Premiers succès des produits de substitution à l'héroïneHéroïne, transmission du sida et overdoses diminuent en France
par Samuel Roux [Libération, lundi 16 décembre 1996]
L'Observatoire français des drogues et des toxicomanes publie ce matin son rapport annuel qui met en évidence une légère diminution des consommateurs d'héroïne. Une tendance qui s'expliquerait par la montée en puissance des programmes de délivrance de produits de substitution comme la méthadone. La méthadone, présentée en flacon buvable, est délivrée actuellement par 84 centres à 4000 toxicomanes auxquels s'ajoutent plusieurs centaines de personnes prises en charge par la médecine de ville.
Tassement de la consommation d'héroïne, des overdoses et de la propagation de l'épidémie de sida chez les usagers de drogue... ce sont les points forts du rapport annuel que publie ce matin l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). C'est la deuxième édition de cet organe gouvernemental créé en septembre 1995 pour fournir des données fiables sur le champ de toxicomanie. Le document français est novateur. Pour la première fois, il donne une photographie précise de la planète défonce. Les nouvelles tendances relevées devraient encourager le gouvernement à accentuer la distribution de produits de substitution à l'héroïne. L'OFDT permet aussi de répondre à une série de questions-clés souvent instrumentées par le débat idéologique.
Combien y a-t-il de toxicomanes ?
Selon le rapport, environ 7 millions de personnes en France ont consommé au moins une fois une drogue dans leur vie. 2 millions en ont consommé dans l'année écoulée. Dans 90% des cas, il s'agit de cannabis, l'héroïne touche autour de 160.000 accros.
Quel est le profil des usagers de drogue ?
Selon les sources, 70% à 90% des toxicomanes sont de nationalité française. Parmi ceux suivis en novembre 1995, 60% étaient chômeurs, plus de 50% de ceux ayant un emploi étaient sous contrat à durée déterminée, un quart étaient RMistes et 8% n'avaient aucune couverture sociale.
Quelle est la tendance dans les produits consommés ?
Selon le rapport, la part des usagers d'héroïne diminue légèrement, après une décennie d'augmentation, alors que celle des usagers de cannabis s'accroît - phénomène confirmé dans un grand nombre de pays européens. Depuis 1990, s'observe en revanche une très forte hausse des interpellations pour usage d'ecstasy, souvent lié aux rave parties (32 arrestations en 1990, 1.122 en 1995). Les consommateurs d'ecstasy appartiennent à une population en général jeune et bien insérée.
Combien de toxicomanes ont recours aux soins ?
En 1995, 64.738 personnes ont été suivies dans les centres de soins spécialisés. Pour 41% d'entre elles, il s'agissait d'un premier traitement. La tendance globale va à la hausse (doublement en cinq ans) avec un boom pour les centres spécialisés (+20% dans les années 1994-1995).
Où en est la substitution ?
Développé depuis 1993, ce programme destiné à resocialiser les toxicodépendants par la délivrance de produits de substitution (généralement à l'héroïne) commence à atteindre un seuil significatif. 84 centres délivrent la méthadone à quelque 4.000 toxicomanes, auxquels s'ajoutent environ 600 personnes sous méthadone prises en charge en relais par la médecine de ville. La moyenne d'âge des sujets admis au programme est de 32 ans. 48% des patients sont célibataires, 38% vivent en couple, 41% sont parents. Leur niveau scolaire est plus élevé que la moyenne des toxicomanes admis en centre de soins et l'entourage familial reste généralement important. Depuis février 1996, les généralistes délivrent du subutex [1] à quelque 26.000 usagers dépendants. Selon le rapport, 52% des praticiens sont aujourd'hui favorables aux produits de substitution contre 23% en 1992.
Où en est l'épidémie de sida chez les toxicomanes ?
Le taux de contamination est de l'ordre de 28%, contre 20% pour ceux qui ont recours aux soins. Les derniers indicateurs montrent une stabilité, voire une diminution de ces chiffres.
Combien de toxicomanes sont en prison pour simple usage ?
La part de l'usage sanctionnée dans les condamnations est passée de 44% en 1984 à 24% en 1993. Mais l'administration pénitentiaire a encore comptabilisé 864 personnes incarcérées en 1995 pour simple usage.
Quelle est la consommation chez les adolescents ?
Le rapport ne dispose que d'une étude de 1993 selon laquelle 85% des 11-19 ans n'ont jamais pris de drogue. Le haschisch est le premier produit expérimenté : 12% des adolescents en ont fumé, contre 1% ayant touché à la cocaïne et à l'héroïne. 92% des consommateurs de stupéfiants prennent aussi de l'alcool ou du tabac.
Quel est le lien réel entre toxicomanie et délinquance ?
Parmi l'ensemble des individus mis en cause par les services de police et de gendarmerie, 13% sont impliqués comme usagers de drogue dure. Pour l'OFDT, cela suggère une relation entre toxicomanie et délinquance d'une ampleur très inférieure aux ordres de grandeur souvent avancés (autour de 50%), notamment par la police.
Où en est la lutte contre l'argent de la drogue ?
Les institutions financières ont fait 865 "déclarations de soupçon" en 1995, contre 683 en 1994 et 648 en 1993. Les banques sont à l'origine de 74% de ces déclarations. Au 1er octobre dernier, on comptait seulement 120 affaires transmises à la justice depuis la création d'un dispositif spécial de lutte contre le blanchiment de l'argent sale (Tracfin).
[1] Produit distribué en comprimés contenant de la buprénorphine, analgésique contre la douleur concentré à forte dose, qui permet de pallier l'effet de manque sans risque d'overdose.