Radicali.it - sito ufficiale di Radicali Italiani
Notizie Radicali, il giornale telematico di Radicali Italiani
cerca [dal 1999]


i testi dal 1955 al 1998

  RSS
gio 24 apr. 2025
[ cerca in archivio ] ARCHIVIO STORICO RADICALE
Archivio Partito radicale
Gómez Buendía Hernando - 12 novembre 1989
QUELLE GUERRE?
TROIS MOIS D'OFFENSIVES CONTRE LE TRAFIC DE STUPEFIANTS

par Hernando Gomez Buendia

SOMMAIRE: L'auteur, directeur de l'Instituto de Estudio Liberales, et économiste, essaye de mettre de l'ordre dans les éléments contrastants et complexes qui sont en jeu dans la "guerre" déclarée par le gouvernement au trafic de stupéfiants, depuis le mois d'Août, de laquelle naissent plusieurs questions, sur la durée, la modalité, les termes, les ennemis, les alliés et autres.

"Cette guerre sera faite par la France jusqu'au dernier soldat britannique". (Sir Vansittart, Juillet 1940)

Réception de commandant allié à la Maison Blanche et Ovations à l'ONU; mais réticences et critiques sourdes en Colombie. Editoriaux qui applaudissent à la guerre, mais cocktails et réunions là où l'on parle de paix. Les uns signifient que la guerre est en train de s'internationaliser. Les autres que le front intérieur n'est pas du tout solide; et tous ensemble, qu'il y a un puissant et influent "ennemi interne" contre lequel doivent s'allier le gouvernement et la communauté mondiale sous la bannière des USA.

Ce sont-là des eaux de très grand danger pour la Colombie, surtout que l'équipage a été étourdi et divisé.

Il faut récupérer la lucidité. Commencer la guerre pour battre la peur, le dogme et l'intérêt personnel. Pour ne penser qu'à la Colombie. Ne pas tomber dans le piège du chauvinisme. Ni dans celui de l'opportunisme. Et encore moins dans celui du moralisme. C'est pour cela qu'il faut ouvrir un débat public, sérieux et serein, sur "qui" est l'ennemi et sur "quels" sont les intérêts vitaux de la Colombie dans ces guerres.

Car - et c'est ici que commence la confusion - il n'y a pas "une" mais plusieurs guerres de la drogue. Avec plusieurs scénari. Avec plusieurs protagonistes et plusieurs coalitions. Avec plusieurs armes. Avec plusieurs stratégies et plusieurs définitions de "victoire".

LA GUERRE DES USA

La cocaïne n'est qu'une des nombreuses "substances chimiques interdites par la loi qui modifient l'activité mentale de l'être humain". Ce simple fait - outre celui que 70 % des drogués mélangent ou passent d'une drogue à l'autre selon le prix ou la mode - démontre que le problème trouve sa racine dans les facteurs socio-culturels qui créent une demande pour ce type de substance, et non pas dans le fait qu'un pays déterminé exporte une drogue déterminée. Donald Hamilton, assesseur principal de la DEA, a dit le 30 Septembre dernier: "Même si nous fermons nos frontières demain pour empêcher la contrebande de narcotiques, la toxicomanie continuera à nous tourmenter grâce aux substances synthétiques fabriquées aux USA".

La première des guerres est donc contre l'usage même de la drogue. Les protagonistes sont les quarante millions environs de consommateurs dans le monde industrialisé, les jeunes et les enfants exposés à ce vice, les 12 pays qui - selon le Narcotics Board des Nations Unies - dépendent de la "narcomanie", les 27 autres nations du Tiers-monde qui ont une "participation substancielle" dans ce trafic, les centaines de laboratoires qui opèrent aux USA et en Europe, bon nombre des 20 millions de personnes qui selon Guttaman - vivent dans l'"économie submergée" aux USA, et enfin les financiers qui tirent leurs profits d'une industrie estimée à environ 400 ou 500 milliards de dollars par an (2-3% du PNB mondial).

Cette première guerre découle de la désorganisation sociale et de la pression culturelle des psychoactifs, épaulée par une grande capacité d'achat. Capacité d'achat: avec 8 fois la population de la Colombie, les USA constituent un marché 126 fois plus important que celui de la Colombie etr de 23% plus important que le marché mondial. Désorganisation sociale: 4 enfants américains sur 10 grandissent dans des familles sans pères, environ 27 millions de personnes souffrent d'une pauvreté extrême, le chômage des noirs, dans certaines villes, atteint jusqu'à 19% ....

Pression culturelle: individualisme hyper-compétitif, contraste entre la richesse comme symbôle de succès et le désespoir économique des ghettos, respect profond pour la liberté et la vie privée comme barrière à l'efficace répression de la consommation.

Ainsi la première guerre est gagnée ou perdue dans les familles, dans les écoles, dans l'ethos culturel des pays consommateurs. C'est une guerre qui remonte à 1851 - lorsque l'Etat du Maine prohiba l'alcool - ou à 1909 - lorsque les USA convoquèrent la première conférence internationale contre l'opium. C'est une guerre intermittente, avec des moments d'intensification (approximativement toutes les deux décades) et avec des moments d'oubli et même de tolérance (Carter et Ford dans les années 70, Kennedy dans les années 60).

C'est surtout une guerre ambigüe parcequ'elle touche les plus profondes ambivalences de la civilisation postindustrielle.

La deuxième guerre n'est pas contre la drogue mais contre le crime lié à celle-ci.

Cette guerre, contrairement à la première, est celle qui mobilise effectivement l'opinion publique et qui explique les programmes aggressifs du gouvernement des Usa. C'est ce qu'explique le Chargé des Douanes lui-même, William Von Rabb: "La panique actuelle de ce pays naît de la recrudescence des crimes liés à la drogue". Les protagonistes de cette guerre-ci sont en étroite liaison avec la première: les trafiquants (définis délinquants), plus que les consommateurs (définis malades); les drogués ("dangereux"), plus que les "consommateurs occasiionnels" (tolérés jusqu' "à"...); le "pusher", beaucoup plus que le banquier...

Presque cent mille morts violentes chaque année, six millions et demi de drogués graves, la population carcérale triplée depuis 1970, l'effroyable spectacle de nouveaux-nés déformés, des mères qui vendent leurs enfants pour se procurer du crack, des enfants qui vendent du PCP dans les rues de New York ou de Detroit... sont des arguments irréfutables pour s'engager à fond dans cette guerre.

L'un des moyens pour vaincre la guerre contre le crime est, certainement de vaincre celle - longue, intermittente, ambigüe - de la drogue. L'autre moyen est de dépénaliser cette drogue ou de la "légaliser". Le gouvernement s'y oppose, comme s'y opposent 74% des américains dans un récent sondage, ainsi que les analystes selon lesquels légaliser signifierait élever considérablement la consommation. Mais cette thèse est appuyée par contre par certains politiciens (le maire de Baltimore par exemple), par la plupart des historiens (ils savent que le vice est dur à extirper, et qu'il change selon les époques), par la plupart des économistes (ils savent que la répression ne sert qu'à faire accroître les gains illicites) et par la plupart des sociologues (ils savent que la drogue est le fruit plus que la cause de la désorganisation sociale).

La légalisation comme solution éventuelle de la guerre contre le crime serait certainement efficace, uniquement si elle était adoptée par les pays consommateurs. Cela n'implique pas, cependant, que la Colombie doit se dispenser d'une discussion qui la concerne directement, ou bien, que dans sa politique internationale, elle puisse ignorer tout simplement, la diversité d'opinion dans ces pays-là.

Avant tout, parceque la dissension n'est pas représentée par une frange lunatique, mais par de respectables conservateurs, tels Milton Friedman, William Buckley ou la revue "The Economist". Deuxièmement, parce que le dilemme prohibition-légalisation est moins péremptoire de ce qu'il ne paraît. Il existe des zones intermédiaires, comme la marijuana semi-légale, le méthadone vendu sous ordonnance, ou bien la "dose personnelle". Il existe surtout, des versions très différenciées du prohibitionnisme et de la légalisation: depuis la totale liberté de marché jusqu'au monopole de l'Etat, de la légalisation "médicale" pour toxicomanes, à la légalisation "culturelle" pour tous, du refus radical pour n'importe quelle "intromission de l'Etat dans la vie privée", à l'exigence de prison pour n'importe quel consommateur.

Dans tous les cas, la drogue continue d'être illégale et les USA persistent dans la guerre contre le Crime. Le président Bush - comme tous ses prédécesseurs à partir de Johnson - l'a déclarée le 5 Septembre dernier. Il a demandé au Congrès un crédit de 7.900 millions de dollars (23% en plus du budget actuel), destinés, dans l'ordre, à la répression de la consommation, au contrôle des frontières, au traitement des toxicomanes, aux campagnes éducatives et à l'assistance aux autres pays. A ce "plan Bennet" on attribue la reconnaissance la plus explicite de la question comme cause principale du problème, et l'effort pour coordonner les politiques contradictoires des 22 agences fédérales qui travaillent dans le secteur. Mais le parti démocratique et la presse ont mis en évidence le manque de "force et d'imagination" dans le combat de ce que Bush lui-même a appelé "le principal ennemi des USA". Peu de forces à consacrer à la "guerre", un crédit 50 fois inférieur à la dépense militaire , ou financer l'"escal

ade" par des ressources minimes au lieu d'adopter des contributions de guerre. Peu d'imagination en insistant sur les mêmes thérapies qui se sont révélées de véritables faillites durant vingt ans. Et elles échouent parce que - depuis longtemps déjà, la criminologie est arrivée à cette conclusion : "l'unique policier vraiment capable de réduire le crime c'est le policier qui opère à travers la culture". (H.E. Pepinsky)

Bien que le Plan Bennett fut préparé depuis longtemps, la tragédie d'Août dernier en Colombie a rallumé l'intérêt envers la dimension internationale du problème.

La touchante solidarité proclamée à l'égard du président Barco et l'offre d'aide économique à la Colombie, au Pérou et à la Bolivie, ont été les deux messages du président Bush du 5 Septembre. Mais là-aussi il y a eu de sérieuses critiques. Avant tout, même si la cocaïne et le crack sont les drogues à la mode les plus nocives, on a pu remarquer le silence sur l'héroïne (parce qu'elle provient de pays moins "sûrs" comme la Birmanie, l'Afghanistan et le Laos) et sur les amphétamines (produites à la maison). Deuxièmement, les 261 millions d'aide extérieure - 3,3% du total - sont de trop s'il s'agit d'intervenir dans des pays amis, mais ils sont trop peu s'il s'agit d'un effort de guerre alliée (du style Otan).

LA GUERRE DE LA COLOMBIE

Quelle que soit l'année de référence ou quelle que soit la source que l'on consulte, en Colombie, il ne rentre à peine qu'entre 5 et 7 cents de chaque dollar produit par l'industrie mondiale de la drogue. Pourquoi sommes-nous donc une exception parmi les 41 pays qui font partie du trafic d'exportation?

Quatre explications s'imposent:

- Le grand poids interne de la narco-économie qui, selon certains, signifie 35% des devises, 23% du PNB et 3% de l'emploi.

La plupart des études donnent, cependant, des chiffres très inférieurs (Fédésarollo, par ex. parle de 2% du PNB) et dans tous les cas ces chiffres sont éloignés de ceux de la Bolivie et d'autres pays.

- La pénétration économique et l'acceptation sociale de "l'argent qui brûle" (facteur mis en évidence par les analystes américains). Cela est vrai et cela l'a été davantage de par le passé avec la "narcobienfaisance"; mais ça n'est pas une prérogative de la Colombie, puisque cette pénétration commence par la banque internationale même.

- Plus caractéristique est la fonction stratégique des sociétés colombiennes pour le raffinement, l'exportation et la vente en gros de la cocaïne aux Usa, ce qui met le pays en évidence dans le contexte mondial.

- Mais la caractéristique vraiment exceptionnelle du narcotrafic en Colombie c'est l'intensité de la violence, et, plus encore, sa concentration sur les fonctionnaires et les figures politiques de premier plan.

C'est pour cela que, plutôt que contre la drogue ou, contre le crime que sa consommation implique, la guerre que subissent et appuient les colombiens, c'est la guerre contre la violence du narcotrafic. Ou plutôt les guerres, parce que, ici aussi, elles sont différentes:

Premièrement, la guerre des trafiquants contre la justice pénale. Protagonistes: des délinquants, des juges et des policiers. Motifs: l'application de la loi aux délits communs ou atroces associés au trafic (y compris mais non réduite, l'extradition). Victimes: 7 magistrats, 41 juges et plus de 200 enquêteurs ou assistants, depuis 1979. Type: violence par intimidation contre le pouvoir judiciaire.

Deuxièmement, la guerre entre les trafiquants devenus propriétaires fonciers et la gauche politique. Protagonistes principaux: l'Union Patriotique et les paramilitaires. Motifs: des heurts avec le FARC, en commençant par la "taxe" sur la coca, jusqu'à la croisade anticommuniste. Victimes: JAIME PARDO LEAL, 840 activistes de la MP, des journalistes et des dirigeants simplement démocrates. Type: Violence politique contre la gauche.

Troisièmement, la guerre entre un secteur de trafiquants et un secteur de l'élite traditionnelle. Protagonistes principaux: la Convention de Medellin et le nouveau Libéralisme. Motifs: l'infiltration d'argent sale dans la politique (débats du ministre Lora, Pablo Escobar expulsé de l'élite...) et l'extradition (Affaire Botero). Victimes: de Rodrigo Lora à Guillermo Cano, de Enrique Parejo à Luis Carlos Galon. Type: Violence politique contre l'élite.

Il y a en outre, les guerres locales de Medellin ou de Muzo, où l'argent et les méthodes de la mafia se sont superposées à de vieilles pathologies - l'économie d'Antioquia sans issue, les émeraudes - pour exalter des violences de type social.

Il y a la narcoviolence de la guerriglia, de et contre plusieurs mouvements qui s'élèvent.

Et il y a la violence intestine d'une bande contre l'autre.

Guerres qui s'entrecroisent et quelques fois se confondent entre elles. Mais des guerres différentes. Parce que le degré d'intérêt, la direction et le compromis des partis et des candidats de secteurs économiques et d'opinion publique, d'organisations et de forces de sécurité, de gouvernement et de pouvoirs étrangers varient d'un contexte à l'autre.

Sang, sueur, larmes... et équivoques.

Le massacre du 18 Août a été peut-être le coup le plus terrible que la Colombie a subi dans sa tragique histoire de ces dernières années.

Au point qu'une réaction moins immédiate ou moins dramatique de la part du président aurait été inacceptable devant une opinion publique nationale indignée. Mais cette réaction a laissé en suspens cinq questions critiques:

a) S'agit-il d'une guerre ou bien d'une opération policière?

b) Quel est son objectif stratégique?

c) Est-ce un conflit national ou bien une guerre mondiale?

d) Qui est l'ennemi interne?

e) Qu'a fait la classe dirigeante?

a) Guerre ou bien opération policière?

La guerre se fait entre nations souveraines ou entre un gouvernement et une armée qui tente de le destituer. Découvrir et capturer des délinquants - qu'ils soient auteurs de massacres ou qu'ils soient des puissants - c'est au contraire une opération policière. Mais, pour souligner la solennité de son engagement, le président Barco a déclaré la "guerre" devant la Colombie et 158 Pays de l'Onu. Par cette déclaration nous sommes restés coïncés dans l'équivoque de deux langages et de deux logiques, entre des buts de guerre et des moyens de police.

Equivoque qui implique de sérieuses contradictions.

- Certaines, politiques. Pour punir des criminels, le président n'a pas de raison de s'adresser à quelqu'un qui ne soit pas son subalterne dans la police. La guerre, par contre, est assumée par l'Etat - Congrès, Parlement et Gouvernement - elle revoie les relations entre gouvernement et opposition et en général, elle donne lieu à un "cabinet de guerre".

- D'autres, juridiques, qui investissent la collaboration entre le DAS (police) et les Forces Armées (guerre) et qui investissent la constitutionnalité ou pas des instruments comme la confiscation (guerre) ou le sequestre (police).

- D'autres encore, internationales. Les opérateurs de police ont besoin de coopération technique entre les agences spécialisées et d'appui logistique pour arrêter les délinquants. La guerre suppose un dialogue politico-militaire au sommet, collaboration économique et diplomatique au niveau global.

b) Quel est notre objectif stratégique?

Les faits du mois d'Août ont porté à un crescendo des deux guerres de la drogue en Colombie, la guerre effrénée contre le pouvoir judiciaire (le magistrat de Valencia, le colonnel Quintero) et celle contre l'élite politique (le gouverneur Bétancour, le sénateur Galan). La métaphore de "guerre" - et la discordance des voix officielles - ont empêché de préciser dans quelle - ou quelles guerres - nous sommes engagés, et par conséquent, quel - ou quels - sont les objectifs stratégiques.

1) S'agit-il de symboliser la douleur et la colère de la Colombie? Parce que les symbôles sont aussi efficaces que les faits. Et parce que, malheureusement, les "guerres" ne sont pas passés du plan symbolique aux faits, pour Rodrigo Lara et Jaime Pardo, pour Carlos Mauro Hojos et pour Fuillermo Cano.

2) S'agit-il de venger le massacre? De capturer leur donneurs d'ordres? De coïncer les chefs d'une ou de plusieurs organisations?

3) S'agit-il d'imposer des limites infranchissables à l'action de la mafia comme cela est arrivé aux USA (où l'on n'assassine pas les juges) et aussi au Mexique, en France et même en Turquie, au Japon et même en Italie ou dans la Chine des Knornitang?

4) S'agit-il d'éliminer la violence du narcotrafic comme une mortalité exaspérante - mais pas l'unique - comme l'a insinué dans l'"initiative pour la paix" le président Barco?

5) S'agit-il d'empêcher que les barons de la drogue résident en Colombie? Que d'autres maux affligent les colombiens? Veut-on détruire leur infrastructure - cultures, laboratoires, commercialisation, et tout ce qui s'en suit? Veut-on que l'industrie s'établisse dans d'autres pays?

6) Ou s'agit-il enfin, de contribuer à la guerre que les pays consommateurs déclenchent contre le crime des rues, ou encore de contribuer à la guerre contre la drogue elle-même?

Il ne peut-y avoir de victoire si l'objectif n'est pas clair. Surtout lorsque cette guerre comporte des particularités qui la rendent si difficile: l'infiltration très profonde de l'ennemi; l'affrontement déséquilibré entre armes régulières et contre-armes de corruption; le déséquilibre entre les cibles bien cachées à atteindre et les cibles éparpillées à défendre; 23% des forces engagées dans la simple garde des biens sequestrés; la menace latente de la guerrilla...

On dira que la guerre contre la drogue doit-être radicale et indiscriminée. Mais alors, devrions-nous contester, parce que nous ne l'avons pas déclarée depuis longtemps ?

Ou bien dira-t-on que préciser l'objectif stratégique est de la compétence spécifique du commandant? Mais dans une démocratie, les citoyens ont le droit de savoir où ils vont et s'ils sont en train d'avancer ou d'aller en arrière.

c) Guerre locale ou guerre internationale?

Il y a eu d'abord la réapparition de l'extradition, alors qu'elle semblait juridiquement ensevelie et que l'auteur d'un massacre était l'unique délinquant qu'un pays ne pouvait pas livrer. Puis il y a eu le voyage de madame le ministre de Greiff et l'image centuplée face au monde, d'une Colombie où les bons sont faibles et ont besoin d'appui contre les méchants. Le président Bush a ajouté sept relations publiques d'éloge au "valeureux" président Barco. Il y a eu 65 millions de dollars en dotation. On a échangé des lettres pour ressusciter l'accord du café - et les USA ont ajouté le thème des préférences commerciales. On a "filtré" une liste de parlementaires par un refus de visa. Le président de la Colombie a été reçu avec tous les honneurs à la Maison Blanche, acclamé à l'Onu et déclaré l'"homme d'Etat de l'année".

La guerre est devenue internationale. Il n'est pas nécessaire d'avoir l'idéologie simpliste de certains éditorialistes ou la défiance des présidents Pastrana et Bétancour, pour devoir se préoccuper pour cela. C'est tellement simple, comme l'a souligné le premier ministre canadien Pierre Trudeau: "Se mettre avec les USA c'est partager son lit avec un éléphant". Celui qui entre dans ce lit - Israël, Pologne, Japon ou Nicaragua - doit jouer le jeu selon la règle fondamentale: aux USA la politique internationale est une politique domestique, où la sympathie de certains fonctionnaires ne suffit pas, si elle s'emmêle dans la formidable complexité sociopolitique du premier pays du monde. Avec des paris aussi élevés que ceux que l'on rencontre dans les guerres internes de la drogue aux Usa, avec l'Oncle Sam qui respire si près de nous, l'identification de nos intérêts vitaux comme nation et les espaces de manoeuvre pour combattre nos guerres selon notre propre ordre de priorité, en résultent très sérieusement

compromis.

Devant l'internationalisation, il y a aujourd'hui l'urgence de reproposer notre projet géopolitique, notre engagement dans la guerre mondiale déclarée par la Colombie. Pouvons-nous maintenir la mise au point bilatérale que nous avons utilisé dans le cas de la dette et qui est préférée par les USA? Ou avons-nous besoin de projets aggressifs multilatéraux dans le cas de la drogue? Devons-nous chercher le status d'allié avec ses grands avantages et ses grands risques? Ou avons-nous intérêt à maintenir les distances?

d) Qui est l'ennemi?

Avec l'internationalisation, la définition d'ennemi interne s'est amplifiée. Auteur de massacres d'abord, il est devenu narcotrafiquant, ensuite politique ou journaliste probablement correct, vendeur d'immeubles ou de tableaux et même critique de l'extradition ou de la confiscation. A un point tel que le Conseil de Sécurité a dû lancer un communiqué ambigüe dans lequel il présente les dénonciations comme des tactiques de diversion par rapport à l'ennemi véritable. Mais tout demeure encore indéfini. Et la polarisation s'aggrave, nous obligeant à prendre position non pas sur la violence, mais sur la drogue. Et il consacre comme unique discours moralement valable, celui de la guerre totale, en obligeant ceux qui osent manifester des doutes à changer de cap dans l'unique discours qui peut faire face publiquement au moralisme: le discours anti-impérialiste. Jusqu'à nous coïncer tous dans le dilemme absurde et tragique de se ranger aux côtés de la morale, mais avec l'impérialisme, ou bien de se ranger avec l

a patrie, mais avec la criminalité.

e) Où est la classe dirigeante?

Tout comme la noblesse française, qui bénificia de la paix et se cacha dans la guerre, la classe dirigeante colombienne a cessé de diriger. Comme jamais dans le passé, le discours public a pris de la distance envers la conversation privée.

Et le président, peu à peu, est resté seul, sans même l'unanimité de son Cabinet; seul avec le discours public que sont les éditorialistes et le discours à distance qu'est l'applaudissement des organismes et des gouvernements étrangers.

En attendant, les syndicats, les organisations politiques au niveau des dirigeants, les candidats présidentiels, répètent des rituels formels ou bien éludent le problème ou bien se taisent. Ils craignent l'appellation de "malhonnêtes" ou de "défaitistes" - tellement facile dans un climat de nervosité, et - avec raison - pour leur vie.

Conscients de la dichotomie entre parole officielle et sentiment privé, ils ne savent pas distinguer quelle est la pensée de l'opinion publique pour pouvoir lui complaire. Il ont l'intuition que même une seule proposition malavisée peut entraîner dans des coalitions insoupçonnées, un pays où toutes les controverses ont été réduites, à l'improviste, à la position que l'on a sur la drogue.

Ils sont tous bouleversés justement, au moment le plus difficile de la Colombie.

C'est une éthique politique que ce qui est en crise. L'éthique de répondre aux défis publics avec les convictions privées des gouvernants. L'éthique de réagir selon la dernière crise ou les prochaines élections, et non pas selon l'"idée éternelle" chère à De Gaulle et qui est le fil historique d'une nation. L'éthique qui saute du dogmatisme immobile à la coercition inutile.

L'éthique des intentions, valable dans la vie privée, au lieu de l'éthique des résultats, obligatoire, lorsque l'on a des responsabilités collectives: cette autre éthique qui aurait dû se doser sur la réflexion sur ce que chaque épisode de violence signifie pour nous-mêmes, sur les institutions que nous avons créées pour régler nos vies, sur l'endroit que nous occupons et celui que nous rêvons d'occuper dans le monde.

 
Argomenti correlati:
stampa questo documento invia questa pagina per mail