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Albert Michel - 1 giugno 1990
TROIS LECONS DE L'UNITE ALLEMANDE POUR L'UNION EUROPEENNE

de Michel Albert

Président des AGF (Assurances Générales Francaises)

SOMMAIRE: Les miracles de la solidarité nationale; le cout de la non-Europe pour les autres pays de l'Est; ce qui est vrai pour l'Est nous interpelle quant au Sud.

(En "Les futurs de l'Europe", Le Monde Editions/Fondation Europe et Société. Diffusion La Découverte. Juin 1990)

Première lecon. Les miracles de la solidarité nationale.

Nous devrions retenir notre souffle: jamais depuis le plan Marshall, un tel exemple de solidarité n'avait été donné, mais au plan national cette fois.

On nous disait que la RFA était gouvernée par la Bundesbank. Depuis vingt ans qu'il est question de faire un saut en avant pour passer du simple marché commun à une véritable union économique et monétaire, la "buba" (1) nous explique qu'avant de pouvoir envisager une union monétaire, il fallait avoir quasiment achevé la convergence des économies et surtout des politiques écomomiques.

Vingt ans de perdus, pas seulement à cause de cet argument de principe repris par le gouvernement de la RFA, mais aussi par l'argument contraire, tout aussi critique, des Francais qui, avant meme d'avoir achevé le processus de désinflation, voulaient, à travers l'objectif de l'Union monétaire, maintenir le role des pouvoirs nationaux de manière à trouver des compromis permettant d'obtenir certaines marges de jeux inflationnistes.

Tout cela est fini, balayé. Le Chancellier Kohl a obtenu l'échange d'un mark-Est pour un deutschmark, alors qu'un taux de change de marché aurait été de l'ordre de 1 à 3, ou 1 à 4. Il en résulte un extraordinaire avantage au profit des Allemands de l'Est, dont le pouvoir d'achat va se rapprocher rapidement de celui de la RFA. Alors que des écarts modestes entre les principaux pays de la Communauté étaient considérés comme un obstacle incontournable à l'Union Monétaire Européenne, voici que l'abime existant entre les deux Allemagne est réduit en moins de six mois, grace à un extraordinaire effort de solidarité budgétaire et social.

Deuxième lecon. Le cout de la non-Europe pour les autres pays de l'Est. La surcharge temporaire (en admettant les rendements supplémentaires futurs) que 60 millions d'Allemands de l'Ouest acceptent au profit de 16 millions d'Allemands de l'Est, pourquoi la CEE des Douze, qui compte 320 millions d'habitants, ne l'envisagerait-elle pas - toutes proportions gardées - envers les 100 millions d'habitants des six pays qui viennent de se libérer du totalitarisme communiste en 1989 ?

Certes, les conditions économiques et sociales ne sont pas comparables: il y a presque autant d'écart entre la RDA et la Roumanie, qu'entre la RFA et la RDA ... Il n'en demeure pas moins que, si l'Europe était, comme la RFA, un véritable Etat, fédération politique, avec une unité budgétaire et monétaire achevée, alors il apparaitrait comme une évidence que, ce que les Allemands de l'Ouest font en faveur de leurs frères séparés de l'Est - et qui ne constitue, répétons-le qu'un sacrifice provisoire, en réalité un investissement rentable à terme -, les Européens de l'Ouest doivent et peuvent le faire au profit des Européens de l'Est.

Troisième lecon. Ce qui est vrai pour l'Est nous interpelle quant au Sud.

Pourquoi cette précipitation du gouvernement Ouest-Allemand ? Pourquoi cette énergie du Chancellier Kohl, franchissant tous les obstacles théoriques et politiques ? Parce qu'il s'agissait de avant tout de stopper l'immigration des Allemands de l'Est vers l'Ouest.

Mais ce problème de l'immigration, nous l'avons, et de plus en plus, dans les douze pays membres de la CEE. L'écart grandissant des niveaux de vie et des mouvements démographiques ne peut qu'aggraver les problèmes de l'immigration, donc du nationalisme et des tentations racistes. Voici la troisième lecon de l'unité allemande: faire ce qu'il faudrait pour stabiliser dans leur pays d'origine les millions de Maghébins, d'Egyptiens et de Turcs qui vont s'infiltrer à travers les frontières de la CEE, c'est aussi une tache qui serait à la taille de l'Europe, si celle-ci était constituée en une véritable fédération. Et cette tache aussi constituerait un investissement rentable pour ceux qui aurait la fierté de l'accomplir.

Madame Thatcher n'en veut à aucun prix. Son objectif central est de préserver le sanctuaire de la souveraineté britannique. Pour cela elle propose avec beaucoup d'intelligence un projet en apparence séduisant, celui d'une grande Alliance de l'Atlantique à l'Oural pour le progrès démocratique dans le cadre de la CECS (2). Il ne faut pas rejeter ce projet qui a du sens, mais comme l'ONU, l'UNESCO et l'UNICEF ont du sens, pas plus.

La seule clé qui concilie la compétitivité économique, la cohésion sociale et la solidarité internationale au bénéfice de l'Europe de l'Est comme des pays du Sud de la Méditérranée, s'appelle la Fédération politique européenne.

(1) la bundesbank

(2) Conférence européenne pour la coopération et la sécurité

 
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