UN ACCRO ATTAQUE LA SEITA *
Cancéreux en phase terminale, il demande des dommages et intérêts
(NB: L'avocat antiprohibitionniste français, Francis Caballero, président du MLC (Mouvement de Libéralisation Controlée des Drogues), s'attaque une nouvelle fois au non-sens de la distinction entre drogues illégales et drogues légales.)
par Vincent Noce
Libération, jeudi 19 décembre 1996
Pour la première fois en France, un fumeur victime d'un cancer demande réparation à un fabricant de cigarettes. Richard Gourlain et sa famille ont assigné, hier, la Seita devant les tribunaux. Ils lui réclament 2,7 millions de francs de dommages et intérêts. Leur défenseur est ME Francis Caballero, avocat habituel du Comité national contre le tabagisme (CNCT). Agé de 47 ans, Richard Gourlain est un fumeur invétéré de gauloises brunes depuis l'âge de 13 ans. En dix ans, il a été opéré trois fois de tumeurs aux deux poumons et d'un cancer de la langue qui a entraîné une ablation partielle de cet organe. Il a dû cesser toute activité. Aujourd'hui, il ne pèse plus que 45 kilos. Son espérance de vie est désormais très limitée. Il ne s'alimente plus qu'avec peine. La vie de la famille est devenue un enfer, explique l'avocat. Coupable tout désigné: la gauloise. Reste que le dossier dont s'est saisi Me Caballero est paradoxal. Car Richard Gourlain est un authentique accro. Après son premier cancer du poumon, il a co
ntinué à fumer. Sur son lit d'hôpital, après avoir subi une ablation partielle de la langue, l'extraction d'un bout de mâchoire et une trachéotomie, il faisait signe à ses enfants qu'il aurait bien voulu s'en griller une. Voilà bien la preuve que le tabac est une drogue, une drogue dure dont on ne se sépare pas facilement, et une drogue qui tue, dit en substance l'avocat des Gourlain. Et de citer un document de l'Organisation mondiale de la santé estimant que la nicotine est une substance susceptible d'engendrer une dépendance aussi forte que la morphine. La Seita est responsable, assure Me Caballero. D'abord qu'elle n'informe pas le consommateur des graves dangers qu'il court en consommant ses produits. Alors que le lien entre tabagisme et cancer est mis en évidence depuis les années 50, ce n'est qu'à partir de 1976 que l'industrie du tabac, forcée par la loi Veil, a apposé des avertissements sanitaires sur les paquets. Mais surtout, Me Caballero se fonde sur une jurisprudence qui considère le fabricant com
me responsable si son produit s'avère structurellement dangereux. Par exemple, si des bonbonnes à gaz explosent, la responsabilité du fabricant peut être retenue. Or, souligne l'avocat, la cigarette est structurellement dangereuse. Son caractère cancérigène ne fait aujourd'hui plus de doute, et la nicotine entraîne une dépendance très forte. Enfin, Me Caballero s'indigne du cynisme professé par le PDG de la Seita: Jean-Dominique Comolli a souligné que le tabac pourrait contribuer... à l'économie de retraites non versées et ainsi rapporter à la collectivité plus qu'il n'encoûte(1). Aux Etats-Unis, l'industrie du tabac a déjà eu à faire face à de multiples actions similaires venant de victimes de la cigarette, qui se sont soldées de manières très inégales, selon les cas et les Etats. En France, cette première, quelle que soit son issue juridique, permettra peut-être de rappeler les risques encourus par les fumeurs.
(1) La Tribune du 16 décembre.
(* La Seita est la Régie qui détient le monopole de la production et de la distribution du tabac en France.)