Pour que justice soit faiteSOMMAIRE: Dans cet article, l'auteur, Olivier Dupuis, secrétaire du Parti Radical transnational, reparcourt les différentes étapes de la campagne du PR en faveur de l'institution du Tribunal sur les crimes commis en ex-Yougoslavie d'abord, en faveur de l'institution du Tribunal international pénal permanent ensuite. In "Il n'y a pas de paix sans justice", avril-mai 1996.
de Olivier Dupuis
Secrétaire du Parti Radical
transnational et transparti
Député au Parlement européen
Vukovar, Octobre 1991. La résistible ascension de Milosevic au pouvoir provoque les premiers désastres. Vukovar tombe, rasée au sol par les milices serbes appuyées par l'armée de la République Fédérale autoproclamée de Yougoslavie (Serbie-Monténégro). Le monde, et au premier rang les Puissants du monde, assistent impassibles à la tragédie annoncée. Une tragédie en termes de vies, mais aussi de droit et de légalité internationale.
Osijek, Noël et Nouvel An 1991. Avec Marco Pannella nous sommes là: une dizaine de radicaux, dont quelques députés, avec les jeunes volontaires de la toute nouvelle armée de Croatie, dans les tranchées qui entourent la ville assiégée, en passe de subir le même sort que Vukovar. La communauté internationale, à quelques rares exceptions près, se contente encore de regarder.
C'est durant ces mois-là (qui seront suivis, hélas, par beaucoup d'autres, chargés des mêmes horreurs ou pire encore) que naît et grandit peu à peu au sein du Parti Radical la conviction que l'institution d'un Tribunal pour juger les crimes commis sur ces territoires peut être un outil valable, encore qu'insuffisant, pour ramener à un minimum de droit, de légalité, de justice, ce qui s'y est passé, ce qui est train de s'y passer et qui, malheureusement, continuera à s'y passer.
En juillet 1993, à Sofia, avec l'entrée en fonction d'Emma Bonino comme secrétaire du parti, l'institution du Tribunal "ad hoc" devient un objectif prioritaire du PR. Nous commençons à nous organiser. Dans chaque siège du PR débute la récolte des signatures parmi les parlementaires sur un appel adressé au Secrétaire Général de l'ONU lui demandant de réaliser ce projet, délibéré un jour de honte particulière par le Conseil de Sécurité. Les initiative se multiplient. Forte de plus de mille signatures de parlementaires et de plus de 15 mille signatures de citoyens, une délégation de parlementaires conduite par la secrétaire du PR est reçue par le Secrétaire Général Boutros Ghali.
Petit à petit, les choses bougent. Une première Marche de Pâques a lieu à Rome en 1994. Puis à nouveau en 1995. Entretemps le Gouvernement italien a donné mandat à la secrétaire du PR de suivre à l'ONU les questions du Tribunal et du moratoire des exécutions capitales. Les actions de lobbying à l'Assemblée Générale commencent. Dans les mois qui suivent des centaines de radicaux, résidents dans des dizaines de pays différents, entament un jeûne afin que les fonds pour le Tribunal soient inclus dans le budget ordinaire de l'ONU et ne fassent donc plus l'objet d'affectations extraordinaires, soumises à la bonne volonté ou au pouvoir discrétionnaire des Etats donateurs.
En attendant, les disciples de Milosevic et de son impunité ne se sont pas fait attendre. En temps réel, à l'heure du dîner, les événements tragiques de Somalie d'abord, du Rwanda ensuite, massacres et atrocités en tout genre, s'introduisent dans les foyers d'une bonne moitié de la planète. Et aux ballets irresponsables de la communauté internationale de recommencer. Tandis qu'au PR grandit la conviction quant à la nécessité de doter la Communauté internationale d'un outil permanent de justice. Un instrument qui lui permette de ne pas devoir inventer à chaque fois de nouvelles institutions, improvisées et donc peu efficaces, mais aussi (et surtout) qui la dote d'un réel pouvoir de dissuasion sur les apprentis agresseurs et criminels, présents et à venir, quelque soit l'endroit du monde où ils se trouvent.
Dès 1994 un embryon de siège du PR était installé à New York, renforçant ses possibilités d'intervention au sein des Nations Unies. En juin 1995 le Parti Radical obtient le statut d'Organisation Non Gouvernementale de catégorie 1 des Nations Unies. Automne 1995: l'Assemblée Générale donne une réponse positive aux résolutions arrachées par les radicaux au Parlement européen et dans plusieurs parlements nationaux (ainsi qu'au travail de lobbying exercé sur de nombreuses délégations nationales aux Nations Unies). Elle charge un Comité Préparatoire de finaliser la mise au point du Statut d'un "Tribunal International Pénal Permanent" afin d'être en mesure de convoquer, durant sa Session d'automne 1996, la Conférence Plénipotentiaire constitutive du Tribunal au cours de l'année 1997 (Conférence que l'Italie s'est déjà engagée à accueillir). Les délais commencent finalement à se raccourcir, les échéances ne sont plus sans cesse renvoyées.
Aujourd'hui les choses en sont là. Il s'agit donc de nous remettre au travail pour que le Secrétaire Général des Nations Unies et ce Comité Préparatoire s'acquittent de leur mandat: l'année 1996 devra voir la création effective de ce premier noyau de juridiction internationale permanente. Comment ? Que faire?
Réfléchir, mais aussi agir. Tout de suite. Avec "No Peace without Justice", nous avons commencé à récolter des adhésions "qualifiées" sur un appel précis et déterminé. En quelques jours plus de 250 Parlementaires, européens et nationaux, ont décidé d'y adhérer. Aujourd'hui grâce à cette "Newsletter" de "No Peace without Justice" quelques 40.000 parlementaires du monde entier peuvent en prendre connaissance. En même temps, de nouvelles actions de lobbying sur les Gouvernements ont commencé. Il s'agit en effet de les convaincre de soutenir l'institution du Tribunal et, en particulier, de voter favorablement le texte du Comité Préparatoire afin que l'Assemblée Générale puisse se prononcer définitivement cet automne. Les radicaux de New York, les amis de "No Peace without Justice" et d'autres ONG sont désormais sur la brêche. Un patient travail de tissage auprès des délégations nationales commence...
Les encouragements ne manquent cependant pas, tel ceux d'Antonio Cassese, Président des Tribunaux ad hoc sur la ex-Yougoslavie et sur le Rwanda: "Si Karadzic devait prouver qu'il avait obéi à des ordres supérieurs... le procureur devrait alors en tirer toutes les conséquences". En ce qui nous concerne, nous croyons que tous les éléments sont déjà réunis pour démontrer et prouver que la politique de terreur, le "tir aux enfants", les viols, les innombrables violences parmi les populations civiles, les massacres accomplis par les forces armées serbo-bosniaques durant toutes ces années de guerre n'ont pas seulement bénéficié du soutien logistique "extérieur" de l'armée de Belgrade, mais sont le résultat d'ordres impartis directement par cette armée; en ce sens les paroles de celui qui revêt la plus haute fonction au Tribunal de La Haye ne peuvent que renforcer notre détermination à lutter pour que les mandants soient jugés et notre conviction que le moment où ils pourront l'être se rapproche. Le temps - finalem
ent - ne joue plus en faveur de Milosevic et Sarajevo - une des rares choses positives des accords de Dayton - n'est plus dans son collimateur ni dans celui de ses francs-tireurs.
Au travers de cette bataille pour la justice internationale (qui, avec la requête de moratoire des exécutions, nous voit également engagés sur le front de l'abolition universelle de la peine de mort) nous tâchons aussi de préfigurer une organisation des Nations Unies différente, plus démocratique et plus proche des aspirations des citoyens et des peuples du monde entier. Mais cette attention constante et cette tension opérationnelle quotidienne sur la plus haute institution internationale caractérisent aussi d'autres fronts de lutte du Parti Radical. Le premier, et sans doute le plus exemplaire, est celui de la révision ou - si nous y parvenons - de la dénonciation des Conventions internationales sur les drogues. Conventions qui constituent l'infrastructure juridique et légale de la désastreuse politique prohibitionniste au niveau mondial. Mais il y a aussi, bien qu'encore à l'état embryonnaire, la campagne pour la démocratie linguistique, pour l'introduction - aux différents niveaux institutionnels supranat
ionaux et nationaux - d'une langue internationale de communication.
Mais ce qui caractérise le plus ces heures présentes, c'est notre engagement pour la liberté du Tibet. Un engagement dû aussi à l'urgence d'une situation qui n'a cessé de se dégrader depuis l'invasion de 1949 et l'occupation et la colonisation systématique qui ont suivi. Le Tibet représente en effet aujourd'hui un des cas les plus dramatiques de violation de la légalité internationale. Il s'agit - et nous agissons en ce sens - d'amener au plus vite cette question au sein des Nations Unies. En espérant que cette nécessité sera comprise par les medias.
Comme on a pu le voir ces campagnes du PR constituent toutes, directement ou indirectement, des éléments d'une réforme générale des Nations Unies dans un sens plus démocratique mais aussi de plus grande ouverture à l'action et à une participation plus directe des citoyens. Elles ne suffiront évidemment pas. D'autres réformes, certaines de caractère plus institutionnel, devraient être conçues... et réalisées. Comment ne pas penser à la démocratisation de l'Assemblée Générale, avec l'introduction d'une composante de vraie représentation parlementaire? Sans nous cacher cependant que dans un monde où la moitié de la population est encore gouvernée par des régimes dictatoriaux ou totalitaires, ces projets de réforme se heurtent à de grandes difficultés. En attendant nous nous efforçons de continuer à avancer sur ces quelques fronts que nous avons pu ouvrir et que nous réussissons à maintenir ouverts grâce à l'engagement de tous ceux qui ont décidé de faire confiance à l'entreprise radicale 1996. C'est déjà beauco
up, c'est déjà presque un miracle.
Face aux difficultés, au temps et aux énergies qui ne suffisent jamais, nous essayons ainsi d'être fidèles à nos engagements et à ceux qui, quelque soit leur lieu de résidence et leur appartenance philosophique, idéologique ou politique, ont décidé de placer leur confiance dans ce projet, de s'associer au Parti Radical transnational et transparti de 1996 et d'agir pour nous rendre tous plus forts.