LA CHASSE AU CANNABIS BAT SON PLEIN
Six mois ferme requis contre le président du Circ pour lopération Chanvre des députés.
Libération, Jeudi 26 Mars 1998
Pour la énième fois, aux dires du procureur Pagès de la XlVe chambre correctionnelle de Paris, Jean-Pierre Galland a décliné hier les raisons de son engagement. Président du Centre d'information et de recherche cannabique (Circ), l'habitué des tribunaux comparaissait pour avoir acquis, détenu, transporté, offert ou cédé, provoqué à l'usage et présenté sous un jour favorable sa substance préférée: le cannabis. C'était le 10 décembre 1997. Avec plusieurs membres du Circ, l'écrivain avait expédié un pétard aux 577 députés de l'Assemblée nationale. Joint assorti d'un livre (1), présenté comme une analyse de la prohibition. But de l'opération Chanvre des députés: provoquer un débat sur la drogue, déjà ouvert dans la société.
Mais, sur les 577 destinataires, onze n'ont pas apprécié du tout. Comme Charles-Amédée de Courson (UDF-FD), qui, à la barre, lache: "La provocation était inacceptable. Mon sang n'a fait qu'un tour. Alors, nous nous sommes regroupé spour nous cotiser et sélectionner un avocat." D'où les poursuites lancées par le parquet à l'encontre de Galland, sur plaintes des députés, tous de droite.
Hier, le procès du Circ ne ressemblait pas aux précédents. Cette fois, le tribunal prend son temps. Galland peut entrer dans les détails. Plusieurs témoins sont entendus, hormis Patrick Braouezec (PCF), arrivé trop tard, ou Noël Mamère (Verts), absent. Et, ici ou là, le débat effleure la loi de 1970 qui interdit à quiconque de présenter sous un jour favorable toute substance illicite. Une loi jugée auto-bloquante par différentes associations, et contre laquelle s'est précisément constitué hier un collectif réclamant son abrogation, avec, entre autres, le Circ, les Verts, Act Up, la Ligue des Droits de l'Homme. Une loi de plus en plus contestée, puisque même Jean-Pierre Michel, secrétaire national du Mouvement des citoyens, présidé par le ministre de l'Intérieur, a déposé mardi une proposition de loi pour l'abroger. Les Verts doivent faire de même aujourdhui.
Ce sont d'abord les préparatifs de l'opération Chanvre des députés qui intéressent la présidente du tribunal, Jeannine Drai. Galland s'exécute: les 250 grammes d'herbe nécessaires à la confection des 577 pétards ont été donnés par une quarantaine de producteurs de toute la France. Du black domina, précise-t-il, avant d'ajouter: l'herbe provenait des feuilles et non des fleurs. Parce qu'on ne voulait pas que ce soit trop fort, trop violent. Pourquoi?, demande la Présidente. Pour éviter qu'un député qui n'aurait jamais fumé ne se retrouve dans une position gênante. La présidente: Comment pouviez-vous en être sûr? Galland: Nous l'avons goûtée nous-mêmes. Nous n'aurions jamais envoyé le pétard sans le livre, rappelle le fondateur du Circ. Le joint, c'était pour marquer le coup. Symboliquement. Ce que nous avons commis est un acte politique, pas un acte de droit commun. Sur les bancs des parties civiles, on hausse les épaules. Comme le responsable du Comité national antidrogue, ou le député Courson, un oeil sur s
a montre, l'autre sur son discours préparé pour l'occasion, et qui s'en tient à une idée: l'action du Circ constitue une atteinte au pacte républicain. Les lois de la République doivent être respectées sinon il n'y a plus de République. A l'opposé, deux députés européens du Parti radical italien fustigent la législation criminogène en vigueur en France. Yann Gallut (PS) en demande la révision. Mais, à 19 heures, Bernard Pagès a la réquisition lourde: dix huit mois de prison dont douze avec sursis. Les députés se contenteraient, eux, d'un franc de dommages et intérêts. Le jugement est fixé au 6 mai, mais, pour Galland, pas de répit. Dès aujourd'hui, il est à nouveau cité à comparaître, pour maintien de manifestation interdite, celle du 18 joint en 1997. Un rassemblement de soutien est prévu à 18 heures, devant le Palais de justice de Paris.
DAVID DUFRESNE
(1) Lettre au législateur, éditions Esprit frappeur.