. Soutien qu'il faudrait aussi mettre en rapport avec l'effort économique que l'Occident consacre à sa propre défense. Et s'il existe, comme il existe certainement, un problème de compatibilité financière et économique entre les disponibilités de l'Occident et les ressources qu'il serait nécessaire d'allouer à l'Est, il faut alors se poser la question de savoir si, en termes de sécurité précisemment, l'utilisation dans cette optique nouvelle des crédits attribués aujourd'hui aux dépenses militaires ne constituerait pas un choix sage et
clairvoyant. (Il ne faut pas sous-évaluer que c'est sur ce terrain précisemment, où Gorbachev multiplie les initiatives en matière de désarmement, que l'Occident est appellé à se confronter, en le mettant à l'épreuve).
Cette considération est d'autant plus essentielle que, dans la mesure où le terrain économique étant le terrain décisif sur lequel se jouera le succès ou la faillite de la réforme démocratique, il apparait évident que le véritable étalon de mesure de la qualité, de la vérité de l'engagement occidental dans le soutien à la démocratisation du monde communiste, est determiné par le type et la quantité de l'effort économique à travers lesquels les promesses encore génériques du Sommet des Sept se concrétiseront. Mais cet étalon de mesure sera déterminé en même temps par la capacité de l'Occident d'intégrer cet effort dans une perspective fédéraliste, à travers la construction progressive et commune d'éléments institutionnels de droit supranational.
Une Europe à trois niveaux: le niveau des droits et des libertés, le niveau de l'économie et le niveau de la politique.
On peut parler, sur base de ce qui a été dit jusqu'ici, de trois niveaux distincts de nécessité auxquels une proposition politique fédéraliste démocratique en direction de l'Est doit répondre:
1. ne pas provoquer de déséquilibres sur le plan stratégique;
2. représenter un facteur de soutien économique concret;
3. jouer comme élément stimulateur, consolidateur et de garantie des conquêtes démocratiques;
De simples propositions d'adhésion à la Communauté européenne telle que celle-ci existe aujourd'hui peuvent résulter alors inadéquates en soi si l'on considère quelques-unes des caractéristiques les plus importantes de la C.E.E., et notamment qu'il s'agit d'une simple communauté économique d'une part et d'une structure tout à fait interne au bloc occidental de l'autre. Il est probablement nécessaire d'entamer un débat qui permette de mettre en évidence des instruments multiples de rapprochement et d'intégration capables de tempérer les différentes exigences et de créer un cadre nécessairement articulé tant du point de vue des instruments que dans le temps. Cadre dans lequel il soit possible d'affronter et de dépasser positivement les énormes difficultés existantes.
Il n'est évidemment pas possible ici d'aller au delà de la suggestion de quelques éléments de réflexion en ce sens.
S'il est vrai que la proposition d'adhésion stricto senso à la C.E.E. peut soulever les objections que nous venons à peine de rappeller et qu'elle serait de toute façon difficilement concevable aujourd'hui en ce qui concerne l'Urss, il en serait autrement dans le cas d'un Pacte européen qui rassemblerait des pays de l'Est et de l'Ouest, même en nombre limité, et qui aurait pour objet non pas les matières économiques mais celles des garanties de droit et de liberté pour les citoyens ainsi que celles, éventuellement, relatives à l'envirronement. Un Pacte qui pourrait prévoir aussi des organes institutionnels représentatifs dotés de pouvoirs de législation et de contrôle supranationaux effectifs et de portée et d'efficacité correspondantes à ceux qui sont attribués, dans des matières différentes, à la C.E.E.
Il existe déjà par ailleurs un lieu institutionnel sur la réforme et l'élargissement duquel on peut travailler pour avancer de façon réaliste dans cette direction: le Conseil de l'Europe. Une organisation qui, rappelons-le, comprend 23 pays européens et dont la Cour Européenne des Droits de l'Homme est la structure la plus importante. Il est extremement significatif que le Conseil de l'Europe ait récemment accueilli en tant qu'"invités spéciaux" la Hongrie, la Pologne, la Yougoslavie et l'Urss. Il est tout aussi significatif, dans la perspective que nous sommes en train d'indiquer, que Gorbachev ait choisi de parler à l'Europe occidentale à partir de cette institution, l'indiquant comme lieu possible où développer la construction de ce qu'il appelle la "maison commune européenne". D'un autre coté, les Accords d'Helsinki qui rassemblent, comme on sait, en plus de tous les pays européens (à l'exception de l'Albanie) les Etats Unis et le Canada pourraient offrir un point de référence, une base idéale pour la co
nquête d'instruments institutionnels et juridiques supranationaux adéquats.
L'actuelle C.E.E., sans pour autant remettre en question l'objectif de sa réforme démocratique, continuerait évidemment à exister aux côtés de cette institution européenne nouvelle ou renouvellée. Il est clair cependant que les possibilités sont minimes de faire, dans des "délais politiques", de l'actuelle C.E.E. dans son entièreté, les Etats Unis d'Europe avec les renoncements de souveraineté nationale en matière de politique étrangère, de défense et de monnaie que cela comporte. Il est clair par conséquent que ce dernier objectif ne peut être probablement poursuivi aujourd'hui que sur base d'un accord entre une partie seulement des actuels Etats membres.
Dans cette optique on peut imaginer idéalement une situation qui verrait une présence commune de trois niveaux différents d'intégration sur la scène européenne, avec pour chacun d'entre eux un éventail différent de participation. Le niveau économique (l'actuelle C.E.E.); le niveau des droits de la personnes et éventuellement des matières concernant l'environnement; le niveau proprement politique correspondant au premier noyau des Etats Unis d'Europe.
La seule existence d'un cadre européen articulé de cette manière pourrait avoir en soi pour effet de faire tomber quelques-uns des obstacles, prévisibles dans la situation actuelle, concernant des hypothèses d'adhésion à la C.E.E. de la part de pays de l'Est. D'une part en effet, les caractéristiques d'organisme interne à l'Occident propres de la C.E.E. seraient fortement atténuées, de l'autre, une dynamique politique pourrait s'instaurer à partir de la création de cette "Europe juridique", enlevant au processus de construction européenne dans son ensemble beaucoup de son contenu "de bloc".
Par contre un processus d'intégration européenne doté de ces caractéristiques serait ouvert vis-à-vis de l'Est et de l'Union soviétique elle-même sans revetir pour cela la moindre signification de rupture de la solidarité entre les démocraties américaines et européennes. Que du contraire, ce sont précisément une telle élasticité et une telle multiplicité de plans institutionnels qui permetteraient la participation à l'un ou l'autre de ceux-ci des Etats Unis d'Amérique ou d'autres Etats démocratiques extra-européens. (Chacun se souvient du sens et des termes des propositions radicales quant à la participation d'Israël aux Etats Unis d'Europe, ou quant au rôle que des propositions analogues pourraient revêtir pour la promotion de la démocratie et de l'Etat de Droit en Afrique, ou encore quant à la signification que prendraient de telles propositions si elles étaient adressées à des pays de démocratie en danger comme l'Argentine).
Ainsi conçue la construction européenne ne pourrait emprunter la voie néfaste de l'édification d'un nouveau super-Etat national (de façon analogue à ce qui s'est produit, sur une autre échelle, dans l'Allemagne du siècle dernier), mais pourrait représenter au contraire un premier point de départ concret du processus de construction d'un type nouveau de réalité politico-institutionnelle de démocratie et de droit transnational et supranational.
Le P.r. peut devenir l'interlocuteur du Parti communiste soviétique lui-même.
Ce n'est que sur ces thèmes, sur des problèmes de cet ordre que le défi politique du Parti radical peut etre mesuré. Et il faut dire qu'un Parti radical transnational qui réussirait à se faire porteur d'une politique fédéraliste de cette envergure - au delà naturellement de la validité des hypothèses esquissées ici - pourrait nourrir légitimement l'ambition de se poser en interlocuteur, à l'Est, du Parti communiste soviétique lui-même. Lequel, non sans raison du reste, propose par la voix de son secrétaire général - comme nous l'avons déjà rappellé - les thèmes de la "maison commune européenne" et d'un espace juridique européen.
C'est dans ce cadre qu'il faudrait évaluer l'hypothèse d'une initiative du Premier secrétaire du P.r. afin qu'il puisse accomplir une "visite de parti" officielle en Urss pour établir des relations avec le PCUS sur base des perspectives politiques que nous venons de décrire. L'organisation en Union Soviétique d'un colloque rassemblant des radicaux et d'autres forces politiques, où il serait possible de se mesurer sur ces thèmes, pourrait représenter une première occasion de collaboration. La promotion, toujours en Urss, d'un colloque sur le problème des nationalités dans l'optique du fédéralisme démocratique pourrait en etre une autre. De telles initiatives pourraient être promues également par la structure transparlementaire dont nous avons parlé précédemment.
Dans cette perspective le P.r. doit jouer un rôle fondamental de dialogue-confrontation-opposition avec les différentes forces politiques qui agissent dans les pays de l'Est, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur des partis de régime. Le Parti radical doit cependant remplir une fonction d'une envergure non moins importante dans le cadre politique européen-occidental. Il est en effet indispensable de trouver au sein de celui-ci les énergies nécessaire à la promotion d'une dynamique fédéraliste capable d'affronter l'occasion historique qui se présente à l'Est.
La question allemande.
La question allemande et les caractéristiques que la politique allemande revet toujours plus nettement, représentent de ce point de vue - et il est bon d'en avoir conscience - un problème capital sur lequel il est absolument nécessaire de se mesurer. Des voix, toujours plus nombreuses, se lèvent en Allemagne pour exiger un changement substanciel de ses priorités politiques. Elles revendiquent l'abandon de la centralité de la dimension européenne, ou même occidentale, et le déplacement du centre de gravité politique vers la dimension spécifiquement nationale. Elles demandent en d'autres termes le renforcement d'une logique nationale allemande. Et c'est donc naturellement dans cette optique - et non dans l'optique européenne - qu'elles reproposent le thème de la réunification allemande. Avec ce qui en découle, entre autres choses, quant au rôle que l'Allemagne fédérale joue ou doit jouer dans l'Est européen. Il reste, certes, à évaluer si l'assentiment allemand aux conclusions du Sommet signifie la décision de
la R.F.A. d'assumer le leadership d'une politique européenne positive, ou s'il s'agit au contraire d'une couverture pour une politique d'un autre type. De toute évidence face à la résurgence des vocations au retour en arrière que représente la recherche de solutions nationales, il apparait en tout les cas nécessaire de susciter partout en Europe, et aussi en Allemagne, une forte réponse fédéraliste.
La tragédie des conflits ethniques et nationaux. Le risque de naufrage de la démocratie.
Tel est, en termes larges, un des thèmes les plus dramatiques de la vie européenne. On assiste en effet sous mille formes et visages au retour de la priorité de la dimension ethnique ou nationale, prise à nouveau, à l'époque de la mort de tant d'idéologie, comme lieu en soi de valeurs. De là le renforcement, en Occident, de phénomènes de types nationalistes, phénomènes aux connotations diverses, racistes ou équivalentes. De là, surtout, l'explosion dans l'empire soviétique et en Yougoslavie des conflits nationaux ou ethniques.
Il s'agit là, comme de nombreux observateurs l'affirment par ailleurs, du danger mortel - inextricablement mélé au danger qui dérive des terribles carences économiques - qui risque de faire naufrager le processus de démocratisation en cours en Urss. Des dangers de type analogue pèsent également, c'est bien connu, sur la Yougoslavie. Ces phénomènes et les risques qu'ils font courir sont d'autant plus dangereux qu'en Union Soviétique et dans les pays satellites, la question de la libération nationale a été légitimement ressentie durant des années comme inséparable de la libération du totalitarisme.
Il est inévitable et nécessaire qu'une force transnationale telle que le Parti radical assume de façon centrale cette problématique. Le P.r. ne peut en effet se soustraire à la responsabilité et refuser la charge de tenter au moins, en mobilisant toutes ses énergies, de se mesurer à cet énorme problème actuel et de contribuer à sa résolution en termes de fédéralisme démocratique.
Il est difficile d'imaginer en l'état actuel des choses comment une force telle que le P.r. pourrait se mettre dans les conditions d'intervenir vraiment sur ce terrain. Néanmoins un premier pas pourrait sans doute être accompli grace au colloque sur le thème des nationalités dont nous venons de parler. Les hypotèses de solution que ce colloque devrait mettre en évidence devraient partir évidemment de l'affirmation des principes de l'Etat de Droit. Une réflexion préliminaire à laquelle il est peut-être utile de faire référence ici, est celle relative à la différence substancielle entre deux types de conflits ethniques et nationaux. D'un côté les conflits qui naissent de l'opposition entre un centralisme étatique ou impérial et une demande d'autonomie ou d'indépendance de la part d'une population éthniquement et culturellement compacte. De l'autre les conflits qui naissent de l'opposition entre des populations différentes vivant sur le même territoire. Penser pouvoir proposer déjà des propositions de solutions
serait absurde et présomptueux. Ce que l'on peut dire sans doute c'est que l'étude et la réflexion doivent tenir compte de cette différence radicale. C'est dans ce cadre également que les convictions muries par les radicaux peuvent servir de points de référence. Il s'agit d'une part du caractère structurellement inadéquat des dimensions d'indépendance nationale ou d'Etat national, de l'autre du principe-guide selon lequel deux types différents d'autonomie et de rapport fédéral doivent etre conquis. L'un de type régional-territorial, l'autre fondé sur le droit individuel de voir sa propre appartenance à une communauté etnico-linguistico-religieuse protégée, en dehors de toute dimension territoriale.
La nonviolence radicale contre le goulag roumain.
Tout ce qui a été dit jusqu'ici ne fait évidemment pas passer au second plan pour le parti transnational de la démocratie et du droit, le défi représenté par la permanence en Europe de régimes communistes, bulgares et roumains en particulier, refusant toute ouverture démocratique.
Comme nous l'avons déjà dit, l'action "occidentale" en faveur d'un renouveau démocratique dans ces pays doit consister à déstabiliser les actuels équilibres de pouvoir. Mais dans ce domaine également la transformation générale qui investit le monde communiste impose comme premisse à tout raisonnement l'évaluation des termes complètement nouveaux dans lesquels la question se pose.
Il est par trop évident que le facteur de déstabilisation le plus important pour ces pays est représenté par l'avancée de la démocratie et de l'Etat de Droit en Urss ainsi qu'en Pologne et en Hongrie. En effet plus cette mutation démocratique s'accompli avec succès sur tous les plans, plus elle démontre qu'elle est la clé avec laquelle les pays communistes peuvent commencer à combler leur énorme retard. C'est dans cette optique également qu'il faut évaluer l'importance d'un soutien occidental efficace à la démocratisation. Il suffit de penser en effet à l'impact qu'une aide vraiment consistante et efficace aux pays en voie de démocratisation aurait sur la société roumaine, tenaillée par la misère, brisée par l'oppression et littéralement affamée.
C'est dans le cas roumain, tragiquement emblématique, que l'importance de la fonction que pourraient revetir des initiatives nonviolentes du Parti radical apparaît le plus clairement; tant du point de vue de leur utilité en soi que du point de vue de la signification que prendrait ainsi l'action du Parti radical
dans les pays en voie de démocratisation. Le problème qui se pose pour les concevoir, pour les imaginer les plus fécondes possible, les plus productives d'effets positifs, est celui de les intégrer dans ce contexte général nouveau. Il s'agit par conséquent de les penser et de les réaliser telles qu'elles constituent, sur la ligne de faîte des rapports Est-Ouest et des relations inter-communistes, des instruments qui favorisent dans la société roumaine la multiplication des effets déstabilisants des processus de démocratisation en cours ailleurs, et qui rendent politiquement plus couteux encore sur le plan international le maintien par le régime de sa politique actuelle.