par J.A. Marks SOMMAIRE: L'auteur illustre les raisons qui préconisent la distribution de stupéfiants de la part de l'Etat, en répondant aux questions et aux réserves normalement émises par ceux qui soutiennent au contraire la nécessité de prohiber les drogues: la légalisation ne comporte pas nécessairement le renoncement de la part des toxicomanes à la désintoxication et une augmentation de la consommation de drogue; la prescription médicale n'exclut pas les programmes de récupération; le prohibitionnisme est préjudiciable à la liberté de l'individu.
Dans la région de Mersey, les stupéfiants sont prescrits à temps indéterminé aux toxicomanes pour éviter qu'ils ne commettent des délits pour pouvoir acheter des narcotiques, pour éviter qu'il faille vendre aux autres de la drogue pour pouvoir subvenir à leurs propres besoins en drogue et pour éviter le risque de mettre en danger leur propre santé et celle des autres ou même leur propre vie en utilisant des drogues altérées, et parce que ce système s'est révélé efficace en favorisant le choix d'un régime thérapeutique plus réfléchi et plus idoine en clinique. Un imortant effet collatéral est celui de pouvoir enlever aux trafiquants une source inépuisable de bénéfices frauduleux. La fourniture de stupéfiants sous contrôle de l'Etat (à travers des cliniques officiellement autorisées) met rapidement en contact les autorités avec la plus grande partie des graves problèmes du monde de la drogue, SIMPLEMENT PARCE QUE N'AYANT JAMAIS EU AFFAIRE AVECLA FOURNITURE, ils n'y font jamais cas.
Cinq questions au sujet d'une telle politique, apparamment absurde, se posent:
1. La prescription médicale ne retire-t-elle peut-être pas l'encouragement à s'abstenir, du moment que l'héroïne est distribuée gratuitement et que par conséquent il ne viendrait à l'esprit de personne d'en abandonner la consommation?
2. Ne vaut-il pas mieux fournir des conseils et des thérapies aux toxicomanes au lieu des stupéfiants?
3. Cette politique ne comporterait-elle peut-être pas une augmentation de la consommation totale des stupéfiants au lieu d'une diminution, ce qui reste notre objectif à tous?
4. De quelle manière est-il possible de justifier la fourniture de drogues aux toxicomanes? Et alors pourquoi ne pas ne pas fournir de l'alcool aux alcooliques, des billets gratuits pour les bordels à ceux qui ont commis des viols, ou encore une joaillerie aux voleurs?
5. N'est-il pas vrai que tous les stupéfiants prescrits sont de toutes façons recyclés sur le marché noir?
QUESTION N· 1:
Dans nos rapports avec les toxicomanes, nous nous trouvons face à des individus qui mentent, trompent et volent souvent leurs parents ou leurs amis les plus chers pour se procurer de la drogue. Il s'exposent ainsi à l'arrestation et à l'incarcération, au rudoiement des mafiosi, aux dommages corporels ou à la mort causée par des stupéfiants "coupés" et par les maladies. Existe-il des sanctions plus fortes que la mise en marge de la part de la famille et des amis, que la perte de liberté, que la pauvreté, que la maladie et la mort? Et si ces derniers n'ont pas d'effet dissuasif, alors n'importe quel effet obtenu par une prescription d'héroïne sera marginale et contrebalancée par les effets bénéfiques de l'atténuation du mal. Puisqu'avec une telle volonté de se droguer, le choix opéré par ces toxicomanes ne réside pas entre la désintoxication et les stupéfiants prescrits par la clinique, mais entre les stupéfiants du marché noir et les stupéfiants de la clinique.
Chaque fois qu'une nouvelle substance est introduite dans la société, soit parce qu'elle est prohibée soit parce qu'elle est inconnue, on constate des phases de consommation qui peuvent-être décrites comme expérimentales, récréatives, et de dépendance. Si l'on donne à un enfant de six ans un tube de "Smarties" en lui intimant d'en étaler la consommation jusqu'à la semaine suivante, il est probable que ces bonbons seront terminés avant une heure mais qu'ils seront partagés avec ses camarades s'il s'agit d'un enfant sociable. Nous avons eu l'occasion d'assister à un phénomène pareil lorsque les peaux-rouges connurent pour la première fois l'acool. Et comme le font observer certains de mes collègues du sous-continent indien: "L'ennui avec vous-autreees Anglais c'est que vous ne savez pas utiliser la juste dose d'opium". "Vous en prenez et vous embuez votre cerveau". En réalité, la majorité d'entre-nous est passée à travers cette phase avec la drogue sociale de l'Angleterre: l'alcool. Durant les années expé
rimentales de l'adolescence nous en avons consommé en nous enivrant. En mûrissant on arrive à une consommation sagace, récréative et socialisée de notre drogue avec de rares cas d'ébriété. Mais si l'alcool, le tabac ou le café, étaient prohibés, qui continuerait donc une consommation socio-récréative qui risquerait de déboucher sur des procédures pénales? Et par conséquent, de l'opium, les anglais ne voient que la première et la troisième phase: ce qui équivaut dans le monde de l'alcool aux immatures saoûleries de l'adolescence et à la minable existence des épaves de l'alcool. Or, les motifs qui conduisent à la première phase d'expérimentation sont aussi accentués dans le cas où la substance est prohibée, créant un terrain fertile pour la rebellion, outre la curiosité. Et puisque les années de l'adolescence sont les années de la rebellion, la consommation de stupéfiants est sollicitée comme un totem de sophistication et de rebellion contre les parents et l'establishment. Par contre, si un stupéfiant est fac
ile à se procurer, comme à travers le monopole de l'alcool de la part de l'Etat suédois, sans qu'il soit possible de le rendre alléchant aux immatures par la publicité ou le prohibitionnisme, alors on peut arriver à une consommation minimum: il devient ennuyeux d'utiliser l'héroïne et l'on préfère renoncer plutôt que de continuer.
Il n'y a pas très longtemps, un commerçant de Glascow a été injustement traîné devant les tribunaux pour avoir vendu à des adolescents des "produits" qui provoquaient des excitations par inhalation de colle. A cette époque-là cependant, quelqu'un a eu la perspicacité de dissuader le gouvernement d'interdire la vente de la colle. Il faut remarquer que depuis lors il n'y a pas eu d'augmentation épidémique de l'usage récréatif de la colle comme, au contraire, on a pu le constater dans le cas de la cannabis et des dérivés des somnifères, même si l'on découvrira toujours le triste adolescent dont les parents sont en train de se séparer ou qui est maltraité à l'école. Celui-ci s'adonne à l'inhalation de la colle mais le geste en lui-même est plutôt de genre suicidaire. Des signaux d'angoisse existeront toujours. Mais pourquoi n'y a-t-il pas eu de suite à l'épidémie de la colle? Récemment, tandis que je retraçais le cours de la maladie d'un jeune toxicomane, j'ai saisi l'occasion pour lui demander ce qu'il pen
sait de l'abus des solvants. Le regard crâneur, il m'a répondu (en dialecte): "Même si je devais en crever, je n'utiliserais jamais cette connerie pour gamins!"
Ce comportement par rapport à la colle est précisément celui que l'on a réussit à obtenir en Angleterre avec les "Actes Pharmaceutiques" du 19ème Siècle et avec le Comité Rolleston (lequel commit l'erreur de remettre aux médecins le monopole de l'usage non médical de l'opium). Nous avons réussi à créer le même comportement à l'égard de l'opium, de la cocaïne et des substances analogues que le jeune toxicomane nourrissait à l'égard de la colle: elles sont disponibles pour ceux qui ONT ENVIE d'en faire usage, mais il est plutôt pathétique de boîter avec un bâton chimique. Ce phénomène a fait en sorte que pour une population de 50 millions d'habitants, le taux des toxicomanes est de 0,001% de 1%. Il serait erroné de supposer que la population d'entre-les-deux-guerres était "spéciale" ou que la culture juvénile de l'après-guerre est unique. La variable la plus évidente a été la disponibilité contrôlée de l'opium jusqu'en 1960, puis la prohibition de l'opium et un retour à l'alcool fortement publicisé. Les v
icissitudes de l'abus de l'opium et de l'alcool ont suivi de la même façon les modifications des politiques fiscales et légales avec le même caractère inéluctable que lorsque, avec le réchauffement de l'eau, on engendre de la vapeur et avec le refroidissement, de la glace.
Les Hollandais et les Anglais ont considéré l'usage de l'opium comme un vice privé, mais avec l'avènement du transport aérien qui a rendu accessible chaque coin du monde, il faudrait imposer à l'échelle mondiale la prohibition ou la disponibilité contrôlée des stupéfiants, sinon la Mafia, en tant que spéculatrice de devises en quête du meilleur taux de change, abandonnerait les pays de prohibition pour s'établir dans les sociétés les plus tolérantes. Et étant donné que l'Amérique est apparue comme la plus grande puissance d'après-guerre, une puissance qui s'est retrouvée à la merci des politiques d'Anslinger, le monde a été poussé dans la voie du prohibitionnisme, malgré la récente leçon du prohibitionnisme sur l'alcool.
Vaillant (1984) et Griffith Edwards (1967) ont démontré à quel point l'état mental du toxicomane s'oppose à l'intervention extérieure. Selon Stismon (1982), la toxicomanie est une condition chronique qui dure pendant de nombreuses années. Si pendant ce temps, on ne découvre aucun moyen pour arriver à s'abstenir, il faut assurer les meilleurs conditions médico-thérapeutiques aptes à favoriser la survie jusqu'à ce moment-là. Cela est possible avec la prescription sagace de drogues pharmaceutiques pendant une période indéfinie. Cette prescription s'appelle "prescription de maintien" du moment qu'elle maintient l'habitude du toxicomane jusqu'à ce qu'il se trouve dans les conditions pour réaliser l'abstinence. Les "thérapies" forcées ou prématurées déboucheront dans une rechute et une déception si le personnel médical se fait des illusions en croyant qu'à partir de tels régimes thérapeutiques on peut arriver à un traitement définitif. L'analyse simpliste considère le maintien comme un "traitement", mais en r
éalité il ne fait rien d'autre que continuer la dépendance (bien qu'il n'existe pas de données pour démontrer qu'il en PROLONGE la dépendance). Cela ne signifie pas que durant les années de maintien on ne devrait pas se prodiguer pour solliciter les patients à renoncer à l'usage de la drogue. Ce n'est pas la faute du maintien mais des erreurs de perception sur l'évolution naturelle de la toxicomanie.
Cette forme mentis se révèle lorsque l'on se demande pourquoi un toxicomane devrait s'abstenir de l'usage de drogue s'il a accès gratuit à l'héroïne. La question, cependant, implique que si l'héroïne n'était pas gratuite, le toxicomane cesserait de se droguer.
QUESTION N·2
Ne vaut-il pas mieux fournir des conseils et des soins aux toxicomane plutôt que des stupéfiants?
Oui, à condition que celui-ci soit consentant. Mais celui qui va dans un pub et qui est soumis à une homélie de vingt minutes avant qu'on ne lui permette de boire son litre de bière, s'en ira très vite ailleurs. A tort ou à raison, les toxicomanes voient leur consommation de stupéfiants de la même manière que nous voyons nous, notre consommation de bière ou de café. Pour la grande majorité des toxicomanes, le conseil forcé est une intrusion blâmable dans leur vie et qui est opiniâtrement rejetée. Un patient qui fréquente une clinique où on lui refuse la drogue mais où on lui propose des conseils, sera plus enclin (par rapport au patient à qui l'on prescrit le stupéfiant) à faire enrichir les trafiquants en achetant dans la rue les substances altérées et dangereuses; à commettre des vols chez vous ou à voler ma voiture pour en tirer l'argent nécessaire pour acheter la drogue; à altérer ou à écouler lui-même de la drogue pour se payer sa propre dose; et enfin, la chose la plus pertinente du point de vue m
édical, ce patient sera de loin moins porté à revenir pour demander de l'aide et des conseils s'il en éprouvait la nécessité.
Avant-même que l'on fasse un grand bruit de la part des agences-conseil, qui seront aux prises avec des milliers de toxicomanes, toutes les cliniques du nord-ouest qui prescrivent des substances stupéfiantes, décrivent déjà un phénomène connu comme "le syndrôme du billet". Les agences-conseil pour toxicomanes ont poussé un peu partout.
Une jeune femme qui a des difficultés pour payer son loyer ou sa note d'électricité, s'étant tout d'abord adressée aux organismes en question, puis, pour chercher un appui, en fréquentant une clinique pour toxicomanes, dit: "Je fais usage de stupéfiants" (il se peut qu'en en consomme occasionnellement), "et je me débarrasserais de cette habitude si seulement je réussissais à trouver de l'argent pour mon loyer et ma quittance". En faisant cela, elle réussit à faire prendre en charge sa cause par toute une équipe d'assistants motivés, capables et solidaires.
Parker et Newcombe et Fazey, ont démontré qu'il existe un fort pourcentage de toxicomanes qui rentre en clinique là-où il règne un comportement "amical à l'égard du consommateur", avec, par exemple, l'échange des seringues utilisées contre des neuves et jetables, des stupéfiants purs et sans "conseils" forcés. Johnson décrit éloquemment les problèmes qui naissent de la situation contraire.
QUESTION N·3
Une telle politique ne comporterait-elle peut-être pas une augmentation de la consommation des stupéfiants dans la société?
Rendre disponibles les stupéfiants à ceux qui de toutes façons en consommeront, réduit la nécessité d'entrer dans le commerce du narcotrafic pour financer sa propre consommation. Par conséquent le caractère prolifique et épidémique inhérent au prohibitionnisme est bloqué. Si la drogue est trop accessible, le niveau minimum est dépassé et la consommation reprend sa course vers le haut, phénomène que l'on peut du reste constater aujourd'hui dans la consommation d'alcool.
Il existe ailleurs d'autres stratégies, illustrées par les exemples de l'expérience hollandaise et danoise, pour le contrôle de la cannabis et de l'alcool. Les hollandais se sont déplacés de la prohibition à la décriminalisation de la cannabis (à savoir que la détention n'est plus un délit mais l'écoulement l'est resté). Les danois ont élaboré au contraire un système de contrôle sur l'alcool, stipulant des critères et mettant un frein à la publicité et en diminuant les points de vente. Dans chaque cas, l'accès contrôlé a porté à une diminution de la consommation. En Inde, aux Sépoï, l'administration d'une dose d'oppium est analogue à celle du rhum qui est donné par la marine, pour éviter une consommation effrénée. "L'accès contrôlé" est par conséquent un exercice de rationnement. Il produit le contrôle de l'inévitable consommation en rendant peu économiques les méthodes alternatives de contrôle. La libre promotion de l'alcool, qui cause actuellement de sérieux dommages à la société, serait un risque que
personne n'oserait courir, si les lois qui limitent rigoureusement la publicité étaient réalisées. D'autre part, le libre écoulement n'est plus rentable si la ration est suffisante pour couper le prix et les risques que comporte la vente illégale. La société évite, par conséquent, de cette manière, les conséquences d'une "saturation du marché" pratiquée par les producteurs de l'alcool et les "manèges" pratiqués par les malfaiteurs. Les deux comportent la perte du contrôle (de la part de l'Etat) et de la consommation de substances toxiques. L'accès contrôlé ne peut supprimer la consommation de substances stupéfiantes mais il la contrôle. A quel niveau exactement, fixer le degré de contrôle est une question d'approximation empirique avec des mécanismes juridiques et de marché, mais il n'y a aucune défaillance de modèles. La consommation hollandaise de cannabis a diminué de 33% en 12 mois pour une population de 15 millions d'habitants à cause du relâchement de la prohibition. Durant l'administration Reagan, 2
1,5 Milliards de dollars furent dépensés dans laguerre aux stupéfiants. Cela conduisit à une consommation annuelle (seulement pour la cocaïne) de 210 tonnes, soit de 20mg par semaine et par habitant. L'Angleterre a opéré des prodiges analogues en suivant la ligne de la prohibition. Ayant dépensé 45 millions de livres par an uniquement pour la lutte aux stupéfiants (sans les coûts juridiques, les séjours carcéraux ou autres dépenses sociales), l'héroïne et la cocaïne sont devenus encore plus accessibles et à des prix inférieurs.
QUESTION N· 4
Pourquoi ne pas donner des joyaux aux voleurs ?
Dans les dialogues de Socrate et plus récemment de Rousseau, on a soutenu la thèse selon laquelle une société naît en tant que conséquence du contraste entre individus et Etat. Les individus assume la responsabilité de respecter les lois de l'Etat et en échange l'Etat s'emploie à la réalisation de ces lois, pour garantir le maximum de liberté. Mais si, par exemple, j'étais libre de vous tirer dessus, et vice-versa, il ne nous resterait plus à l'un et à l'autre, beaucoup de liberté. Ainsi, paradoxalement, l'introduction de certaines lois restrictives fait en sorte qu'il y a une moyenne supérieure de libertés individuelles. Une absence de lois conduit à l'anarchie, une excessive quantité à la tyrannie. En général on arrive à un état optimum lorsque tout acte qui viole la liberté d'autrui est interdit et tout acte qui ne le fait pas, même s'il nuit à cette personne, est permis. Si un citoyen doit-être responsable, cela signifie qu'il est l'arbitre des actes qui lèsent lui-même (la loi renforcera sa respons
abilité de ne pas violer les droits d'autrui), sinon celui-ci n'est pas un citoyen responsable. Donc la société de la libre consommation d'opium laisse le choix de l'abstinence et de s'adonner à ses propres passions, au citoyen responsable.
Le concept de non-ingérence dans la vie d'autrui (et le renoncement à l'imposition d'un paramètre dans les activités d'une autre personne qui font du mal à soi-même) est un développement relativement récent. On ne se rend pas très bien compte souvent qu'un statut de l'Alabama de 1809 prohiba l'amour entre mari et femme dans toute autre position que la "missionnaire" (à savoir, la femme couchée sur le dos et l'homme penché sur elle). A part l'absurdité que comporte l'application de cette loi, on a constaté un éloignement progressif de ces intrusions selon le principe de la "licéité pour les adultes en privé", si bien que l'homosexualité, la prostitution, et même l'autodestruction, le suicide, ont été décriminalisés. Les observateurs hollandais ont remarqué que toute la problématique des stupéfiants vient de l'intrusion de la loi publique dans le vice privé. Si une personne veut gâcher sa vie en "se shootant" à l'opium, se saoûlant à l'alcool, ou avec toute autre substance, pourvu que ce soit dans l'intim
ité de sa propre demeure, ainsi-soit-il! Mais si cette personne sort de chez elle en été d'ébriété, de manière à constituer une menace pour la liberté d'autrui (c'est ce qui arrive si elle se met au volant), alors on appliquera toute la rigueur de la loi. Selon ce critère, il ne faut pas donner de joyaux au voleur: ce dernier n'a aucun droit de violer la liberté d'autrui.
Nous avons concédé l'alcool aux alcooliques, par la vente dans les pubs. C'est un phénomène qui doit-être contrôlé. Cependant, le prohibitionnisme serait vraiment rétrograde si, par exemple, vous étiez un alcoolique de Chicago des années Trente et que vous veniez de voler le sac de votre grand'mère pour acheter, à un prix exorbitant, une dose de métadone altérée par Monsieur Al Capone. Dans ce cas, j'aurais la conscience tranquille si je vous prescrivais une quantité modique du meilleur whisky écossais. Certaines organisations de prostituées affirment que si on leur donnait la possibilité d'organiser leur propre activité, elles pourraient améliorer en toute sécurité le destin des hommes incompétents, réduire le taux de criminalité sexuelle en "négociant" éventuellement avec les "désaxés", par la rééducation et la réhabilitation. Même si ces suppositions apparaissent absurdes, une formulation empirique ne nuira nullement et pourra même résulter très bénéfique.
Empiriquement, la prescription contrôlée des stupéfiants aux toxicomanes a bien fonctionné en Angleterre entre 1870 et 1960. La prohibition aux Usa et en Angleterre à partir de 1960 a coïncidé avec une augmentation allarmante de la consommation des stupéfiants, proportionnellement à la quantité d'argent public employé dans la lutte contre la drogue.
QUESTION N· 5
N'est-il pas vrai que tous les stupéfiants prescrits sont de toutes façons recyclés sur le marché noir?
Où en était le marché noir en 1950? Et où en est-il Aujourd'hui? Un meilleur accès à la drogue annule les circonstances qui font vivre le marché noir. Curieusement et paradoxalement, une légère augmentation de disponibilité (le rationnement) pour ceux qui de toutes façons seront des consommateurs, est en DIMINUTION par rapport à la consommation totale de toute la société. Il faut cependant remarquer qu'un relâchement trop important nous ramènerait au temps d'Hogarth. Triste constatation, mais c'est actuellement le cas de l'alcool.
Dans les cliniques de maintien dans la région de Mersey, la police garde un lien étroit de "communication" avec l'équipe anti-drogue légale, comme cela est expliqué dans la relation de Best et Al. Le personnel de la clinique se réserve le droit de rapporter à la police toute activité criminelle. En réalité, entre la clinique et les toxicomanes il y a des prêts de stupéfiants. On en parle pas. Mais la vente aux étrangers est rigoureusement interdite. Le personnel de la clinique demande à l'équipe antidrogue d'observer les patients suspectés de tromper l'administration. Ce système semble fonctionner et la police et les membres du personnel de la clinique en sont convaincus. Certains patients ont été mis sous procès pour avoir essayé d'écouler de la drogue, mais il n'y a eu qu'une douzaine de cas sur des milliers de patients.
Marjot a estimé que la consommation minimum annuelle d'héroïne est de 5.000 kg. La prescription annuelle d'héroïne ou de métadone est de 50 kg, et cependant, même si tout était recyclé sur le marché noir, le problème de l'héroïne resterait toujours, et de loin, le plus grave.
Néanmoins, à Liverpool, nous avons demandé à l'équipe anti-drogue d'examiner tous les toxicomanes arrêtés afin d'avoir des éléments de preuve concernant la présence de stupéfiants prescrits par la clinique.
Chaque semaine, il arrive des centaines de ces données. L'enquête se poursuivit six mois durant, au terme desquels le Surintendant Deary put affirmer qu'il n'y avait pas eu un seul cas d'arrestation de toxicomane surpris avec des stupéfiants provenant de la clinique et non-autorisés (Rapport 153 LDDC, 6/10/87). Il se peut qu'il y ait eu des "fuites", mais il s'agirait alors de quantités infimes. Une petite fraction de 50 kg sur 5.000 kg représente une goutte légale dans l'océan d'héroïne illicite.