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Conferenza droga
Ruiz-Portella Xavier - 2 maggio 1990
L'ECONOMIE DE LA DROGUE (2)

Suite du livre de J.-F. Couvrat et de N. Pless

DES CHIFFRES FOUS

La drogue tue, mais les milliards enivrent. 200 à 300 milliards $ dit-on le plus souvent. Mais de quoi parle-t-on?

C'est l'ampleur supposée du marché "de détail" des stupéfiants. La somme de tous les billets froissés que les drogués tendent à leurs revendeurs en échange de quelques grammes de poudre, plus l'autoconsommation des dealers estimée au prix de la rue. On peut donc comparer ce marché à celui des carburants automobiles. En revanche, si l'on parle d'échanges internationaux, il faut éviter des assimilations hâtives.

La commission vénézuélienne contre l'usage illicite de la drogue n'y va pas de main morte, dans un rapport publié en avril 1987. Elle compare les 300 milliards de narco-dollars aux 80 milliards de pétro-dollars générés par le second choc pétrolier au profit des pays de l'OPEP, "le plus grand transfert financier de l'histoire économique mondiale". L'idée d'un "super-choc de la coke" n'est pas très loin! C'est oublier la principale caractéristique de la filière de la drogue, seule matière première dont le prix explose littéralement entre sa production et sa consommation.

Un baril de pétrole brut "coûte", disons 1 $ à produire au Koweit. A l'arrivée à Rotterdam, l'importateur le paye 10 $. Il est vendu en produit raffiné au détail, hors taxes, environ 40 $. Si toute la filière est intégrée par l'exportateur koweïtien, celui-ci récupérera 40 $ -moins les frais de transport, de raffinage et de distribution, bien entendu.

Pour la drogue, le schéma est le même. Sauf qu'au lieu de passer de 1 à 40 entre production et le marché de détail, on passe de 1 à 2.000 pour l'héroïne et de 1 à 200 pour la cocaïne. La conquête de ces marges, qui rémunèrent le risque, est l'ambition permanente des multinationales du crime. Culture, transformation, transport, import-export, gros, demi-gros, dealers : à chaque étape on peut doubler ses profits, en multipliant les risques. Plus la filière est longue, plus nombreuses sont les frontières, plus la marge est grande, et plus l'intégration, même partielle, est rentable.

UN COMMERCE USD-NORD DE 30 MILLIARDS DE DOLLARS

Le trafic des stupéfiants est un commerce Sud-Nord, comme celui du café, du cacao et, pour partie, comme celui du pétrole. On produit l'héroïne dans le Triangle d'Or et dans le Croissant d'Or, la cocaïne sur les plateaux andins, la marihuana au Mexique et le haschisch au Liban. On les vend dans le Bronx, à Amsterdam, à Belleville et à Wall Street. Mais les marges de distribution sont tellement grandes dans les pays de consommation que la valeur des drogués à l'importation est une petite fraction, d'ailleurs variable, de leur prix de détail.

D'autre part, une bonne partie de la production est consommée sur les lieux de culture ou dans le voisinage, à des prix sans rapport avec les prix occidentaux.

Le commerce international des stupéfiants est donc loin d'atteindre en valeur celui du pétrole brut. Bon an mal an, tous pays confondus, on n'importe de la drogue "que" pour une trentaine de milliards de dollars. C'est une somme comparable au tiers de échanges de pétrole brut (avec un baril à 12 $). Et grosso modo l'équivalent des recettes de fret maritime sous pavillons de complaisance. Mais dans le cas de la drogue, importations et exportations échappent aux statistiques.

Quant à estimer le marché de détail dans le monde entier, il faut se méfier des passerelles entre tonnages et chiffres d'affaires.

COMBIEN DE CONSOMMATEURS?

"Tout n'est pas quantifiable, et tout ne gagne pas être quantifié", affirme le Dr F. R. INGOLD dans un rapport sur la toxicomanie à Paris.

Pour se faire une idée des dimensions globales des marchés de drogues à l'échelle mondiale, il faudrait connaître le nombre approximatif des "consommateurs", les drogués réguliers. Mais qu'est-ce qu'un drogué "régulier"? Lorsqu'ils manient ce concept, les Européens retiennent une consommation hebdomadaire, les Américains une consommation mensuelle. Les statistiques de toxicomanes soumis à un traitement médical? Elles ne comptabilisent qu'une petite partie des consommateurs, très variable selon les pays.

Les chiffres les plus fantaisistes circulent. Lorsqu'on parle de 48 millions de drogués dans le monde, ce nombre doit comprendre les fumeurs occasionnels de marihuana, quelque 30 millions, et n'a donc pas de signification.

L"Organisation mondiale de la Santé a publié un chiffre "officiel": 4,8 millions d'adeptes, y compris les consommateurs de drogués illicites de synthèse. Il paraît en revanche sous-estimer la réalité.

Ce qui est certain, c'est que le marché mondial exprimé en tonnes n'a aucun rapport avec celui-ci exprimé en dollars, tant y serait surestimé la part du Tiers-Monde.

Dans les pays de consommation riches, une partie de la drogue est consommée gratuitement par les dealers eux-mêmes, qui prélèvent leur "dîme" au passage. Cette autoconsommation est un revenu en nature.

Dans les pays producteurs et dans certains pays de transit, on consomme également d'énormes quantités de stupéfiants: on mâche les feuilles de coca depuis des siècles en Amérique latine, on fume l'opium traditionnellement en Asie du Sud-Est, on ingère ou on fume du haschisch au Proche Orient. Et cela à des prix dérisoires, comparés à ceux atteints dans les pays de consommation développés. A Sukkur, petite ville du Pakistan, les 500 héroïnomanes invétérés paient leur dose l'équivalent de 5 Francs: une fortune par rapport à leurs revenus, mais une petite fraction du prix parisien. De tels écarts de prix n'ont rien d'étonnant: moins la drogue traverse de frontières, moins le risque est grand, plus il y a de drogue produite, plus les trafiquants ont intérêt à écouler le trop-plein sur place; enfin une partie de la consommation dans le Sud est l'autoconsommation des producteurs, voire la rétribution en nature des premiers maillons de la chaîne.

Multiplier des tonnages mondiaux par des prix américains ou européens n'a donc pas de sens. En témoigne le cas thaïlandais. Si les 500.000 héroïnomanes de ce pays (sur une population de 50 millions d'habitants) payaient leur dose au prix de New York, la dépense annuelle de chacun d'eux atteindrait 20.000 $, et la consommation d'héroïne accaparerait à elle seule le quart du revenu national thaïlandais.

Les trafics de drogue font beaucoup plus de dégâts dans les balances de paiements que dans les balances commerciales.

Le circuit de l'argent "sale" y laisse des traces profondes, officiellement inexpliquées. On sait à peu près ce qui reste dans les pays producteurs: la part infime versée aux agriculteurs et aux transformateurs du produit. On voit bien qu'une partie des profits en aval y reviennent: les dépenses somptuaires des trafiquants lorsqu'ils y résident, leurs frais de sécurité, voire le financement d'aventures politico-militaires. Le reste -très substantiel- vient grossir les patrimoines occultes des multinationales du crime, qui se partagent un marché en expansion, mais très instable.

La part des grosses entreprises intégrées varie beaucoup d'une drogue et d'une filière à l'autre. Elle est d'autant plus grande que la filière est longue et prometteuse, et que l'investissement de départ est important. Ce n'est pas un hasard si l'offre de la cocaïne est cartellisée, si la Mafia et la Triad asiatique sont de puissants acteurs sur le marché de l'héroïne.

Mais il y a les "outsiders", dont l'entrée dans le circuit est favorisée après l'émiettement des marchés de gros et de demi-gros, et par la dispersion des lieux de production. Le commerce du cannabis, qui réclame très peu d'investissement, est largement occupé par des petits trafiquants. Une multitude de transporteurs éphémères concurrence des filières organisées de la cocaïne et de l'héroïne. Bref, la structure de la distribution est changeante et très concurrentielle.

La structure de la production joue dans le même sens. La culture des drogues naturelles fait certes appel à une main-d'oeuvre nombreuse. Mais la misère aidant, les volontaires, de même que les terres cultivables en réserve, ne manquent pas dans les pays du Sud.

Tant que les autorités laissent faire, les marchés des stupéfiants sont menacés de surproduction. D'où les guerres sans merci que se livrent les trafiquants tout au long des filières. Il s'agit de contrôler les approvisionnements en éliminant les concurrents ou en diminuant leur offre. La répression policière est perçue comme un précieux coup de main... lorsqu'elle s'attaque à la concurrence.

Ces guerres font des centaines de victimes, de Bogotá à Miami, des plateaux birmains à la plaine de la Bekaa, de Chicago à Palerme. Elles bouleversent en permanence les circuits de la drogue et déplacent sans cesse la production d'une région à l'autre.

Le temps de reconstituer le puzzle, il a déjà changé. On peut donner des ordres de grandeur, mais mieux vaut parler de tonnes que de kilos, de milliards de dollars que de milliers, de continents que de pays. Même la consommation évolue.

UN MARCHE BANALISE

Naguère le trafic de la drogue était le domaine réservé du "milieu", de la Mafia, du crime organisé. Aujourd'hui il est banalisé. Des anecdotes inimaginables il y a quelques années abondent désormais.

Parfois, la presse les relate, comme celle de ce gestionnaire de maison de retraite, qui blanchissait l'argent de la drogue avec de fausse factures de son établissement. D'autres restent confidentielles, comme les déboires de cette femme chef d'entreprise, la soixantaine dynamique, qui engagea 4 millions de Francs, tout ce qu'elle possédait, un jour d'échéance difficile, dans l'espoir de quadrupler sa mise en trois semaines: en finançant l'importation de quelques kilos d'héroïne... On lui livra de la farine, et elle squatte maintenant un minable local.

Les policiers et les douaniers chargés de la répression du trafic sont les témoins quotidiens de l'explosion du trafic. Naguère ils saisissaient la cocaïne par kilos. Aujourd'hui, ils la saisissent à la tonne, lorsqu'elle arrive par containers entiers dans le pays de destination, où elle est stockée en quantités énormes.

Les statistiques de saisies centralisées par l'ONU sont éloquentes. Jusqu'en 1982, on n'avait jamais saisi plus de 12 tonnes de cocaïne par an dans le monde. Entre 1983 et 1985, la moyenne annuelle bondit à 52 tonnes. En 1986 on change encore d'échelle: 128 tonnes.

Si l'ampleur des saisies reflète bien l'ampleur du trafic, ne faut-il pas admettre que celui de la cocaïne a doublé en 1984 et 1986, et que la progression n'a pas cessé en 1987? Et peut-on soutenir que la consommation d'héroïne stagne ou regresse, alors que les saisies on battu en 1986 tous leurs records: 15 tonnes? Seules les saisies de cannabis sous forme d'herbe ont brutalement chuté: 20.000 tonnes en 1984, 3.000 seulement en 1986. N'en concluons pas trop vite que les consommateurs s'en détachent. Mais les policiers ont d'autres chats à fouetter. Ne serait-ce que les cannabis-liquide, sa forme la plus concentrée, dont le commerce s'épanouit.

Le chiffre d'affaires du marché de la drogue a-t-il augmenté aussi depuis 1984? Rien n'est moins sûr. Car si les quantités consommées dans le monde se sont nettement accrues en quatre ans, les prix, en tout cas ceux de la cocaïne, se sont effondrés. Comme les autres marchés de matières premières, celui des stupéfiants vit aujourd'hui une crise de surproduction. Il n'est donc pas impossible que l'on consomme deux fois plus de drogués illicites en 1988 qu'en 1984, sans que les drogués aient dépensé beaucoup plus.

Une conclusion s'impose, dès à présent. Pour remarquable et souvent héroïque qu'il soit, le travail des policiers et des douaniers chargés de la répression du trafic n'a privé aucun drogué solvable de sa dose. Si cela avait été le cas, si la multiplication des saisies avait amputé l'offre de façon significative, le marché aurait été déséquilibré et les prix auraient augmenté.

Opium, morphine, héroïne, cocaïne, marihuana, haschisch: derrière chacun de ces mots magiques s'est développée une économie intense, celle des matières premières comme les autres, la prohibition en prime.

Du côté de l'offre, des producteurs miséreux en amont des filières juteuses accaparées par le cartel de Medellín, la Mafia, la Triada, le crime organisé, relayés par une multitude de détaillants souvent consommateurs eux-mêmes.

Du côté de la demande, des millions de consommateurs dépendants, prêts à tout pour obtenir leur dose.

Entre les deux, des services de répression innombrables et coûteux qui concourent malgré eux à la formation du prix de la drogue... et aux profits des trafiquants.

 
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