Radicali.it - sito ufficiale di Radicali Italiani
Notizie Radicali, il giornale telematico di Radicali Italiani
cerca [dal 1999]


i testi dal 1955 al 1998

  RSS
gio 24 apr. 2025
[ cerca in archivio ] ARCHIVIO STORICO RADICALE
Archivio Partito radicale
Bertrand Marie Andrée - 14 novembre 1989
AU-DELA DE L'ANTIPROHIBITIONNISME
Marie Andrée Bertrand

Professeur titulaire Ecole de criminologie et Centre International de criminologie comparée Université de Montréal.

Si le Parti radical n'avait pas créé une Ligue Internationale antiprohibitionniste en mars 1989, il faudrait absolument le faire maintenant en attaquant de front la politique pénale sur les drogues et en marquant bien que la seule solution possible passe par une révision complète des conventions internationales. Mais d'ailleurs, qui d'autre que le Parti Radical et C.O.R.A. pouvaient bien inventer un organisme international prenant si carrément le contre-pied de l'opinion publique et de la politique pénale de tous les pays occidentaux en cette matière ?

Déjà, le Colloque de Bruxelles, en octobre 1988, représentait tout un pari : rassembler des protagonistes de plusieurs pays, ayant déjà proposé des solutions de rechange à la prohibition, prendre le risque de les faire s'exprimer sur diverses modalités d'abolition des politiques pénales, publier les Actes du Colloque : autant de gestes qui ont sérieusement contribué à nourrir le débat et à l'élever de plusieurs crans mais des gestes qui représentaient un défi que personne n'avait eu le courage de relever avec autant de visibilité et en regroupant autant de partenaires. La force argumentative des membres fondateurs de la Ligue, celle des membres du Parti engagés dans le combat antiprohibitionniste s'est trouvée considérablement enrichie par le Colloque, par ses Actes et, plus tard, par les débats et les déclarations du Congrès de fondation de la L.I.A.

L'Antiprohibitionnisme dans l'arène politique

Depuis ?

Depuis, l'antiprohibitionnisme s'est taillé une place dans l'arène politique pendant la campagne qui a précédé les élections au Parlement européen et grâce au Parti Radical, à son orientation transnationale et transpartite, le Parti Radical a fait élire un député au Parlement européen sur une plateforme antiprohibitionniste. Les camarades espagnols, à leur tour, ont maintenant le courage de créer aussi une liste antiprohibitionniste dans la course au Parlement et au Sénat. Ce sont là des gestes d'une grande portée non seulement politique, c'est à dire, rendant possibles les combats contre les politiques pénales actuelles depuis un siège électif aux structures de pouvoir législatif d'un pays, mais aussi éducative et profondément démocratique. Ces candidatures sont l'occasion de débats capitaux sur le coût de la prohibition, sur les origines de cette politique irrationnelle et vicieuse, sur les raisons qui en expliquent la persistance malgré son échec retentissant.

Depuis ?

Depuis, il y a eu le plan Bush venant multiplier les terribles problèmes que crée en Amérique Latine et spécialement en Colombie, en Bolivie et au Pérou, une politique prohibitionniste des pays du nord, voulue surtout par les pays consommateurs et dont la locomotive est sans conteste la prétention américaine de faire cesser "ailleurs", de contrôler de l'extérieur, les problèmes que le pays s'est créés. C'est la répétition de la dynamique qui a prévalu au moment de l'adoption des premières conventions internationales sur les stupéfiants... Il s'agit, au fond, pour les Américains, de se poser en champions de la lutte pour un ordre "moral" qu'ils sont bien incapables de faire respecter à la maison. C'est la tentative de fermer les frontières, de contrôler à distance ou sinon, d'imposer son ordre par la force armée.

Il était temps - et de quel sens aigu de l'urgence morale et politique internationale le Parti Radical a fait preuve en mars 1989 - de créer une Ligue antiprohibitionniste et internationale.

Depuis ?

Depuis, les évènements s'enchaînent à une vitesse incroyable et les effets de la prohibition éclatent chaque jour avec une ampleur dramatique. Si bien que des voix même conservatrices ou en tout cas modérées se prennent à évoquer des solutions de rechange à la prohibition, dont les unes sont radicales.

Qu'on en juge.

Le prohibitionnisme passé au crible de l'opinion et de la presse écrite

Déjà, en mai, le Nouvel Observateur, un hebdomadaire plutôt de gauche il est vrai, évoquait l'inanité de la politique prohibitionniste dans un grand reportage sur l'échec de la répression en France : "Le retour de la French Connection", montrant que le démembrement des installations et des circuits de la drogue dans le sud du pays n'avait eu que des effets bien éphémères. Le 11 juin, l'hebdomadaire italien Espresso annonçait une liste antiprohibitionniste créée par le Parti Radical dans le cadre des élections au Parlement européen et publiait un commentaire de fond sur la nécessité de solutions alternatives au contrôle pénal. Le 31 juillet, la Presse, quotidien de Montréal, titrait : "Le débat sur la décriminalisation (de la drogue) reprend". Le 30 juillet, l'Espresso publiait un extraordinaire reportage fait de cent entrevues avec des personalités qui avaient de bonnes raisons de préconiser la légalisation des drogues : "Droga legale cento buone ragioni". Le 7 août, Newsweek, sur un ton humoristique qui se

passe de commentaires, titrait : "Bring back the Mafia". El Pais, le 14 août, "Faut-il dépénaliser?".

Quelques jours plus tard, dans Le Nouvel Observateur, (le 31 août) : "La drogue, la guerre mondiale". La revue Science, le 1er septembre, publiait un excellent article d'un membre fondateur de la Ligue, Ethan Nadelman "Drug Prohibition : Costs, consequences and alternatives". Le Monde le 6 septembre : "Faut-il dépénaliser?". The Times, le 6 septembre, "The best policy, however unpopular, legalized control". Le Monde, 7 septembre : "Le plan Bush axé sur la répression: les risques de la prohibition". The Economist, le 12 septembre, analysant la guerre à la drogue menée par le gouvernement américain : "Mission impossible". Le Point, le 17 septembre : "La guerre à la drogue est-elle perdue d'avance ?". Le Nouvel Observateur (12-18 octobre) : "Si la drogue étant en vente libre: le scénario (pour 1992) qui fait peur". Etc..etc..

On le voit: ce ne sont plus seulement les coûts de la prohibition qui sont évoqués ou même qui acquièrent une visibilité inégalée. C'est l'impossibilité du prohibitionnisme comme politique de contrôle de la drogue à l'échelle internationale.

Ce qui éclate aussi au grand jour c'est la folie de la solution armée pour contrôler un trafic rendu mille fois plus lucratif par son caractère illégal.

Le victoire n'est pas pour demain

Toutefois, et même si l'opinion publique et la presse semblent venir doucement à l'idée que le prohibitionnisme a fait son temps, même si on se rend bien compte qu'on ne changera pas les habitudes de consommation de millions d'habitués de la drogue par la lutte armée, le contrôle des frontières, l'extradition des trafiquants et leur emprisonnement, - la légalisation des drogues n'est pas pour demain . Le combat pour que cessent les politiques pénales et répressives dans le domaine de la circulation et de la consommation des drogues est loin d'être gagné. Tant d'intérêts viennent s'opposer au retrait pur et simple des conventions internationales!

Les membres de la Ligue qui se sont engagés à combattre partout, dans leur pays et auprès des organes internationaux de contrôle de la drogue, les politiques prohibitionnistes devront s'adjoindre des milliers, des millions de camarades travaillant tantôt sur le plan politique, comme Marco Taradash, Luigi del Gatto et tant d'autres en Italie, en Belgique, en France, aux Etats-Unis, en Espagne, - tantôt dans les congrès scientifiques, - tantôt auprès des media, dans la presse écrite et les moyens électroniques (ce que font régulièrement les membres de la Ligue avec une vigueur remarquable). Je pense ici aux articles qu'on a porté à ma connaissance, aux numéros spéciaux de revues, sur la politique des drogues - Nueva Sociedad notamment où nos confrères d'Amérique Latine ont publié des analyses de fond des problèmes politiques et économiques que cause la prohibition dans leur pays; je pense à tant de coupures de journeaux qu'on fait parvenir à la Ligue et qui racontent les combats des membres de la Ligue aux Et

ats-Unis, en France, en Grande-Bretagne, en Belgique, en Espagne, en Suisse, en Allemagne, aux Pays-Bas etc...

Mais il faut aller plus loin

Mais le Parti peut-il se contenter de combatre le prohibitionnisme dans le domaine des drogues? La simple logique morale ne nous amènerait-elle pas à combattre toutes les mesures pénales s'en prenant, par exemple, à des crimes sans victimes et à défendre une vision minimaliste de la répression pénale, c'est à dire un contrôle répressif s'appliquant aux seuls comportements qui constituent un réel danger social et à propos desquels les autres contrôles s'avèrent inefficaces?

Les lois sur les drogues sont-elles les seules qui méritent qu'on les corrige? N'existe-t-il pas quelques dizaines d'autres domaines des conduites humaines ou l'Etat vient s'immiscer par son bras pénal dans des comportements individuels sous prétexte de servir les intérêts collectifs et de "concourir au bonheur du plus grand nombre" (comme diraient Bentham et John Stuart-Mill) mais en réalité pour répondre aux pressions de groupes d'intérêts particuliers qui défendent leurs possessions, leur tranquillité, leur conception d'un ordre moral"?

Je pense ici aux combats menés par certains groupes d'âge et certaines formations sociales, au Canada, en vue de rendre plus punitives les lois contre la prostitution et la pornographie. Quelle hypocrisie de la part de tous ceux qui utilisent la prohibition pour "ne pas voir cela dans la rue ou chez le marchand de journaux" mais qui ont tant de moyens de se la procurer à la maison ou "dans des maisons" de leur choix.

Je pense aux centaines de clauses des codes pénaux qui s'attaquent aux délits contre la propriété, et qui font de "l'overkilling" en considérant le vol à l'étalage comme une infraction punissable d'emprisonnement. Une délinquance d'occasion qui devient une activité de nécessité chez les jeunes chômeurs (et les moins jeunes), les assités sociaux, les mères "monoparentales". Quelle est la légitimité d'un Etat qui utilise la sanction pénale contre une délinquance issue de la nécessité et d'une organisation sociale injuste?

Nous savons tous au parti Radical que les lois ne sont pas le droit. Personne ne les confond. Nos lois pénales sont votées par les législateurs, des hommes (peu ou pas de femmes) de la classe moyenne supérieure, du groupe éthnique dominant, soucieux de satisfaire les intérêts de leur groupe et ceux des lobbies corporatistes qui les supportent en temps d'élection. Elles sont rarement faites pour assurer le plus grand bonheur de plus grand nombre comme le voudraient les philosophes pénaux de la tradition libérale démocratique.

Après 25 ans d'enseignement et de recherche en criminologie, ayant bien examiné le traitement que les Etats font à leurs prévenus, à leurs accusés, à leurs condamnés, j'en suis venue à la conclusion que le droit pénal est tellement injuste, tellement pervers dans ses moyens et si souvent illégitime dans ses objets qu'il faut travailler à l'abolir tout entier. Qu'on l'examine du point de vue des valeurs qu'il défend (de 40% à 70% de ses dispositions vont à faire respecter la propriété privée de "contribuables" ou de compagnies et de corporations qui ne "contribuent pas" et de compagnies exemptées des devoirs fondamentaux de respect des biens les plus essentiels à la survie de l'humanité - on pense aux pollueurs professionnels à qui on n'arrive même pas à imposer des sanctions économiques efficaces, on pense à l'industrie pharmaceutique qui médicalise sans vergogne des millions de personnes âgées pendant que l'Etat emprisonne les fumeurs de marijuana et les usagers de cocaïne et d'héroïne) ou dans ses disposit

ions qui éjectent pour de bon du système social ceux que l'organisation économique avait déjà marginalisés - le droit pénal et surtout le système pénal apparaissent comme des maux en soi et la source de tant d'inéquités qu'on en arrive à la conclusion qu'il faut s'en défaire, surtout au terme de quelques décennies de tentatives pour le réformer.

Il y a tant de victimes du système pénal!

Nombreux sont les membres du Parti radical qui ont eu à en souffrir. Certains en sont morts, comme Enzo.

A côté des victimes de crimes, il faut bien regarder et compter les victimes du droit pénal, ces auteurs de délits plus ou moins graves, ces dissidents que le bras le plus violent et le plus agressif de l'Etat vient violer de façon totalement sélective. Plus le processus se resserre, plus on approche de l'incarcération, plus la sélection est évidente, plus la discrimination joue contre les jeunes, les marginaux moraux, les dissidents idéologiques, les résistants, les personnes seules, les pauvres, les membres des groupes ethniques minoritares. Tous ceux que l'ordre ou plutôt le désordre ambiant n'a pas su "organiser" efficacement.

Le système pénal est une abomination. Plusieurs hommes et femmes ayant toute leur raison, des savants respectés, ont plaidé pour son abolition. Ce fut par exemple, Mathiesen, un juriste d'origine scandinave, qui publia en 1974 The Politics of Abolition. Puis Louk Hulsman, un professuer de droit pénal à l'Université de Rotterdam, qui proposa : "Le paradigme pénal abolitionniste et la recherche sur la catégorie de crime" en 1977 (Conférence à Lyon). A nouveau, Louk Hulsman, avec l'aide de Jacqueline Bernat de Celis, en 1982, dans un volume fort justement intitulé : "Peines perdues, le système pénal en question". Puis, Derksen, en 1980, dans un mémoire de maîtrise à l'Université de Montréal "L'Hypothèse de l'abolition du système pénal". Bianchi et van Swaaningen qui colligent en 1986 un ensemble de textes intitulés : "Abolitionism, toward a non-repressive approach to crime". Blad, en 1987: "The criminal justice system as a problem: an abolitionist perspective". Baratta, en 1983, Van Outrive en 1983, etc...

Pas plus que les antiprohibitionnistes dans le domaine de la drogue, les abolitionnistes ne proposent une société sans normes. La majorité estime que la prise en charge par l'Etat de tant de conflits dans lesquels il vient s'interposer entre la victime et l'agresseur présumé a considérablement contribué à déresponsabiliser tout le monde, l'agresseur, la victime, le milieu et qu'il convient de revenir au plus tôt à des solutions plus conviviales, plus solidaires, plus communautaires à propos des conflits de toute nature.

Beaucoup d'initiatives en ce sens (réparations, restrictions, dédommagements...) s'avèrent économiques au plan des ressources de l'Etat et des individus, réconfortantes pour les parties qui ne se perçoivent plus comme étrangères dans leurs propres affaires. C'est par exemple le cas de la déjudiciarisation, du recours systématique au témoignage des victimes, ou de la pratique d'inviter les parties à proposer des solutions à leurs propres conflits sans que l'Etat et ses procureurs dominent toute la scène. Avec cette conséquence peu prévisible au départ, que les victimes qui prennent part à la solution de leurs conflits et ont quelque chose à dire dans les réparations qui leur sont dues se remettent deux fois plus vite des traumatismes qu'elles ont subis que lorsqu'elles laissent tout entre les mains du système judiciaire et subissent passivement leur procès.

Mais la solution abolitionniste n'est-elle pas trop radicale, ne vaudrait-il pas mieux adopter d'abord un programme minimaliste en sortant du droit pénal tous les crimes sans victimes et les délits qui ne constituent pas un tort réel au groupe social?

Ce qui laisse songeur devant la solution minimaliste, c'est le fait que certains pays occidentaux qui tentent de la pratiquer à des degrés divers (recourant très peu à l'emprisonnement, réduisant le nombre des infractions, déjudiciarisant le plus souvent possible), la Hollande par exemple, le Danemark, se retrouvent quand même aux prises avec la tentation permanente de rallonger les peines, de réintroduire dans le code de nouveaux crimes. Ainsi, par exemple, nos collègues hollandais ont dû reconnaître que les longues sentences imposées aux personnes condamnées pour affaires de drogues ont sérieusement contribué à hausser la durée générale des peines de prison (Hulsman, 1083). Le système pénal a une tendance naturelle à l'inflation....

Mais d'ores et déjà, me semble-t-il, l'antiprohibitionnisme dans le domaine des drogues ne saurait satisfaire aux orientations radicales du Parti. S'il est trop tôt pour proposer un programme "moral" qui entraîne l'abolition complète du système pénal, il faudrait à tout prix travailler sérieusement dès maintenant à l'abolition des prisons. Sur ce chapître, on pourrait rejoindre ICOPA (International Coalition for the Abolition of Prisons). A ce niveau du système pénal, les effets de sélection, de discrimination, de criminalisation ne sont plus à démontrer.

D'ailleurs, le Parti Radical n'en n'est pas à une contestation près de l'ordre juridique, civile et pénale. Qu'on pense aux luttes et aux victoires du Parti dans le domaine du divorce et de l'avortement, par exemple. Mais ne faut-il pas aller plus loin.

 
Argomenti correlati:
stampa questo documento invia questa pagina per mail