notes sur l'état du Parti radicalpar Roberto Cicciomessere
SOMMAIRE: La crise du parti radical peut être résolue, comme au début de son histoire, en préparant un nouveau projet de statut qui représente le nouveau modèle organisatif transnational, pour le Pr ainsi que pour toutes les autres forces démocratiques. La nécessité de fixer une bataille politique prioritaire - les Etats Unis d'Europe - et de transférer toutes les structures non fonctionnelles à cet objectif à d'autres sujets politiques radicales.
En janvier 1967 le Parti radical lança un appel à l'opinion publique italienne pour qu'elle soutienne le cycle de manifestations de l'"Année Anticléricale". Le "segment de théorie" exposé dans un document envoyé à plus de 50.000 destinataires et diffusé ensuite au moyen d'un journal à plus de 250.000 personnes apparaissait littéralement comme une insulte à une société politique agnostique et subalterne à la culture catholique. On y affirmait en effet qu'"il n'existait pas de secteur de la vie publique italienne qui n'exigeait un engagement anticlérical précis pour que notre pays connaisse les voies du progrès civil et de l'alignement à la réalité sociale contemporaine."
Contre le laïcisme uniquement déclamatoire et subalterne de la culture libérale de l'époque, contre le "réalisme" de compromission du monde socialiste et communiste, contre qui soutenait que la société italienne n'était pas encore mure pour s'affranchir de la "tutelle" de l'Eglise catholique, le Parti radical faisait confiance à la maturité des gens, indiquant dans le cléricalisme et dans son bras politique, la Démocratie Chrétienne, l'obstacle qui empêchait l'Italie de se rapprocher des démocraties européennes. Les batailles contre le "saccage de Rome", contre le maire démochrétien Petrucci et le monopole clérical de l'assistance publique, pour la diffusion des pratiques anticonceptionnelles et, enfin, la grande campagne pour le divorce démontrèrent la consistance de cette intuition théorique qui, en l'espace de cinq ans seulement, suscita la modification profonde de la culture politique italienne.
Toujours en 1967, le Parti radical se posa lors de son troisième Congrès le problème de la refondation du parti à la lumière des nouveaux contenus politiques qu'il entendait affirmer. C'est durant ce congrès que le nouveau modèle d'organisation fut choisi. Modèle que le Parti radical proposait non seulement à lui-même mais à l'ensemble de la gauche italienne.
Suprême acte de présomption pour un parti de trois pelés et deux tondus ?
Au delà de la possibilité historique effective de provoquer une telle réforme des partis italiens, la nouveauté et la force de ce projet résidaient entièrement dans la volonté de marginaliser les tentations velléitaires qui voulaient circonscrire et confiner des contenus politiques tendanciellement majoritaires dans le corset trop étroit d'une seule organisation politique. Le succès des batailles anticléricales et de la lutte pour le divorce pouvait être assuré seulement - les radicaux en étaient conscients - à travers l'implication et le renouvellement culturel, politique et organisationnel des forces laïques, socialistes et communistes. Le statut du P.r. ne se voulait pas la "règle" des seuls radicaux. Il voulait préfigurer plutôt le nouveau modèle d'organisation que la gauche aurait dû adopter pour faire face aux défis politiques de l'époque. La vocation "transpartitique" de ce projet se manifesta également durant le quatrième congrès, convoqué à Florence, en 67 toujours. Le P.r. y invita en tant que
rapporteurs les députés Arrigo Boldrini du Parti Communiste, Luigi Anderlini, socialiste autonome et Renato Ballardini du Parti socialiste unifié..
Vingt ans sont passés mais les choix que le nouveau Parti transnational doit accomplir ne sont guère différents de ceux de ce lointain 1967. Comme alors nous devons en effet affirmer de nouveaux "segments de théorie" non moins scandaleux que les segments anticléricaux d'alors: "face aux problèmes de notre société et de notre temps, les nouveaux sujets institutionnels et politiques ne peuvent être aujourd'hui que transnationaux par rapport aux Etats existants, et transpartitiques par rapport aux partis nationaux et idéologiques". Mais pas seulement. Nous voulons aller jusqu'à faire prendre conscience à la culture politique, occidentale et non occidentale, que la non-violence n'est pas seulement un moyen de lutte pleinement respectueux de la vie et de la dignité humaine mais le passage obligé du développement et de la croissance de la démocratie, des valeurs de la tolérance et des principes de l'Etat de Droit. Nous soutenons que la démocratie politique pourra retrouver ses "élans propulseurs" et démontrer
sa force et sa supériorité face aux défis de ce siècle dans la mesure seulement où elle réussira à affirmer qu'aucune raison - que ce soit la défense de la patrie, de la révolution, de l'ordre interne, du progrès, ou même de la démocratie - ne peut légitimer la mise en discussion du droit à la vie et à la dignité de la personne. Voici donc que la bataille écologique elle-même peut devenir quelque chose de différent de la simple revendication de la part d'une société opulente d'une meilleure "qualité de la vie". Voici au contraire qu'elle peut se transformer en bataille pour l'édification d'un nouveau droit, pour l'affirmation de la priorité du droit à la vie sur les autres droits, mêmes si ceux-ci sont garantis par les constitutions démocratiques et par les traités internationaux, tel que le droit au travail, au profit, à la concurrence, au développement. Et encore pour affirmer que les institutions de droit public ou bien acquièrent une dimension et un pouvoir de coercition supranationaux ou bien sont dest
inées tout simplement à ne plus être sujets de droit.
Mais retournons aux problèmes qui secouent le Parti radical en ce moment.
Nous nous trouvons grosso modo dans des conditions semblables à celles de 1967. Autrement dit nous avons élaboré des "segments de théorie politique". Mais, contrairement à cette période, il nous manque les nouvelles règles et les batailles qui pourraient rendre la prémisse théorique explicite, tangible et par conséquent vraie et reconnaissable. En somme la victoire du référendum sur le divorce du 12 mai 1974 ne se serait pas produite sans la bataille anticléricale et antimilitariste, sans le divorce, sans le statut fédératif du P.r. et par conséquent sans la L.I.D. (Ligue Italienne pour le divorce).
Nous sommes sans "Règle". Le pacte d'association qui nous a unis durant vingt ans n'existe plus. L'amitié et l'estime demeurent peut-être, mais les codes de comportement - certainement discutables et discutés - ont disparu. Et avec eux ce sont les points de référence sûrs dans la vie du parti et des personnes qui le constituent qui ont disparu.
Le statut a été vidé, morceau par morceau, de son contenu pour faire face aux urgences imposées par la violation de la "Règle" démocratique de la part de la partitocratie. Le parti fédéré, autofinancé, militant et non-violent n'existe tout simplement plus. Le rapport du secrétaire Stanzani et du trésorier Vigevano au Conseil fédéral de Madrid nous a fourni la photographie sans pitié de la "chose" radicale: elle coûte 10 millions d'écus par an mais en aurait besoin du double au moins. Elle réussit à s'autofinancer pour un maximum de 3,5 millions d'écus tandis que le reste provient de notre présence au sein des institutions. Le militant est une espèce en voie d'estinction qu'on a substituée par les figures hybrides du fonctionnaire-militant et du fonctionnaire-dirigeant. Les premiers sont naturellement sous-payés, les seconds saignés par de régulières souscriptions "volontaires". Le travail dans les institutions a été privilégié aux dépens de la pratique non-violente.
Enfin, la crise financière dramatique qui risque d'amener, dans de brefs délais la bien méritante entreprise radicale à la fermeture pèse sur tout cela.
Et ce serait pure folie que de penser que la solution à ces problèmes puisse être "interne" au parti. Les propositions de "Parti minimum", de rationalisation interne, avancées durant les réunions du Secrétariat et du Conseil fédéral, - réunions interminables, laborieuses et souvent sans conclusion qui se sont succédées au cours de cette dernière année à travers les capitales de la moitié de l'Europe - comportent un élément d'erreur impardonnable. Comme en 1967 nous devons être conscients que le "segment de théorie" que nous avons trouvé ne pourra s'affirmer que s'il devient patrimoine de la culture politique des forces politiques, des partis existants. Avec tous les risques de vulgarisation que cela comporte. Penser, en somme, que le projet transnational et non-violent puisse s'affirmer en s'appuyant sur les seuls radicaux est purement velléitaire. Tout cela est par ailleurs écrit en toutes lettres dans les rapports du secrétaire et du trésorier: le parti transnational suppose une dimension organisative
, financière et politique qui n'est pas à la portée du Parti radical actuel. Certes, comme alors durant de nombreuses années, nous serons seuls et apparemment isolés dans la tâche difficile de maintenir vivante et d'alimenter cette espérance démocratique. Mais chaque acte politique, même si il est de simple résistance, devra faire croître, ne fut-ce que d'un millimètre, le périmètre de la connaissance et de la conscience de l'urgence stratégique pour notre société, de donner à la politique une dimension transnationale et transpartitique.
L'urgence de préparer et d'organiser un nouveau projet d'organisation qui s'adresse, comme exemple et comme modèle, aux autres forces démocratiques découle de là. Il faut en somme reconstruire la "règle" non seulement pour reconquérir la certitude et la santé de notre parti, mais pour tenter de projeter à l'extérieur les équations financières qui nous resteront impossibles ou sans solution si nous tentons de les résoudre repliés dans notre microcosme.
Sans penser écrire le nouveau Manifeste de Ventotene d'Altiero Spinelli et d'Ernesto Rossi sur la fédération européenne, nous devons, avec humilité mais aussi animé d'une grande ambition, prendre un engagement précis et défini dans le temps. Nous devons en effet concevoir, d'ici au prochain congrès, le nouvel instrument statutaire à proposer à notre parti comme aux autres partis qui veulent parcourir la voie de la réforme de la politique.
Comme toujours Marco Pannella nous a fourni un fil qui peut nous faire retrouver le bout de l'écheveau de cette enigme radicale bien enchevêtrée. Le parti de "second degré". Un parti qui suppose l'appartenance à une autre organisation politique. Un parti qui veut, par conséquent, rompre définitivement avec une conception idéologique et fractionniste de la politique pour préfigurer un lieu où la diversité des différents sujets politiques soient tout à la fois protégées et mises au service d'un projet commun. Il s'agit probablement là d'une prémisse théorique essentielle si l'on ne pense pas seulement à l'Italie mais si l'on pense également à des réalités politiques aussi différentes que celles que nous pouvons retrouver en Europe centrale, en Europe de l'Est et dans les pays baignés par la Méditerranée orientale.
Ce fil ténu peut peut-être permettre la soudure entre deux tensions divergentes, tout aussi légitimes l'une que l'autre, que nous vivons à l'intérieur du parti. Celle de la politique des grands objectifs transnationaux qui ne peut souffrir aucune obligation localiste et nationaliste et celle qui pousse à rechercher, à partir des contradictions concrètes de sa propre ville ou région, de son propre pays, un stimulus pour les grandes batailles idéales.
En cherchant à dérouler ce fil, forts du patrimoine de connaissance et de réflexion acquis par le Parti radical au cours d'une année de profond débat, nous devons nous engager à soumettre aux inscrits et à nos possibles interlocuteurs politiques, au terme des 90 jours qui suivront le prochain Conseil fédéral, le nouveau projet de parti transnational et transpartitique.
Nous sommes sans la bataille prioritaire capable de rendre intelligible le segment de théorie que nous voulons affirmer, nous sommes sans la bataille sur laquelle investir toutes nos forces, la bataille à travers laquelle nous pourrions nous caractériser de manière univoque.
Comme en 1967, cette difficile tâche de recherche revient au parti, tandis les batailles plus mures et déjà lancées dans l'opinion publique doivent être réservées à d'autres organisations fédérées ou reliées au parti.
N'oublions pas en effet qu'alors que la LID pouvait, certes après des débuts difficiles, se donner une dimension de "masse" et une présidence "transpartitique" (Loris Fortuna, socialiste, Antonio Baslini, libéral, Ugo Spagnoli, communiste, Mauro Mellini, radical), le Parti continuait parallèlement son action sur les fronts tout autres que populaires de l'anticléricalisme, de l'antimilitarisme et de l'antiautoritarisme. Et le succès en termes de prestige et d'inscription de la LID se réflettait positivement, également du point de vue financier, sur ce nouveau né qu'était le Parti radical.
Nous devons nous résigner à cette répartition des tâches, la faisant devenir élément de force plutôt que raison d'opposition ou de mécontentement interne. Il existe en somme des entreprises à rentabilité immédiate et des entreprises à rentabilité différée, productrices d'effets après un laps de temps plus long. Le Parti radical est outillé pour les secondes seulement. Ou mieux, les radicaux ne semblent pas se divertir dans les entreprises faciles.
Le Parti radical est un sujet politique qui a choisi depuis vingt ans de ne pas être à la remorque des nouveautés ou des modes politiques - gagnant et se forgeant ainsi son immunité dans les périodes de "reflus" - pour poursuivre l'objectif difficile de faire venir à la lumière les tabous politiques les plus secrets et cachés, refoulés jusque dans les consciences les plus intimes des personnes. Penser donc que le Parti radical puisse devenir un parti de "masse" et résoudre ainsi, au moyen d'une "simple" multiplication des pains et des poissons, ses propres problèmes financiers, m'apparait une erreur théorique ou, pire, une illusion volontariste qui ne nous mènerait pas très loin. Il y a et il y aura des moments dans l'histoire du parti où la dimension numérique ne correspondra pas à la dimension du succès obtenu par la bataille radicale. Il faut évidemment dans ces cas-là faire tout ce qui est possible pour rapprocher les deux valeurs. Mais cela ne peut advenir qu'après le succès d'une campagne politiqu
e, non pas avant. Et, aujourd'hui, nous devons encore construire les conditions du succès radical.
Il est indubitable qu'il existe aujourd'hui au moins deux batailles qui pourraient trouver leur expression dans deux organisations "de masse". Qui plus est, deux organisations "riches" et capables de conquérir des représentations consistantes dans les Parlements et dans les administrations locales: la campagne contre le prohibitionnisme en matière de drogue et la campagne écologique.
Avec la générosité qui nous distingue mais aussi dans la clarté des rôles réciproques, il est nécessaire que le Parti radical s'engage à promouvoir ces deux nouveaux sujets politiques. Si le second semble avoir la capacité de se mouvoir sur ses propres jambes, le premier, par contre, est encore immobile, incapable de faire fructifier de façon adéquate le précieux patrimoine d'idées qu'il a hérité du Parti. Voici donc l'objectif: la LIA (Ligue Internationale Antiprohibitionniste) doit pouvoir devenir, en l'espace d'un an, une organisation solide qui puisse se confronter du point de vue de ses adhérents et de son budget, avec Greenpeace ou le WWF. Tel est l'objectif auquel le P.r. doit apporter sa contribution.
Et que doit faire le parti transnational et transpartitique ?
La bataille difficile à laquelle nous ne pouvons renoncer est celle qu'Altiero Spinelli nous a indiquée et que l'explosion des nouvelles démocraties à l'Est de l'Europe a nourri de sens nouveaux et d'urgence nouvelle.
La bataille non-violente pour les Etats Unis d'Europe.
Conscients, comme en 1967, que cette bataille est la bataille stratégique et historique et que les temps pour la parcourir ne seront ni faciles ni courts.
Voici donc que l'on peut entrevoir aussi une solution aux dramatiques problèmes financiers et à la définition d'un nouveau modèle d'organisation. Et plus encore des solutions qui ne soient pas totalement abstraites et détachées de la réalité de la chose radicale. Le parti doit se transformer en un instrument fonctionnel à la poursuite d'une seule bataille prioritaire, récupérant ainsi, aussi, sa nature constitutive de parti d'objectifs et non de projets politiques, rejetant en même temps hors de lui tout ce qui n'est pas fonctionnel à la poursuite de cet objectif. L'honneur et la charge de gérer toutes ces structures qui, pour exister, ont besoin d'un ancrage structurel dans les institutions nationales ou supranationales reviennent à d'autres sujets radicaux. A commencer par la Radio Radicale.
Il ne s'agit donc pas d'un "parti minimum" mais d'un sujet politique qui aspire à pouvoir doubler son budget actuel et à pouvoir recommencer à dépenser au moins 80% de ses entrées en activités. Un parti qui se caractérise par ses batailles politiques et par la participation militante des citoyens. Un "second parti" à qui d'autres sujets politiques ne délèguent pas leurs activités transnationales et transpartitiques mais un "second parti" dont d'autres partis et d'autres mouvements partagent - du point de vue de l'organisation et du point de vue financier - les objectifs politiques.