SOMMAIRE: [Transcription de l'intervention faite au cours du séminaire "Le Parti radical transnational et la nouvelle Europe" - Prague 15, 16 et 17 juin 1990] Une intervention longue et complexe dans laquelle sont confirmés et approfondis certains thèmes théoriques de la pratique du parti radical, à partir de la revendication intransigeante "de la liberté et donc de la responsabilité de l'individu", autrement dit de la démocratie politique, en polémique avec "les grandes élaborations "programmatiques, politiques" des social-démocraties et des libéral-démocraties européennes, toutes précisément restées lettre morte à l'égard des pays du "communisme réel": alors que les radicaux venaient manifester dans ces pays contre l'occupation soviétique et la "sclérotisation" de la société, les social-démocraties et les libéral-démocraties - l'Europe démocratique en définitive - s'inquiétaient de gérer leurs affaire dans les pays dans lesquels les "conquêtes" sociales elles-mêmes étaient accordées par le pouvoir, dans le
squels elles n'étaient pas une conquête de "droit". Les initiatives, les batailles radicales étaient de "classe" (et il est faux de dire, aujourd'hui, que la lutte de classe n'existe plus).
L'Occident a toléré et soutenu le développement des totalitarismes; une erreur dont sont également responsables les pacifistes, les occidentaux tout autant que ceux d'inspiration communiste, avec leur "indifférence" et leur neutralisme à l'égard des violations du droit. Seul le parti radical, en laissant même que ses meilleurs hommes aillent en prison, a défendu d'une manière intransigeante les droits de l'homme, à l'Est comme à l'Ouest.
Mais même après la chute du communisme il faut faire attention: dans les pays de l'Est, aujourd'hui, le risque est de ne pas créer quelque chose de nouveau, mais de s'en remettre ici aussi à une véritable particratie, et surtout de reconstituer l'Europe de 1919, avec ses nationalismes de mauvaise qualité. Ceux-ci doivent être dépassés, en essayant également de donner à l'ONU une "force coercitive" capable d'intervenir et de se faire respecter pour mettre fin à ces controverses. Malheureusement, la seule force politique qui agit sur ces objectifs, le parti radical, risque à présent de disparaître. Il faudrait une politique de l'information bien différente - qui manque cependant partout, même en occident - pour renverser cette éventualité. L'intervention affronte ensuite certains thèmes internationaux parmi les plus pressants, de celui de l'Afrique du Sud, où l'ANC de Nelson Mandela a répudié la non-violence du début pour favoriser la lutte armée, au Moyen-Orient, du Tibet à la Chine. En conclusion, la questio
n du prohibitionnisme, qui permet le développement dans le monde, et en premier lieu aux Etats-Unis, d'une culture de la peine de mort contre laquelle il faut se mobiliser tout de suite.
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Bettini (1) disait, au début de son exposé, qu'une des caractéristiques du Parti radical a été sa capacité d'intervenir pour que des processus de choix et ensuite des processus décisionnels, qui laissés aux temps de la politique et de la culture dirigeante auraient été longs ou trop longs, soient au contraire acquis par la société et par les individus.
Voilà, je crois, le point central de l'époque dans laquelle nous vivons, qui est caractérisée par ce divorce très profond entre la science et la connaissance d'une part et le travail politique de l'autre.
Je me souviens qu'en 1971 François Mitterrand (lui-même l'a sûrement oublié) disait que le vrai problème de notre époque pour une classe dirigeante - à l'époque, il disait pour un socialisme nouveau, moi je dis pour l'humanisme d'aujourd'hui, qui est un humanisme environnementaliste - était que dans les quarante dernières années l'humanité avait accumulé plus de savoir et plus de connaissances que dans les millénaires précédents. Tandis qu'augmentent les découvertes, les connaissances du monde et des lois qui en réglent ou qui en dérèglent l'existence, des découvertes capables de révolutionner en sens destructif ou en sens constructif la vie et la planète, nous constatons que de Mitterrand à tous les autres - à l'est comme à l'ouest, y compris les Etats-Unis - les conseillers des présidents n'ont pas été choisis parmi ceux qui sont capables de gouverner ce savoir ou de gouverner au travers du savoir.
A présent, il y a une conviction qui nous a tous plus ou moins poussés à arriver, à rester un jour ou une vie dans le parti radical: la conviction que le problème de la liberté et donc de la responsabilité de l'individu, est, à la fois, l'objectif et la condition nécessaire pour tout travail de construction politique et sociale.
Je ne sais si 80, ou 90, ou 99 pour cent de ceux d'entre nous qui se sont approchés à un lieu ou à un autre du Parti radical, l'ont fait convaincus que la démocratie politique représente ce que l'on a réussi à concevoir de moins pire en termes d'organisation de la cohabitation sociale, certains d'entre nous étant convaincus que le monde connaissait déjà les textes fondamentaux de cette démocratie politique - qui a vécu pendant des décennies à travers des générations eurocentristes dans leur culture - et qu'il connaissait par conséquent cette technologie.
Je voudrais souligner un aspect du problème: que la démocratie et la liberté politique, historique, sont aussi et doivent être aussi, je souligne "aussi", une technologie, une façon de vivre: si nous pensons que la technologie a nécessairement comme contenu ce que nous considérons technique, nous commettons une erreur très grave.
Par exemple, l'organisation du droit entraîne des technologies. Ce n'est pas un hasard si dans ce monde dans lequel nous disons que le divorce entre savoir et pouvoir, entre connaissance et politique est à son maximum, comme il ne l'a jamais été dans l'histoire, l'étude du droit et la présence des chercheurs du droit, et l'acceptation formelle de l'attention au droit et aux droits des différentes sociétés, est en train de devenir toujours moins évidente. Et également, au-delà de l'image, toujours moins réelle.
Le risque que nous avons appris dans l'histoire occidentale - et je dis encore une fois que ce fut aussi la raison constitutive de l'agrégation militante radicale, de beaucoup de ses batailles - est que plus les élaborations de la politique, même les meilleures - par exemple, le plan Brandt pour le nord-sud - étaient bien élaborées, moins on avait la garantie qu'elles deviendraient des lois; nous avions même la certitude qu'elles seraient restées littéralement lettre morte.
Les grandes élaborations, je ne dis pas idéologiques ou culturelles, mais les grandes élaborations programmatiques, politiques, qui ont été faites et qui émergent à l'intérieur de la social-démocratie ou de la libéral-démocratie dans les soixante-dix ou quatre-vingts dernières années, sont toutes restées lettre morte; la logique des hommes n'a pas réussi à gouverner la logique des choses, et la logique des choses, à cause de cette cohabitation avec une logique des hommes incapables de devenir loi et de devenir comportement et choix, est devenue une logique mortelle.
Et ainsi, si j'ai un doute sur mon histoire, c'est de ne pas avoir été suffisamment cruel, et Dieu sait si je l'ai été, en défendant à chaque instant pas uniquement la supériorité absolue de la démocratie, mais la nécessité absolue de ne pas tolérer d'exceptions aux principes de la démocratie politique et d'offenses à la démocratie politique; et pourtant, je suis considéré un extrémiste de la défense des droits de l'individu, des droits mais également du droit.
J'ai fait cette prémisse pour qu'il n'y ait pas de doutes sur ce que je dirai à présent: je crois que l'affrontement entre les deux empires, l'empire américain et l'empire soviétique, et leurs succursales, est vraiment, en quelque sorte, l'affrontement entre le bien et le mal. Entre le bien et le mal historique, bien sûr, car un non violent, un laïque sait que la notion de bien est historique et que si nous cristallisons ce qui semble bien ou ce qui est bien à un moment donné de l'histoire de la conscience individuelle ou historique collective humaine, par cette cristallisation, nous accomplirions exactement l'opération de garantir de la force au mal, car le bien qui reste égal à lui-même ne peut être que le mal d'aujourd'hui ou de demain.
Le mal ce sont les situations sclérotiques, de sclérotisation de la vie de l'individu et de la vie des sociétés.
Par conséquent, je suis certain que les raisons pour lesquelles presque symboliquement (mais combien physiquement, corporellement), pendant des années ou des décennies, nous sommes venus obstinément en Tchécoslovaquie, en Russie, en Bulgarie, en Allemagne de l'Est, en Pologne, en Hongrie, comme des clandestins, pour déstabiliser les régimes et les ordres existants, représentent aujourd'hui le plus haut élément de continuité que je veux respecter comme Parti radical.
Car il n'est peut-être pas suffisamment clair que la politique officielle de l'occident, des social-démocraties comme des libéral-démocraties, avec davantage d'exceptions peut-être entre les individualités libéral-démocratiques qu'entre celles social-démocratiques, a été une politique de promotion active de l'ordre totalitaire dans vos pays.
Nous venions nous faire arrêter pour des problèmes concrets ou, en septembre 1968, nous réussissions le véritable miracle - au niveau du parti de trois cents ou cinq cents inscrits que nous étions - de manifester à la même heure contre l'occupation de la Tchécoslovaquie, à Moscou, à Sofia ou à Berlin Est, dans tous les pays du Pacte de Varsovie qui occupaient, qui soutenaient l'occupation de la Tchécoslovaquie. Je me souviens du texte du tract que je distribuais; je me souviens qu'il y avait environ trois mille exemplaires en bulgare, nous en avons distribué 2.600 (je veux récupérer ce texte, par l'intermédiaire de la police secrète bulgare, comme un document historique). Nous écrivions en bulgare en partant d'une interprétation de la légalité constitutionnelle bulgare pour soutenir qu'il y avait une oppression des bulgares et que c'était un acte inconstitutionnel et anti-constitutionnel, d'après la Constitution bulgare elle-même, que de faire partie des forces d'occupation en Tchécoslovaquie ou d'appuye
r les forces d'occupation en Tchécoslovaquie.
Eh bien, ces jours-là très certainement les ambassadeurs des Pays occidentaux, les hommes d'affaire de chez Fiat, de chez Wolkswagen, de chez Ford en voyage d'affaire, venaient dans ces capitales dans la conviction absolue que l'ordre totalitaire dans l'empire soviétique était nécessaire au monde.
Cela nous ne pouvons pas l'oublier car autrement, face au manque relatif de participation de la part de nos amis, par exemple tchécoslovaques, à ce séminaire, nous ne pourrions que nous considérer totalement perdants.
Je suis aidé par le souvenir, la mémoire et l'intelligence de la raison pour laquelle nous étions presque isolés, lorsque nous luttions et venions, pour être ensuite, dans la meilleure des hypothèses, expulsés de tous les pays du Pacte de Varsovie.
Il faut donc comprendre que les événements qui ont suivi l'écroulement de l'empire soviétique ont eu lieu, probablement aussi à cause de l'imposition de continuer la course aux armements qui l'appauvrissait, qui le paralysait, qui le détruisait. Ce fut là la stratégie de l'ensemble militaire et industriel de l'occident: celle de mettre en crise historiquement, après des décennies, l'empire soviétique, en l'obligeant à investir toujours davantage dans le militaire, dans des dépenses non productives, dans des dépenses, sur le plan historique, à la longue, outre qu'assassines, également suicides.
Par conséquent, si nous parlons des modèles que l'on assume dans le post-communisme, dans l'est européen, à ce point nous devons faire trésor de toute la relation de Bettini et de toute l'histoire du Parti radical. Qu'est-ce que je veux dire par là?
Si je revendique presque d'une manière manichéenne tout le bien historique en occident, tout le mal historique dans l'empire soviétique, et la façon dont je l'ai fait est claire, conscient que c'est un acte volontaire et qu'il ne correspond ensuite pas le moins du monde à la réalité historique, lorsque Bettini rappelle ensuite qu'il existe des secteurs (ils ne sont pas très nombreux, mais il y a des sociétés) du terrain, du territoire, du milieu de l'empire soviétique, du communisme réel, qui sont dans de meilleures conditions que celles dans lesquelles on se trouve dans l'autre empire, je peux ajouter un autre reproche: que les grandes luttes que nous en tant que radicaux avons accompli dans la société italienne - les luttes pour le divorce et pour l'avortement - furent ici, par contre, des impositions ou des choix des régimes socialistes.
Ces batailles vous ne pouviez pas les faire, et c'étaient pourtant des batailles de liberté, de libération: nous n'étions pas pour le divorce ou pour l'avortement, nous étions favorables à ce que le droit réglât de manière plus positive les problèmes correspondants aux fléaux produits par la culture et par la société actuelle, comme l'avortement clandestin de masse et la rupture de fait des familles, qui ne permettait pas, si ce n'est aux milieux les plus aisés - en occident - de reconstruire une nouvelle famille si ce n'est par le divorce.
Dans ce sens, comme Bettini, je voudrais aussi dire que nos batailles ont été des batailles démocratiques de classe; je le souligne, des batailles démocratiques de classe, car lorsque nous pensons à des batailles de classe, à des affrontements de classe, à une lutte de classe, nous ne pouvons pas et nous ne devons pas commettre l'erreur historique de penser que la lutte de classe commence avec le léninisme, alors que la notion même du Tiers Etat, aujourd'hui du Quart Etat, était profondément présente comme élément constitutif dans la Révolution Française et dans la révolution bourgeoise.
Aujourd'hui on risque aveuglément de dire que les classes, les rangs, n'existent pas car porteurs, les uns ou les autres, de valeurs, mais ce n'est pas vrai: il y a le Tiers Etat de ceux qui sont prolétarisés, c'est-à-dire de ceux qui n'ont plus aucun pouvoir, en occident. Il y a le problème du pouvoir et des droits par rapport au pouvoir de l'Etat, au Léviathan de l'Etat et c'est un problème mondial.
Et à présent que l'on a vaincu en Europe l'aspect le plus monstrueux (plus que le nazisme pour son extension et sa durée), le communisme réel, nous ne devons pas oublier qu'il continue encore à accabler des centaines de millions ou des milliards de personnes. Je ne partage pas, en effet, la sous-évaluation des monstruosités qui existent dans l'histoire chinoise et dans le communisme chinois.
En fait, là-bas il n'y a pas encore eu un XX Congrès, comme celui du Parti Communiste soviétique, avec un Kruscev qui choisit de raconter les choses, mais il est certain que cette bataille que nous avons gagné en Europe est une bataille qui doit encore être combattue dans le monde pour éviter que ce que j'étais en train de dire arrive de nouveau: s'il y avait eu une aide, une aide délibérée, claire, de la part de l'occident et de la social-démocratie, aux démocrates et aux citoyens, aux peuples de l'empire soviétique, ce qui s'est passé maintenant pouvait probablement avoir eu lieu il y a vingt ans.
L'indifférence, identique culturellement à celle qui amena en 1938 aux accords de Munich de l'Angleterre et de la France, avec l'Allemagne nazie et l'Italie fasciste, s'est répétée également sous la guerre froide, de la part de l'occident pacifiste. Jamais, nous comme parti, le parti de la non-violence de Gandhi, jamais nous n'avons été un parti pacifiste. Le pacifisme a produit dans l'histoire des crimes qui doivent être encore illustrés: les pacifistes français, les pacifistes occidentaux, ont assumé pendant longtemps, à l'égard du fascisme et du nazisme, une position neutre entre leurs propres gouvernements et les gouvernements nazis et fascistes: la seule chose qu'ils voulaient était que leurs gouvernements ne s'arment pas et qu'on ne réagisse pas par les armes aux violences des nazis et des fascistes.
Le pacifisme des années 50, d'inspiration communiste, découle très nettement de ce pacifisme lâche et irresponsable; le non-violent, et nous avons toujours été non-violents, va au contraire à l'attaque des racines de la violence et des manifestations de la non violence et il est non-violent car il croit que les armes de la non violence sont plus fortes, je pourrais dire paradoxalement, entre guillemets, plus violentes, mais je dis plus fortes, à moyen et long terme, que les armes de la violence. Car les armes de la non-violence sont les mains nues, les corps nus de milliards de personnes, de femmes et d'hommes, tandis que la force de la violence militaire se base sur la réduction, l'esclavage de ces derniers pour les envoyer mourir dans les guerres, et le choix violent militaire se traduit toujours par une catastrophe. Tous les mythes de ce siècle, les mythes qui ont été très forts en occident, des mites précisément de médias de masse, d'affiche, comme Che Guevara, les martyrs, les héros, sont le produit
, ils sont pratiquement le résultat du choix de l'occident en faveur de ces oppositions contre celles, par exemple, des moines bouddhistes qui représentaient l'immense majorité des populations de cette région et qui furent battues parce que l'occident libéral-démocrate ou social-démocrate a toujours, dans ce siècle, cru et misé sur les armes traditionnelles, sur une vieille conception traditionnelle des rapports internationaux et même des guerres de libération. En particulier je pense, par exemple, à la dictature indochinoise, avec la réalité du Cambodge, du Vietnam d'aujourd'hui.
Alors, pour arriver le plus rapidement possible à parler du Parti radical ici et aujourd'hui, je voudrais tout d'abord rappeler à nous-mêmes et dire aux plus jeunes camarades - jeunes comme camarades - que je veux m'introduire dans un débat qui s'est ouvert ici hier soir, à propos du mot camarade. Lorsque nous avions presque toute la gauche en Italie sur des positions staliniennes, et que nous étions fortement anti-staliniens et anti-communistes, nous déclarâmes que nous ne voulions même pas laisser à cette gauche le mot "camarade", car camarade dans l'étymologie latine est un mot splendide, c'est celui qui partage son pain avec l'autre.
Donc - je remercie Paolo Vigevano (2) de me l'avoir rappelé - nous déclarâmes que nous ne voulions pas laisser à ces adversaires le monopole de ce mot qu'ils ne méritent pas d'avoir en monopole; petit à petit le temps nous a donné raison.
Je dois dire que 'camarade' ne peut être traduit par 'tovarich', car il n'a pas cette origine-là, cette étymologie, il en a même une de valeur d'échange, d'associé, d'associé tenant compte de l'associé en ce qui concerne une marchandise.
Mais, pour autant que ça ait de la valeur, nous sommes tolérants; personnellement, les premières fois que j'ai pu aller à la télévision italienne, je disais "camarades", "amis et amies", "frères et soeurs", j'évoquais autrement dit toutes les façons qui existaient historiquement pour indiquer des gens qui ont un rapport positif de dialogue et de lutte commune.
Commençons par établir que si nous disons 'camarade', nous ne voulons pas qu'il soit traduit par 'tovarich'; il faudra, au cas où, le traduire d'une manière étymologique, et non pas politique, car à l'époque où les camarades et les tovarich étaient la même chose, on a fait violence à la valeur du mot camarade, pour des raisons d'homologation politique; je ferme la parenthèse.
Alors, il m'avait semblé important, reprenant Bettini, de repartir de cette donnée: face au divorce entre science et politique, entre connaissance et pouvoir, face aux événements historiques que nous avons vécu, nous avons eu une autre caractéristique, qui est bizarre et qui est unique en occident. Le Parti radical de quelques centaines de militants, qui réussissait pourtant en Italie, par exemple, à provoquer des grandes réformes fondamentales qui se répercutaient ensuite sur les coalitions politiques générales, a représenté pendant quelques années le seul exemple de parti dans lequel le militant connaissait - je dois dire, régulièrement - la prison, vivant dans des pays de prétendue démocratie politique.
De Roberto Cicciomessere (3), qui a fait trois ou quatre mois de prison comme objecteur de conscience, à Olivier Dupuis (4), qui il y a trois mois a fait onze mois de prison pour objection de conscience, à Emma Bonino (5), qui a fait peu de prison mais qui a fait de la prison, à Adele Faccio (6), qui a fait la lutte sur l'avortement comme Emma et comme Adelaide (7) et qui a fait trois mois de prison.
Le seul et unique secrétaire d'un parti - entre guillemets - démocrate qui en Italie, et je crois en Europe occidentale, y compris les responsables des mouvements extra-parlementaires, je ne parle pas des mouvements terroristes, l'unique secrétaire d'un parti démocrate, non violent, occidental, qui ait été en prison pendant plus d'un mois ou deux, c'est Gianfranco Spadaccia (8).
Il y a une chose bizarre: nous vivions dans la démocratie politique - entre guillemets -, vous viviez dans des pays totalitaires; le Parti radical était radicalement non violent, et pourtant c'est un parti de gibiers de potence, de peu de prison comme quantité de temps, vus les paramètres que l'on a au contraire ici, mais tous, ou presque tous, sont passés par la prison.
Vous devez pourtant comprendre et savoir que parmi les 3600 inscrits à votre parti, a notre parti, il y a en Italie plus de cent prisonniers, et parmi eux les pires assassins des prisons; quelques-uns des personnages les plus monstrueux se sont inscrits à notre parti comme parti de la vie du droit et du droit à la vie, arrivant à comprendre l'importance de la vie du droit par l'exigence personnelle de voir garanti leur propre droit de vivre, leur propre droit à la vie.
Alors, cette réalité est une réalité ignorée. Voilà où nous parvenons au coeur du problème: nous avons ici le monde de l'empire gagnant par culture, que nous avons aidé de tout notre corps, pas uniquement de toute notre âme, consciemment, à gagner, car nous savions que dans cet affrontement il y avait la victoire d'un empire sur l'autre et nous ne pouvions pas penser réaliser politiquement - dans l'immédiat - notre victoire, sur les deux empires combinés.
Souvenez-vous du congrès de Budapest, qui semble à des années lumières d'ici, car lorsque nous décidâmes d'organiser le congrès en Yougoslavie et en Hongrie ensuite, le Rideau de Fer existait; tout le monde disait qu'il était impossible de le faire. C'est une chose incroyable: il y a quatorze mois de cela et, je vous assure, il y a eu entre-temps tant de ces morts dans le Parti Radical, de nos décès, tant de ces événements, tant de ces faits même objectifs que nous oublions que nous avons convoqué un congrès dans un pays de démocratie populaire dans lequel toutes les forces anti-communistes de l'endroit considéraient impossibles que le gouvernement autorisât un congrès non communiste.
Si bien que lorsque ensuite le gouvernement s'est laissé convaincre, les anti-communistes hongrois étaient presque déçus et soupçonneux du fait que nous avions conquis ce résultat.
C'est comme ça que le rideau de Fer tombe - avons-nous déclaré - c'est comme ça qu'il est tombé; tout le monde disait que ce n'était pas vrai, si bien que nous-mêmes pensions que le mur de Berlin aurait encore résisté des années.
Aujourd'hui nous devons dire que les raisons pour lesquelles nous avons été en prison à l'ouest sont les mêmes que celles pour lesquelles nous venions ici pour faire des petites actions de témoignage et de suppléance, opposées à celles que l'empire de l'ouest faisait ici, même dans les périodes de guerre froide car la politique impériale de l'ouest a toujours été de ne pas toucher à la stabilité des régimes à l'ordre communiste, pour gagner stratégiquement ou surtout pour le neutraliser, pour le décourager de tenter de dominer ailleurs. Toute la politique de l'occident n'a pas été anti-communiste pour libérer les droits des victimes de l'ordre communiste, mais elle l'était uniquement car elle avait peur que l'ordre communiste de l'empire conquît d'autres espaces dans le monde et nourrît la déstabilisation de ses régimes. Toute l'action de l'occident et des soi-disants libéraux-démocrates et sociaux-démocrates ne visait qu'à cela: empêcher que l'empire soviétique et les communistes, grâce à l'aide de l'E
tat-empire, ne fassent tomber leur pouvoir dans leur empire.
Cela nous devons bien le comprendre: il n'y a pas eu une volonté de défense des droits des femmes et des hommes de l'empire soviétique. Voilà la social-démocratie. D'ailleurs, pendant la guerre d'Espagne, en France c'était le front populaire qui gouvernait avec le plus influent et prestigieux des socialistes européens, Léon Blum, et pourtant la France du Front Populaire, devant l'Allemagne et le fascisme qui allaient en Espagne pour garantir la conquête fasciste de cet Etat républicain et démocratique, n'envoya pas une seule aide; elle eut une position neutre. Les soviétiques, au contraire, se sont heurtés directement: ou une Espagne fasciste ou une Espagne stalinienne. Telle était, à ce moment-là, la logique.
Pendant la guerre froide la logique a été de se faire la guerre par personne interposée grâce au Tiers-Monde; j'ai eu personnellement en 1951, j'avais vingt ans à l'époque, une polémique féroce à Rome, ou plutôt à Ostie, avec le Président de l'Union Internationale des Etudiants.
J'accusais l'Union de faire massacrer les étudiants du Tiers-Monde car s'il y avait un semestre de dialogue est-ouest, ils laissaient arrêter et fusiller les étudiants du Tiers-Monde par leurs régimes, sans protester. Par contre, s'il y avait une reprise d'un dur état conflictuel, ils fournissaient des aides et incitaient les étudiants à se révolter et alors ils les protégeaient.
Je veux dire que déjà au début des années 50 on voyait clairement combien l'affrontement entre l'est et l'ouest était cynique. Surtout de la part de l'est, qui était entièrement mobilisé en soutien des dictatures militaires bourgeoises dans le tiers-Monde, pensant que celles-ci fournissaient des meilleures garanties de révolte contre les régimes et l'idéologie démocratique, pour utiliser ensuite les étudiants révolutionnaires ou les étudiants démocratiques comme une marchandise, comme de la chair à canon.
Je ne suis pas d'accord avec Bettini lorsqu'il dit que les étudiants du Tiers-Monde qui se sont formés à Moscou, et surtout à Prague, généralement en économie, sont devenus une classe dirigeante intéressante. Je ne suis pas d'accord car en les suivant dans leur tentative concrète de devenir une classe dirigeante dans leur monde, lorsqu'ils y retournaient, ignorant totalement et pensant totalement que la démocratie politique n'était pas autre chose qu'une superstructure trompeuse, et un obstacle à la réalisation de la moralité de l'économie et des choix de classe, ils ont toujours été les collaborateurs des bouchers, si les bouchers les ont engagés comme collaborateurs; ou, autrement, ils ont été des bouchers.
Je veux dire que n'ayant pas eu l'enseignement de la démocratie - également comme technologie de la lenteur de la réforme démocratique, avec l'introduction du consensus critique - en fait ils sont ensuite devenus, en revenant chez eux, une composante ponctuelle et fixe de la tragédie de la partie généralement au pouvoir dans tout le Tiers-Monde.
Mais, revenons à nous: au congrès de Budapest c'est l'intelligence historique et la vie physique des radicaux qui étaient représentées, la vie de ceux qui s'étaient occupés toute leur vie de la prison, de la prison politique (mais où était-elle politique?), de la prison de l'est, mais aussi de la prison et des hôpitaux psychiatriques à l'ouest, la vie de ceux qui avaient mené les batailles pour les prisonniers, pour ceux qui n'avaient pas le droit d'avoir leur mariage, pour empêcher que des dizaines de millions de femmes en occident soient massacrées par les avortements clandestins, qu'elles versent leur sang, la vie de ceux qui avaient défendu les minorités sexuelles faisant de cela un élément de scandale, mais aussi de revendication d'une sexualité différente pour tous, avec l'introduction de la non-violence et du dialogue de ces valeurs également au niveau sexuel, physique, corporel, comme élément de grande contestation d'une des formes les plus graves de répression des sociétés et pas uniquement des
Etats.
A Budapest la conviction a mûri chez nous que les choix post-communistes, que nous savions désormais être des problèmes de l'ordre de quelques mois, risquaient d'être des choix de démocratie réelle, particratiques et non démocratiques, national-particratiques, plutôt que socialement, politiquement et historiquement démocratiques.
Nous avons aujourd'hui devant nous un scénario tragique: nous assistons à des choix post-communistes qui sont dangereux en termes de liberté et de droit, même à court terme et pas uniquement à court et à moyen terme.
En Roumanie la situation est claire: les héritiers de Ceaucescu sont au pouvoir; pour pouvoir rester au pouvoir ils ont assassiné Ceaucescu "à la Ceaucescu", et nous l'avons dit tout de suite, c'était évident. Ceux qui se présentaient comme les adversaires et les ennemis victorieux de Ceaucescu sont les héritiers de Ceaucescu, ils ont tué le père pour pouvoir prendre son héritage, suivant les habitudes de leur famille qu'ils avaient bien acquises et qu'hier l'oeil au beurre noir de notre camarade nous rappelait ici, d'une manière poignante, d'une manière physique et claire.
Ne nous faisons pas d'illusions sur ce qui se passe en Tchécoslovaquie: la culture politique du Président Havel, et je le dis avec un immense respect, avec une immense sympathie, est la même culture qui a mené par deux fois l'Europe au désastre et les personnes admirables comme Havel à mourir assassinées.
Nous sommes, vous êtes en train de reconstruire l'Europe de 1919. Ce n'est pas vrai que l'empire austro-hongrois est mort de sa propre désagrégation; il est mort car c'était la seule réalité européenne plurinationale, pluriethnique, plurireligieuse et il a été assassiné par un siècle qui a fait sien, comme son propre démon, le romanticisme nationaliste, le romanticisme national. Tout ce qui est venu après - le nazisme, le fascisme, la guerre mondiale et le communisme - est aussi la conséquence de cela.
Pourquoi l'Europe de 1919, qui après très peu d'années a produit le fascisme ou le nazisme ou la pauvreté, des dictatures ou le communisme, était-elle une Europe en grande partie social-démocrate? Croyez-vous qu'il n'y avait aucune responsabilité? Certes, les assassins étaient les autres, et eux ont été les assassinés, mais c'est sur le terrain de leur culture que les assassins ont pu gagner ou qu'ils pu gagner aussi facilement: la culture social-démocrate et libéral-démocrate de l'occident a décidé que les choses allaient très bien et que sur la base des nouveaux traités de Vienne, de Yalta, les peuples devaient être de la même religion civile et d'Etat que leurs souverains.
Eh bien, nous avons vu ce qui a causé la division par Etats nationaux, l'abandon de l'internationalisme, de l'internationalité et de la transnationalité: pensons à l'Espagne, à la France qui se fait battre en trente jours par les nazis. Sauf là où la démocratie continentale a été social-démocrate et monarchiste (en Scandinavie, par exemple), la conséquence de l'écroulement des états nationaux a été le communisme ou le fascisme.
A présent que reconstruit-on? L'Etat national tchécoslovaque, l'Etat national hongrois.
Démocratie, pour nous, signifie dépasser le divorce entre politique et pouvoir, la possibilité de traduire ceci en politique. L'Etat national n'en est pas capable; je crois que, au cas où, nous devrions proposer alors l'Etat danubien, dans le sens de l'Agence du Danube, car alors ça aurait déjà un sens, sur le territoire, sur la manière dont les choses vivent aujourd'hui.
Mais, voilà ce qu'il y a à la base de notre position fédéraliste européenne: nous voulons poser le problème tragique de la Deuxième société des Nations. Nous avons l'ONU, mais si nous ne posons pas le problème de la force de loi, de la force juridique planétaire, si nous ne résolvons pas - vous voyez les problèmes du droit? - si nous ne réussissons pas à faire une lutte pour que ce que l'on approuve à l'ONU (entre guillemets, car ce n'est plus l'ONU) ait une force coercitive, ait force de loi, nous revivons exactement, d'une façon hallucinante, le scénario des Années 30, et nous sommes en train de le vivre à Prague.
Il ne suffit pas de le dire à temps, car je crois que si nous étions venus aujourd'hui dans une Tchécoslovaquie encore occupée et opprimée, et si nous avions distribué quatre mille tracts en disant ces choses-là, je crois que ces tracts auraient été ensuite distribués, qu'ils auraient été lus à la maison, ou entre amis, nous aurions peut-être eu quarante mille tchécoslovaques qui auraient réfléchi sur une proposition politique actuelle. Cependant nous avons démobilisé, car la notion du passage de l'empire soviétique à l'empire occidental a démobilisé, car justement - compréhensiblement, pas justement - le problème ici était surtout celui de la libération de l'oppresseur, alors qu'en réalité le problème historique que nous avons est toujours celui du oui, pas celui du non, et il n'avait pas mûri, car à l'exception du Parti radical personne n'était venu expliquer dans ces dizaines d'années qu'il fallait conquérir de la démocratie pour soi et pour les autres, et pas uniquement conquérir le passage à l'autr
e empire.
Mais à présent, au contraire, d'autres choses sont nécessaires.
Le Parti radical: nous sommes ici, députés, sociaux-démocrates, verts et "arc-en-ciel", "Soleil qui rit", fédéralistes européens, pour témoigner que nous sommes transpartiques. Il y a ici, avec nous, quarante ou cinquante camarades ou amis ou soeurs ou frères tchécoslovaques: il y a une question qu'il faut se poser.
Nous avons essayé de fournir une réponse à cette question avec le congrès de Budapest et, ensuite, avec nos conseils fédéraux. A Budapest nous avions dit que la réalité des communications de masse dans le village global du système occidental met les pensées et les vraies forces culturelles d'opposition et de minorité en condition de ne pas pouvoir faire de propagande, obtenant ainsi les résultats que jadis on n'obtenait que grâce aux dictatures.
L'inflation de l'information, les milliers d'exemplaires des quotidiens, la télévision, les livres publiés par millions, tout cela obtient - au moyen d'une technique différente - ce qui était l'intérêt et la nécessité des dictatures, des dictatures moins scientifiques, comme la dictature fasciste. Cette dernière avait besoin que les gens ne sussent pas trop de choses et elle l'obtint alors d'une certaine façon. Le Parti Radical ne réussit pas par exemple en France à avoir vingt militants. Notre Kaboul c'est Paris et il faudrait l'abolir. A Moscou il y a quelques centaines de militants, ici à Prague aussi. Ces centaines de militants, pour devenir des milliers, ont besoin, nous avons besoin, d'une information, de vivre ensemble, chose que nous ne réussissons pas à faire.
Si nous ne faisons pas un effort, nous ne réussissons pas à maintenir en vie le sujet Parti radical - car pour le moment c'est le seul, ce sujet politique que nous sommes de 3500 personnes, à l'intérieur duquel il y ait des sous-prolétaires, des prisonniers, des assassins (bien sûr, des assassins, pas des personnes qui veulent assassiner, mais des gens qui ont assassiné), des bourgeois, des députés, des gibiers de potence, des hétérosexuels, des bisexuels, des homosexuels, des drogués, des droguants, sous différentes formes - si nous ne réussissons pas, tels que nous sommes, à grandir, je crois qu'il y a quelque chose qui saute qui ne peut être récupéré.
Bien sûr, on peut créer des associations de juristes, des Trilatérales, je ne sais pas quoi d'autre, mais je crois que tout cela risque d'être quelque chose de fermé, à l'intérieur des palais et pas [...].
En définitive, nous aussi nous avons une difficulté. Lorsque nous, italiens, nous nous posons la question de notre présence en Italie, le problème n'est qu'un seul: il y a des moments où être membre du Parti radical est une nécessité individuelle, un choix, certes, mais dont on ne peut se passer; nous avons été forts au moment où c'était la caractéristique du fait que nous étions ensemble, tandis que maintenant très souvent nous sommes ensemble parce que nous avons été ensemble, ou parce que nous sommes tous députés ou sénateurs ou hommes politiques ou parce que nous avons l'"avoir" de nos histoires (je ne veux pas dire autre chose), qui ont eu un succès moral, idéal, civil et même, dans certains cas, institutionnel.
Un parti non violent - et venons à l'autre point - est un parti de gens qui s'unissent car ils en sont heureux, car ils en ont la conviction, ils en ont le sens de la nécessité. Un parti non violent est la juste réponse - d'une manière théorique - à la société de l'opulence suicide, car à travers les techniques non violentes et la vie non violente, à travers sa propre abstention heureuse, non sacrificielle, de l'alimentation, à travers la provocation du pouvoir et le fait de dire "j'y étais, mets moi donc en prison, comme ça on changera les lois", il y a la lutte des humbles, la lutte de ceux qui n'ont entre les mains aucun butin d'aucune sorte à la fin de la journée.
Mais tout cela est aussi technologie, autrement dit c'est aussi une technique, c'est une façon de vivre, c'est une façon de s'organiser, c'est une façon de s'aimer, pas "contre", mais "pour" les choses qui donnent du bonheur, des espoirs; mais pour faire ceci, en laïques, nous devons, purement et simplement, résoudre les problèmes des lieux dans lesquels nos corps se retrouvent, donc les lieux où nous écrire et traduire les lettres que nous nous envoyons.
Nous sommes bien sûr unis par la capacité d'accomplir des gestes qui parlent, qui sont communication, et c'est le propre de la non-violence et de la technique non violente, mais la réalité c'est que nous avions soupçonné, avec le congrès de Budapest, qu'aujourd'hui nous les prisonniers, nous les sous-prolétaires, nous les farfelus, nous les victimes, nous les députés, nous devions nous mettre en condition de fournir un soutien aux classes dirigeantes.
Le congrès de Budapest disait ceci: "nous devons faire et appliquer la non-violence", en s'adressant aux classes dirigeantes de l'Europe de l'Est, aux Havel et aux autres, car c'est d'eux que peut venir la conviction, la compréhension de la nécessité de la structure transpartite et transnationale, et par conséquent de la nécessité de donner une contribution à la vie, car même les puissants d'aujourd'hui doivent avoir devant eux, et ils l'auront très vite, le sens de leur impuissance.
Ceci peut leur donner de l'humilité, au lieu de leur donner uniquement de la colère et de la peur. Si nous reconstruisons les nations, les parlements nationaux, les lois nationales, les réformes nationales, si l'on pense créer la société de droit, faire cette révolution libérale et humaine en créant le parti social-démocrate, le parti libéral hongrois, et puis peut-être même le parti libéral tchèque, libéral slovaque ou des choses de ce genre-là, il n'y a pas de souffle, pas d'haleine, le divorce entre le savoir environnementaliste et la politique du territoire, du salut de la planète, mais aussi le salut du Danube ou le salut des habitants des villes d'ici, ce patrimoine risque d'être dilapidé.
Nous avons dit que nous sommes à un moment de très grave crise du parti, avec une gestion extraordinaire, légale mais extraordinaire, délibérée en siège de congrès mais extraordinaire, car nous n'avons pas les moyens pour faire fonctionner notre gestion ordinaire, nous n'avons pas d'assez d'argent car nous n'avons pas assez d'inscrits. Nous avions un espoir tout à fait raisonnable qu'en Italie, où il y a huit mille communes environ, un communiste par commune - pour donner une dimension - un communiste s'inscrirait tout de suite, en janvier ou en février; notre calcul était que s'il y avait eu huit mille inscriptions au parti en Italie, parmi un million quatre cents mille inscrits au Parti Communiste Italien, nous aurions eu l'argent et les énergies nécessaires pour produire de la propagande de masse, des textes de masse en Union Soviétique, en Tchécoslovaquie et partout à l'Est, de façon à mettre les classes dirigeantes et les citoyens en condition de faire ce choix.
Nous avions dit dix mille avant le mois de mars, pour arriver à cinquante mille en 1990, la condition technique nécessaire pour qu'il y ait un Parti Radical en 1991 et dans les années suivantes.
Cette rigueur et cette générosité intellectuelle ayant fait défaut, ainsi que le grand projet de réforme du Parti Communiste Italien et la marchandise de la cohérence et de la générosité qui est la seule force nécessaire à certains moments, il est probable qu'on ne s'en sortira pas, si vous-mêmes vous ne réussirez pas les miracles d'inscription en Russie, en Hongrie et ailleurs. Nous nous trouvons donc dans cette situation, avec ces nouvelles épreuves. Nous sommes ici et c'est comme si nous étions allés en France ou en Angleterre: telle est la dimension de l'écoute, telle est la dimension des mobilisations. Nous devons en tirer avant tout des conséquences individuelles, pour chacun de nous.
Je voudrais traiter brièvement d'autres sujets.
Tout d'abord, l'Afrique du Sud. La manière dont on affronte la situation sud-africaine est vraiment dramatique ou tragique.
J'ai demandé à Mandela, devant tous les parlementaires: le fait que l'ANC renonce à la violence, qui est inscrite dans ses chartes pas uniquement statutaires, mais aussi dans ses motions politiques d'il y a deux mois - et Mandela les appelle hostilités - avec l'air de dire que la guerre civile est comme une guerre, etc., le passage de la violence à la non-violence, le retour aux origines de l'ANC (qui étaient gandhiennes) est une concession que vous voulez faire à l'adversaire ou est-ce nécessaire pour la croissance de l'ANC, la croissance du gouvernement noir et de l'alternative de gouvernement aussi des noirs?
Il n'a même pas répondu, car il ne pouvait pas répondre, car il ne voit pas les choses de cette façon: la thèse officielle est: ce n'est que lorsque nous aurons réalisé un vote que nous arrêterons les hostilités. Les hostilités tu les fais aussi lorsque tu es au pouvoir! C'est la thèse de Fidel, c'est la thèse de toutes les dictatures du prolétariat.
Voilà, alors, une lecture non violente signifiait et signifie se poser le problème des choix, des alternatives.
Nous avions plus de héros et de martyrs communistes du fascisme que n'importe quelle autre formation politique; lorsque nous avons été libérés du fascisme, soixante-dix pour cent des héros et des martyrs qui avaient été en prison, ont fait à leur sortie un choix stalinien, autrement dit ils ont fait le choix du bloc.
Mandela est devenu dans le monde entier le symbole de la liberté uniquement parce qu'il a passé vingt-sept ans en prison? Nous avons tous lutté pour qu'il soit libéré, mais n'oublions pas que dans les Etats de la démocratie occidentale, ou encore plus dans les Etats d'ici, il aurait été condamné à perpétuité ou à mort.
Mandela avait décidé qu'il fallait lutter pour libérer le peuple moyennant l'organisation militaire de la résistance, suivant la culture des gens de là-bas, et il l'avait organisée: il a été arrêté et lors du procès il a revendiqué la moralité du choix militaire et du choix violent, et il a déclaré que c'était nécessaire: vous faites l'apartheid, pour nous libérer nous devons faire la guerre.
Or, dans n'importe quel pays, en Amérique, en Angleterre, en Italie, ne parlons pas d'ici chez vous où il y avait la peine de mort, il aurait exécuté ou il aurait été condamné à perpétuité.
Le problème de l'Afrique du Sud est celui que nous posons aussi sur les morts noirs, sur trois mille morts noirs, l'immense majorité desquels a été tuée par d'autres noirs - et une bonne partie de ceux-ci sont accusés d'être des assassins parce qu'ils ont collaboré avec les blancs ou avec la tribu zoulou, plutôt qu'avec une autre.
Si cette classe dirigeante va au pouvoir, je ne voudrais pas que nous ayons aussi une africanisation historique de l'Afrique du Sud, car si vous allez au-delà des frontières de la zone d'influence de la tribu blanche avec la perverse, aberrante apartheid-solution historique, nous trouvons cependant bien pire: tous les autres Etats, même à un niveau théorique et de droit, et à un niveau pratique et de vie, sont l'enfer, et la réduction à cet enfer est une chose que nous devons craindre en tant que non violents, et aussi en tant que démocrates. Nous devons nous donner la liberté et le courage de réciter l'axiome des non-violents: toute guerre voit la victoire des généraux et la mort des peuples.
Le choix violent de libération, si on l'accomplit, laisse sur le terrain la mort pour toujours de millions de personnes, de millions - en général - de paysans.
Voilà, nous avons brisé et nous devons briser cette histoire.
Au Moyen-Orient il y a une autre chose douloureuse qui se passe.
Je suis accusé d'être férocement pro-israélien, seulement parce que je prends la peine de poser non seulement le problème de la Palestine, mais également de tout le Moyen-Orient. Je ne veux pas la réduction de l'Afrique du Sud au reste de l'Afrique, de même que je ne veux pas la réduction de la Palestine au reste du Moyen-Orient: je suis guidé par une vision non violente, concrète, selon laquelle celui qui meurt est mort, peut importe que ce soit un ennemi ou pas, ce n'est pas ça l'élément essentiel.
Et encore, sur le Tibet.
Un an après Tien An Men, l'Occident veut ôter les sanctions contre la Chine. Tous les démocrates du monde s'occupent de Mandela ou d'Arafat ou de leurs droits alors que sur le Tibet, comme sur les cambodgiens, ils ne disent pas un mot ou bien ils disent "un" mot et ne font aucune lutte.
Nous risquons d'avoir un monde dans lequel les valeurs de l'empire soviétique renouvelées deviendront encore plus générales, de massacre des libertés et des personnes.
La caractéristique de seul parti de la non violence vaut au niveau de la défense de nos droits individuels, des droits du prisonnier, des droits du différent - sur lesquels nous sommes capables d'être des milliers à nous mobiliser - mais elle vaut aussi comme unique manière de lire aujourd'hui les événements de l'histoire, pour ne pas répéter le cynisme occidental qui a misé pendant trente ans sur la stabilisation des dictatures communistes dans les pays assignés par Yalta à ces dictatures.
Un autre exemple; le prohibitionnisme. Aujourd'hui au nom du prohibitionnisme on fait dans le monde des choses que l'on a fait sous le nom de fascisme et sous le nom de communisme. Au nom du prohibitionnisme aux Etats-Unis on a décidé de créer trois cents mille nouvelles places dans les prisons, et uniquement à cause de problèmes de budgets on ne prévoit pas encore la formation de grands camps de travail pour des millions de personnes: ce seront les pauvres, les opposants et les différents qui y iront, pas ceux qui auront de grands avocats ou de grandes solidarités internationales.
Nous avons l'Amérique Latine, la Colombie et les autres pays détruits par la guerre, car c'est une guerre physique et l'on utilise ou l'on veut utiliser plus ou moins les méthodes du Vietnam.
En Occident aujourd'hui on ne fait pas une campagne contre la peine de mort car, grâce au prohibitionnisme, la thèse de la grande extension de la peine de mort triomphe aux Etats-Unis, au coeur de l'empire occidental. Il faut que vous commenciez et que nous commencions à faire des manifestations à Moscou, ou que l'on continue à Prague, devant les ambassades occidentales où l'on pratique la peine de mort et où l'on assassine des personnes: cela, c'est peut-être uniquement avec le Parti radical, techniquement, que nous pouvons réussir à le faire.
Mais combien serons-nous? Combien d'inscrits, quelle genre de manifestations, quelle genre de vie aurons-nous dans quelques semaines, je ne dis pas dans quelques années, sur la base du fait qu'au lieu d'être trente mille nous sommes aujourd'hui trois mille inscrits? Je crois qu'ensuite cela repose sur la responsabilité de chacun de nous.
Faites attention, vous qui êtes peut-être plus jeunes ou plus lointains, ou qui vous considérez à jeun de politique: par rapport à ces problèmes nous sommes tous également désarmés. Nous devons nous armer et s'armer c'est constituer, si possible, ce parti dans les jours qui viennent, faisant chacun un miracle, car autrement je suis convaincu que les plus savants, ou les plus experts, ou intelligents (entre guillemets) d'entre nous, ne pourront rien faire d'autre que recommencer à zéro, comme n'importe qui d'autre.
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N.d.T.
1 - BETTINI VIRGINIO. Né en 1942. Actuellement Député au Parlement européen, membre du groupe Vert.
Professeur d'université, organisateur d'initiatives antinucléaires dès les années 70. Il est actuellement Vice-président de la Délégation pour les Rapports avec la République Populaire de Chine et il est membre des Commissions énergie, recherche et technologie du PE.
2 - PAOLO VIGEVANO. Fondateur et éditeur de l'émetteur radiophonique "Radio Radicale" qui transmet sur tout le territoire italien. "Radio Radicale" a reçu une reconnaissance législative et financière à cause du service public dont elle se charge en transmettant en direct depuis quinze ans les séances des assemblées législatives, des congrès de tous les partis, des procès les plus importants. Il a été trésorier du Pr de 1975 à 1980 et de 1990 à 1993.
3 - CICCIOMESSERE ROBERTO. Né en 1946. Député élu à la Chambre, Liste Pannella.
Inscrit au Parti Radical depuis 1967. Objecteur de conscience, il a été en prison pour l'affirmation de ce droit. Suite à cette initiative, en Italie le droit à l'objection de conscience au service militaire a été reconnu en 1972. En 1973 il fonda la Ligue pour l'objection de conscience - loc - dont il reste Secrétaire national pendant trois ans. Trésorier du PR en 1970. Secrétaire en 1971 et en 1984. En 1969 il a été secrétaire d'organisation de la LID (Ligue Italienne pour le Divorce). Il a été parlementaire européen. Il a lancé et préparé le système de communication télématique multilingue Agorà télématique. Vice-président du Groupe parlementaire Fédéraliste Européen.
4 - DUPUIS OLIVIER. Affirmateur-objecteur de conscience total, il se livre à la justice belge en octobre 1985 et purge une peine de 11 mois dans la prison de Saint Gilles. Il a soigné l'édition francophone des Nouvelles radicales. Il a organisé et participé à plusieurs manifestations non-violentes et antitotalitaires dans les pays de l'Est et c'est suite à ces initiatives qu'il fut expulsé de Tchécoslovaquie et de Yougoslavie. Il coordonne actuellement les activités du Parti radical en Roumanie et en Hongrie et collabore au Projet radical "Le Parti Nouveau". En juillet 1993, il a été élu Président du Conseil Général du PR.
5 - BONINO EMMA. Secrétaire du Parti Radical. Membre de la Chambre des députés, Groupe Fédéraliste Européen.
Parmi les promotrices du CISA (Centre Information Stérilisation et Avortement), elle a été protagoniste de la bataille contre l'avortement clandestin. Députée à plusieurs reprises aussi bien au Parlement italien qu'au Parlement Européen. Elle a été parmi les premiers dans le Parti Radical a se consacrer à la sensibilisation de l'opinion publique internationale sur le problème de l'extermination par la faim.
En tant que membre fondateur de "Food and Disarmament International", en mai 1981, elle a été parmi les promoteurs du Manifeste des Prix Nobel contre la faim et pour le développement.
6 - FACCIO ADELE. Protagoniste des batailles pour le divorce et l'avortement; pour l'affirmation de ce dernier droit, elle a même subi la prison. Président du Parti Radical en 1975/76. Elle a été élue députée dans les listes radicales pendant les trois précédentes législatures. Elle se bat pour les droits des animaux et pour l'environnement, elle a été parmi les promoteurs de la Liste "Verts Arc-en-ciel", dans laquelle elle a été candidate aux dernières élections européennes.
7 - AGLIETTA ADELAIDE. Elle est actuellement Président du Groupe des Verts au Parlement Européen. Plusieurs fois députée au Parlement italien. Secrétaire du Pr en 1977 et en 1978, l'année où elle fut tirée au sort pour faire partie du jury populaire au procès de Turin contre les Brigades Rouges. Promotrice du CISA (centre italien stérilisation et avortement) de Turin, elle a été parmi les protagonistes de la bataille pour la dépénalisation de l'avortement. En 1986-87, elle a été parmi les auteurs de la campagne référendaire pour une justice équitable.
8 - SPADACCIA GIANFRANCO. Journaliste. Parmi les fondateurs du Parti radical, il en a été Secrétaire en 1968, en 1975 et en 1976; il a été Président du Conseil Fédéral à plusieurs reprises. En 1975, étant Secrétaire, il organisa avec le CISA (Centre d'Information Stérilisation et Avortement) la désobéissance civile contre le délit d'avortement. Il fut arrêté et incriminé pour association de malfaiteurs et avortement provoqué. Elu à plusieurs reprises à la Chambre et au Sénat, il a été président du Groupe Fédéraliste Européen Ecologiste.