DROGUES: DEPENALISER AVEC LES BELGES
Progressiste, le Parlement luxembourgeois demande une libéralisation du cannabis et de ses dérivés dans l'ensemble du Benelux
par Olivier Alsteens et Olivier Van Vaerenbergh
Le Soir, vendredi 21 juin 1996
En cinq motions, adoptées à l'issue de réunions d'une commission parlementaire spécialisée et d'une série de réunions plénières, le Parlement luxembourgeois vient de donner un sérieux coup de pouce à la dépénalisation des drogues douces dans le Benelux.
La Chambre des députés luxembourgeois part du constat que les politiques répressives en matière de stupéfiants n'ont nulle part eu les résultats escomptés. Mais aussi que le problème de la drogue s'est internationalisé, ce qui nécessite la coordination des législations nationales, ce qui a été insuffisamment accompli jusqu'à présent. Le Parlement luxembourgeois considère encore que les petits pays ont plus de facilité à mettre sur pied des politiques communes.
UN CADRE RÉVOLUTIONNAIRE
Parmi les différents textes adoptés, il en est un qui concerne directement la Belgique. Sur demande de son Parlement, le gouvernement luxembourgeois va tenter d'initier une coordination des politiques de lutte contre la toxicomanie au niveau des pays du Benelux. Rien de bien révolutionnaire jusque là... Mais les députés luxembourgeois ont fixé le cadre de ces discussions. De quoi faire frémir par mal de chapelles en Belgique - on se souvient des vives réactions suscitées par le dépôt d'une proposition de dépénalisation des drogues douces par le député PS Patrick Moriau et du niet du ministre de l'intérieur Johan Vande Lanotte. Le cahier des charges du gouvernement luxembourgeois va plus loin que la plupart des propositions belges déposées jusqu'à présent. Il s'agit, en effet, de développer avec la Belgique et les Pays-Bas un programme de mesures communes de libéralisation du cannabis et de ses dérivés. Mais aussi de distribution contrôlée des opiacés et de la cocaïne, d'offres thérapeutiques et d'échanges d'
information sur les modèles locaux d'aide aux toxicomanes. Pour contrer les trafics et freiner la délinquance liée aux stupéfiants, les Luxembourgeois frappent fort. Ils tiennent un discours étayé d'arguments scientifiques et chargé de choix de société qui préfèrent la prévention et le traitement des toxicomanes - considérés comme des malades - aux poursuites judiciaires et à l'enrichissement des trafiquants. Nous n'avons pas pu obtenir de réaction du ministre de l'Intérieur belge, Johan Vande Lanotte, à la proposition luxembourgeoise. Par contre, on sait que celle-ci réjouit les partisans belges de la dépénalisation des drogues douces engagés dans un débat difficile dans notre pays. Et qu'elle leur servira d'argument au cours des débats du groupe de travail parlementaire chargé d'étudier la problématique de ladrogue. Le débat étant, cette fois, lancé de l'étranger, le ministère de l'intérieur ne pourra l'évacuer d'un tour de main...
AVEC LE SOUTIEN DES CHRÉTIENS
Du côté luxembourgeois, en tout cas, certains membres de la Chambre des députés n'en reviennent toujours pas. Leur pays avait en effet jusqu'ici une des législations les plus strictes en matière de stupéfiants, du moins sur le papier. Ainsi, Renée Wagenar, membre du parti des Verts, à l'origine des motions, et membre de l'opposition, ne cache pas sa surprise: J'ai l'impression que le ministre de la Justice, M Fischbach, n'a pas très bien lu les textes! C'est en effet après que celui-ci eut donné son avis - positif sur les propositions de la commission, que la Chambre a adopté les textes. Avec le soutien du très conservateur Parti chrétien-social qui a suivi l'avis de son ministre.
- En commission, il était clair que le PCS n'était pas en faveur d'une telle avancée, continue la députée. Mais le ministre s'était déjà exprimé sur les problèmes posés par la Belgique pour harmoniser leur politique. Quant au ministre de la Santé, il veut également aller dans ce sens, et entamer des expériences de distribution contrôlée de drogues, comme cela se fait déjà en Angleterre, en Suisse ou en Allemagne.
Au gouvernement luxembourgeois en tout cas, on se dit prêt à suivre l'invitation du Parlement. #est encore trop tôt pour connaître les suites qui y seront données, commente un porte-parole. Mais le gouvernement est prêt à reconsidérer sa politique à l'égard du cannabis. Nous allons maintenant commencer nos consultations pour mettre le tout en chantier. Un chantier qui franchira forcément nos frontières.