interview a Olivier Dupuis par Radu RuscanuSOMMAIRE: Dans cette interview, Olivier Dupuis répond à des interrogations qui sont celles de nombreux roumains, en particulier en ce qui concerne les batailles du Parti Radical en faveur des Etats Unis d'Europe, du fédéralisme, des droits des minorités. Une occasion aussi pour répondre à une certaine presse qui n'hésite pas à taxer le Parti radical et certains de ses membres d'etre à la solde de Services secrets étrangers travaillant au démantellement de la Roumanie.
(Euro-Expres, Bucarest, 20 aout 1992)
Radu Ruscanu: Quel contenu donnez-vous au concept de "fédéralisme" et de "fédération européenne" ?
Olivier Dupuis: Fédéralisme veut dire mettre ensemble. Exactement le contraire donc de "démembrer", "découper", ... La "Fédération européenne", ou plus exactement le projet de Fédération européenne que le Parti radical et d'autres fédéralistes européens poursuivent n'est rien d'autre que mettre ensemble, de réunir les citoyens européens, en créant des Institutions comunes. Pourquoi ? Pour affronter toutes les questions - mais seulememt celles-là - qui ne peuvent plus l'etre dans le cadre étroit de nos Etats. Au niveau économique par exemple, il est désormais totalement illusoire pour des entreprises et des industries nationales, memes francaises, britaniques, italiennes, ..., de concurencer des industries japonaises, américaines, coréennes, ... si le marché de base de ces produits est le seul marché national. Meme chose au niveau financier. Le marché MINIMUM est aujourd'hui un marché au moins européen. De là l'idée de la Communauté européenne, l'idée ensuite du Marché Unique, ...
Mais les questions à affronter à un niveau supérieur, fédéral, ne s'arretent pas là. Pour nombre de problèmes écologiques les solutions ne peuvent etre qu'européennes. Prenons l'exemple du Danube. Admettons que la Bulgarie, la Roumanie, la Serbie et la Hongrie s'engagent à ne plus polluer. A quoi cela servirait-il si les autrichiens et les slovaques décidaient pour leur part de faire de ce fleuve leur "tout à l'égout". Meme raisonnement pour la pollution atmosphérique, pour la pollution des mers, ...
Sur le registre de la défense et de la sécurité le besoin d'Europe Unie, d'Etats Unis d'Europe se fait encore plus cruellement ressentir. Le spectacle de l'ex-Yougoslavie est en fait doublement dramatique. Il y a en effet d'un coté les tragédies de la Croazie et de la Bosnie, des gens qui y vivent et qui y meurent, mais il y a aussi de l'autre coté la honte d'une Europe qui, en restant sans réaction devant la politique raciste et fasciste et la guerre d'aggression du régime de Belgrade, se comporte exactement comme à Munnich en 1938, quand elle laissa Hitler s'emparer du Pays des Sudètes d'abord, de la Pologne ensuite, ...
R.R.: Le mot transnational qui figure dans le nom du Parti Radical n'est pas trop familier à l'opinion publique roumaine. Pouvez-vous nous l'expliquer ?
O.D.: Transnational veut dire à travers les nations, les Etats, les frontières. C'est à dire faire en sorte que les gens, les idées puissent circuler librement, mais aussi que les volontés d'agir, d'affronter les problèmes de dimension continentale ou mondiale, puissent etre réunies indépendemment de leur pays d'origine et acquérir ainsi une force nouvelle à la hauteur des défis de notre temps.
R.R.: On impute souvent au Parti Radical qu'il envisagerait la suppression totale des frontières à l'intérieur de l'Europe. Quelle est, en réalité, votre vision à ce sujet ?
O.D.: J'ai précisé plus haut que l'Union Européenne, ou mieux les Etats Unis d'Europe devraient etre compétents pour les problèmes qui peuvent etre affrontés de facon plus efficace au niveau de l'Europe entière. Et j'ai ajouté: seulement pour ces problèmes. Il est en effet hors de question pour nous de reproduire à l'échelle européenne un monstre étatique sur le modèle jacobin francais. Nous sommes fédéralistes dans les deux sens. Vers le haut, l'Europe, et vers le bas, les régions, provinces, districts, comunes, ... Ce qui ne veut pas dire supprimer des frontières ou en recréer d'autres ni supprimer les Etats mais bien faire en sorte que les centres de décision soient autant que possible les plus proches des citoyens.
R.R.: Quelle solution préconisez-vous pour appaiser les tensions inter-ethniques en Transilvanie ?
O.D.: Plus que les tensions (qui existent aussi malheureusement) ce qui me semble grave en Transilvanie c'est, parmi les roumains et les hongrois qui ne pratiquent pas le "sport" de la démagogie nationaliste et qui constituent l'écrasante majorité de la population, le manque de capacité de vouloir s'écouter et se comprendre vraiment. Ce qui ne veut pas dire etre nécessairement d'accord avec l'"autre" mais au moins vouloir entendre et comprendre ses raisons, ses aspirations en dehors des préjugés et des arrières-pensées du type: "il dit cela mais en vérité il veut autre chose".
En ce qui concerne la Transilvanie - et je tiens à préciser qu'il s'agit ici d'une position personnelle et non celle du Parti radical - on pourrait réfléchir, et ce n'est qu'un exemple, à un système d'autonomie culturelle non-territoriale des différentes communautés ethniques. En d'autres mots leur donner la possibilité de gérer démocratiquement des matières telles que la culture, l'enseignement, la communication, ...
R.R.: On vous a accusé d'etre un agent de la CIA ? L'etes-vous vraiment ?
O.D.: Question pour rire, je suppose. Quoi qu'il en soit, et vu que cette accusation provient souvent de milieux, disons proches de certains secteurs des services secrets roumains, je suppose que je dois la prendre comme un compliment que l'on ferait à un "collègue". En tout les cas, ce n'est pas la première fois que nous sommes accusés de faire partie de tel ou tel service secret: KGB, CIA, Mossad, Services Secrets Hongrois, et j'en passe. Si Philby était encore vivant, il ne pourrait que piquer une crise de jalousie.
Ceci dit, je crois que ces accusations sont en quelque sorte dans la logique des choses. Notre caractère transnational, la nature publique, transparente de toutes nos activités, notre défense des droits de l'Homme, quelque soit le régime qui les baffoue ou la victime de cette violation, notre défense des minorités, où qu'elles soient et quelqu'elles soient (roumaines dans le Transniestr, hongroises en Roumanie, serbe en Croatie, ...), ce sont là toutes des attitudes difficiles à comprendre pour des gens dont l'éducation, les taches et les objectifs professionels ont été, pendant les quarante ans de régime totalitaire, fondés sur le secret, la méfiance de l'autre, la théorie de la conspiration intérieure et extérieure contre l'Etat ...
R.R.: Quelle est votre appréciation des résultats obtenus jusqu'à présent par le Parti radical en Roumanie ?
O.D.: Je pense que le Parti radical a fait un sérieux bond en avant au cours de cette dernière année. Près de cinquante parlementaires roumains (quarante neuf pour etre exacte), de presque tous les partis politiques, se sont inscrits au Parti radical. Une bonne partie d'entre eux ont participé - souvent activement - à diverses initiatives nonviolentes du PR. Plus de deux cent citoyens, de toutes les régions du pays se sont inscrits et commencent à s'organiser là où ils habitent et à se coordonner, grace aussi au bureau que nous avons désormais à Bucarest.
Le principal obstacle que nous devons encore surmonter c'est bien sur la méconnaissance et la "mal-connaissance" de notre parti de la part de l'immense majorité des citoyens de Roumanie. Pour dépasser cette méconnaissance il nous faut arriver jusqu'aux gens, leur permettre de nous lire, de nous connaitre directement, sans filtre. Et à ce propos je remercie l'Euro-Expres de nous donner aujourd'hui cette opportunité. Et j'invite ceux qui seraient intéresser à en savoir plus à s'adresser à notre bureau de Bucarest: Str. Beldiman nr.1. Et.6. Ap. 59. 70601 Bucuresti. La "mal-connaissance", ou, en d'autres mots les effets de la désinformation, est malheureusement plus difficile à affronter. Les lois sur la presse, par exemple, sont encore d'application relative. Mais nous sommes en train de nous organiser sur ce terrain-là aussi et nous devrions dans les prochaines semaines intenter des procès en diffamation contre certains journaux particulièrement "doués" pour la calomnie.