Auteur: JACQUES Jean-Pierre, psychanalyste
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A quel titre un psychanalyste, spécialiste d'un non-savoir fondé sur une méthodologie du cas par cas, serait-il autorisé à livrer quelque réflexion pertinente pour les éminents experts aujurd'hui réunis autour d'un champs d'étude dont l'objet appartient au collectif du droit et de la Santé publique considérés comme opérateurs universalisants?
Si le psychanalyste est parfois convoqué au chevet de quelques toxicomanes, et plus souvent à la table des équipes en charge de les "soigner", intervient-il parmi d'autres au nom des coséquences de l'usage des drogues? Plus restrictivement encore, intervient-il pour assouplir les effets sur un sujet de la répression qui s'est abattue sur l'objet élu par le toxicomane et sur les conduites qui résultent de ce choix?
Ou bien a-t-il quelque chose à déclarer sur ce qui causerait ce choix, à partir de ce que lui aurait enseigné la clinique de sujets désignés toxicomanes? Par exemple, que leur rapport à la Loi comporterait une atypie avant même que leur choix se porte sur des produits prohibés?
De la prohibition, le psychanalyste ne connaît à l'origine que celles qui portent sur l'inceste et sur le parricide, ce dont le mythe d'Oedipe donne une représentation imagée. De ces interdits, la recherche freudienne indique la nécessité chez l'humain dans la culture et non dans on ne sait quelle contrainte naturelle. C'est en temps qu'il s'agit de désirs très puissants et très menaçants, que l'inceste et le parricide sont interdits et réprimés dans toutes les civilisations connues.
Pour la psychanalyse et pour quelques disciplines qui s'en sont inspirées, cette Loi symbolique (avec grand L) serait le modèle même de la loi positive (avec petit l). Ces lois positives, au rang desquelles celles qui concernent les drogues sont-elles légitimées - d'un point de vue analytique - par leur homonymie avec la Loi qui règle l'accès à la Jouissance de la Mère et au mesure du Père en les interdisant?
Nos civilisations, pourtant éprises d'une frénésie de consommation et soucieuses de garantir les libertés quand il peut en résulter un profit marchand, persistent à interdire l'accès à certaines drogues en dépit du formidable potentiel de profit que dégagerait leur libération. Ces iterdits ne tiennent plus qu'appuyés sur des références morales - le Bien de l'abstinence et le Mal de l'intoxication - fragilisées par le discours de la Science, qui est appelée à défaire les liens de causalité entre consommation de drogue et dégradation médico-sociale.
Si les drogues modernes, comme produits de la Science, ne sont plus la cause de ce qui arrive aux drogués, où donc faudra-t-il chercher ce causes? Le psychanalyste peut-il alors reprendre voix sur ce chapitre et s'interroger sur l'avenir d'une civilisation sans prohibition des ivresses chimiques, c'est-à-dire un monde où les questions opaques du désir et de la mort seraient traitées par des opiacés?