Un appel à tous ceux qui ont le privilège de savoir
par Emma Bonino
SOMMAIRE: Nous avons manqué l'objectif des cinq mille inscrits que nous nous étions fixé pour Février. Seulement 2.250 personnes ont eu confiance en elles-mêmes. Ce n'est pas la survie d'un appareil qui est en jeu, mais "seulement" la survie des luttes et des idéaux que seul le Parti Radical peut affirmer dans notre société. Ce qui est en jeu, c'est "seulement" la possibilité de faire gagner à la politique un autre centimètre de démocratie, de liberté, de tolérance. Nous crions littéralement "à l'aide" -ce que l'on fait en faveur de ceux qui se trouvent en danger- et nous le demandons à ceux qui ont le privilège de savoir, de connaître. Nous avons besoin d'oxygène pour permettre à cet organisme vivant, le Parti Radical, de résister le temps nécessaire pour qu'il puisse conquérir la possibilité d'être connu et jugé. Parceque nous sommes certains que lorsque l'on permettra de faire connaître le projet transnational et transpartitique, la proposition de réforme de la politique dont nous sommes les vecteurs, les
gens pourront et sauront se reconnaître, ils retrouveront la confiance dans leurs propres espoirs, ils penseront que le moment est venu de se mobiliser.
Combien, parmi les quelques "privilégiés" qui recevront ce journal, ces informations, choisiront la solidarité et le courage plutôt que le silence?
(Notizie Radicali N·51 du 2 Mars 1990)
Par la Motion approuvée par le Conseil Fédéral qui a eu lieu à Rome début Janvier 1990, le PR a fait appel encore une fois à l'opinion publique afin que l'on puisse garantir à notre société, la vie de cette formation, unique dans le panorama politique international.
Mais contrairement à ce qui s'est passé il y a trois ans, losrque nous nous adressâmes à l'opinion publique pour qu'au moins 10.000 personnes empêchent, par leur inscription, que le PR ne cesse son activité (malgré lui), aujourd'hui nous devons aider à croître un nouveau sujet politique transnational et transpartitique qui a montré, dès le départ, une vitalité extraordinaire. Il suffit de penser à l'enthousiasme avec lequel se sont formés les groupes radicaux de Moscou, de Prague, en Yougoslavie et en général dans tous les pays qui sont en train de reconquérir la démocratie.
Mais quelques centaines de personnes seulement dans le monde n'y arriveront jamais. L'objectif de cinquante mille inscrits au PR avant la fin de l'année, fixé par le Conseil Fédéral, représente donc l'oxygène, le sang nécessaire pour permettre que cet organisme tellement faible, tellement anomal, tellement exposé à la maladie de la démocratie réelle -l'impossibilité pour les citoyens de connaître pour pouvoir juger- puisse résister le temps nécessaire à l'arrivée du "remède" indispensable pour conquérir, par un acte d'intelligence et de volonté politique, la possibilité d'être connu et jugé.
Oui, parceque nous sommes profondément convaincus que l'"ignorance", littéralement, la non-connaissance des propositions du PR, ne permet pas au projet transnational, à la proposition de réforme de la politique dont nous sommes les vecteurs, de s'affirmer, de pousser les gens à avoir confiance et à se mobiliser.
Mais pourtant...pourtant, il nous semble impossible qu'il n'y ait pas cinquante mille personnes, de toute orientation possible, ayant le goût pour les entreprises difficiles, comme le divorce, la justice, la lutte contre l'extermination par la faim dans le monde et contre tous les totalitarismes, qui aient la force d'aller à contre-courant.
Il nous semble impossible qu'il n'y ait pas 20.000 camarades parmi les 1.500.000 inscrits au PCI, qui par un acte de générosité ou d'intérêt politique, s'inscrivent à cette nouvelle internationale nonviolente et fédéraliste. Sont-ils à ce point introvertis pour ne pas voir que la possibilité de succès de leur processus d'abandon de la référence idéologique communiste et de leur projet de transformation en parti démocratique "tout court" doit-être recherchée essentiellement en dehors de leur monde politique traditionnel?
Nous nous sommes fixés un tableau de marche, nécessairement arbitraire mais indispensable pour permettre à nous-mêmes et aux autres de mesurer la quantité d'oxygène, de consensus, de ressources dont a besoin chaque jour le PR: 1.000 inscrits avant le 21 Janvier, 5.000 avant fin-Février, 10.000 avant fin-Mars et...50.000 avant la fin de l'année.
Le premier objectif des 1.000 inscrits a été atteint de justesse. Celui de février par contre a été manqué...
Certains camarades et amis ne semblent pas se rendre compte de l'enjeu. Ils disent que cela fait vingt ans que nous crions "au loup", que nous augmentons à chaque fois la quantité d'inscriptions, que nous annonçons que nous n'y arrivons pas.
C'est vrai. C'est vraiment ainsi. La société radicale n'a pas de revenus, de positions de pouvoir acquises; comme toute famille ou société saine et non-corrompue, elle doit toujours faire avec l'argent de sa caisse, avec la demande de démocratie qu'elle réussit à stimuler dans l'opinion publique, avec le consensus des destinataires de sa politique qui ne sont pas des courtisans mais des libres citoyens. La première fois ce fut en 1971, lorsque nous établîmes au Conseil que le seuil minimum pour pouvoir assurer l'existence et le caractère fonctionnel du PR, était de mille inscrits.
Le raisonnement était simple. Mais aujourd'hui seulement, nous pouvons en apprécier la cohérence: c'est au PR, seulement au PR, que reviennent les tâches et les batailles infiniment disproportionnées à ses forces. Il s'agissait de défendre la loi sur le divorce arrachée aux partis laïcs réticents et qui était mise alors en discussion non seulement par le référendum clérical mais surtout par le caractère accomodant des partis qui l'avaient votée. Ils étaient disposés à tout pour éviter le heurt politique avec le monde catholique. Il s'agissait d'ouvrir la campagne pour la légalisation de l'avortement.
Les mille inscrits arrivèrent et le PR eut la force de porter le pays à la grande victoire du divorce du 13 Mai 1974, d'imposer l'affrontement sur l'avortement.
Après 19 ans, ces mêmes considérations seraient actuelles, immédiatement compréhensibles si elles pouvaient-être entendues. Comme alors, le carquois des initiatives est plein. Comme alors la disproportion entre les objectifs que le PR, seulement le PR, peut réaliser et ses ressources, est énorme: la bataille pour la réforme de la politique et du système électoral en Italie, la lutte transnationale contre le nouveau totalitarisme qui se cache aujourd'hui derrière le prohibitionnisme des drogues, la création effective d'une internationale fédéraliste nonviolente capable de donner des réponses positives aux nouveaux problèmes de l'Est-européen et aux vieux problèmes du Sud affamé...
Sont-ce là des propositions vélléïtaires, utopiques. Nous avons désormais l'habitude de nous l'entendre dire, depuis que nous étions quatre chats en Italie à ouvrir le front des droits civils, la pratique de la nonviolence, l'affrontement avec la partitocratie. Mais lorsque le langage-même du PR est entré dans l'usage commun, pas un de tous les barguigneurs n'a eu le courage de reconnaître sa myopie. Aujourd'hui ils sont plus prudents devant les deux mots-clé du défi radical, "transnational et transpartitique". La "raisonnable folie" de la refondation comme sujet, non plus lié aux schémas traditionnels de la politique nationale et partitique, est accueillie avec plus de prudence par ceux qui se rendent compte toujours davantage que la démocratie sera toujours plus impraticable en Italie sans mettre en discussion le mécanisme électoral et la forme-même du parti; qu'au processus d'internationalisation des décisions politiques et de dégradation des parlements nationaux on ne peut plus donner une réponse pu
rement défensive. Il faut en somme doter les nouvelles institutions supranationales de tous les mécanismes de contrôle et de garanties parlementaires si l'on ne veut pas permettre que le pouvoir soit transféré à des institutions dangereusement antidémocratiques.
Mais malgré ces reconnaissances il semblerait que ces batailles, cette défense têtue des valeurs de la démocratie et du droit, de la vie, ne valent pas 182.500 Lires, le coût annuel de la carte radicale. Ce n'est pas le coût de la carte qui est en question. Pour la plupart 182.500 lires ne représentent que le superflu, moins qu'un abonnement au cinéma, au théâtre, à une salle de gymnastique ou que quelques séances chez le coiffeur. En effet seuls ceux à qui cela coûte des sacrifices, les retraités ou les étudiants, savent reconnaître la valeur de la carte radicale, de cette espèce d'assurance contre le vol de démocratie, d'espoir de changement et de possibilité d'amélioration de la qualité de la vie, pour tout le monde.
Alors?
Comme en 1972, comme en 1987, rappelons à ceux que nous réussissons à atteindre que le PR n'est pas, heureusement, un organisme parastatal qui survit indépendamment de son utilité et du consensus. Contrairement aux autres partis nous n'avons pas et nous ne voulons pas avoir des centaines de milliers de fonctionnaires dans les départements, les provinces, les régions, dans les centres de sécurité sociale, dans les ministères ou plus généralement dans les institutions publiques, qui pour vivre doivent, à tout prix, faire survivre le parti grâce auquel ils ont trouvé du travail. Aucun assesseur, aucun conseiller communal ou régional ne perdrait sa place pour éviter la fermeture du parti. Six camarades en tout, le minimum essentiel pour faire fonctionner l'administration et le bureau des inscriptions, sont les seuls "employés" du parti. Nous sommes donc en mesure de fermer sans mettre personne sur le pavé. Dans tous les tous cas, nous prendrons en charges ces six personnes, même si nous devions le faire à t
itre personnel.
Donc ce qui est en jeu, ce n'est pas la vie de personne, mais "seulement" les luttes et les idéaux du parti. Ce qui est en jeu, c'est "seulement" la possibilité de faire gagner à la politique un autre centimètre de démocratie, de liberté, de tolérance. Est-ce que cela vaut quelque chose pour vous? Est-ce que cela vaut 182.500 Lires?
Chères Camarades et Chers Camarades
En 1972 l'objectif fut atteint. Mille personnes répondirent en faisant confiance avant tout à elles-mêmes.
Et en 1990? Encore une fois c'est de vous que nous attendons une réponse pour pouvoir aller de l'avant, vous qui avez le privilège de savoir et aussi la responsabilité de faire savoir.
Combien, parmi ceux qui recevront ce journal, de cette minorité qui a le privilège de savoir, choisiront la solidarité plutôt que le silence?