CONGRES DE LA CORA DES 5,6 ET 7 JUIN 1998: LE PROHIBITIONNISME SUR LES DROGUES EST UN CRIME
VENDREDI 5 JUIN (ASSEMBLEE NATIONALE, SALLE VICTOR HUGO)
Jean-Luc BENHAMIAS (Secrétaire Général des Verts, France)
Je n'interviendrai pas sur les déclarations de Monsieur Boureyquat, ma couverture policière et politique n'est pas suffisante pour m'affronter, après des déclarations de ce style, à monsieur Pasqua. Je ne peux pas être plus clair. Monsieur Boureyquat fait donc les déclarations qu'il entend, il les déclare aux Etats-Unis comme il l'entend mais, par rapport à cela, je ne dirai rien. Nous en sommes bien, aujourdhui, à ce niveau de tabou et d'hypocrisie dans le domaine et j'y reviendrai, mais pas à propos des déclarations de monsieur Boureyquat. Pour l'instant, je n'ai strictement rien à en dire. Par contre, ce que j'ai à dire, c'est que je salue l'initiative de la CORA de faire enfin un débat sur l'antiprohibition en France. Mais, on se connaît ici avec un certain nombre de gens dans la salle et on sait aussi le peu de courage politique existant en France par rapport au débat sur la toxicomanie. Et depuis plus de dix ans, les choses n'avancent pas. L'hypocrisie est toujours aussi totale. On est toujours dans ce
cadre-là, même si le débat a lieu à l'Assemblée. Où sont les parlementaires français pour débattre ici, avec nous, de la prohibition ou de l'antiprohibition? Il n'y en a pas et ce n'est pas nouveau. Si monsieur Jean-François Hory, député européen, a lui le courage depuis quelques années d'intervenir sur ce sujet, sur la toxicomanie en général, sur la prohibition ou l'antiprohibition, sur le territoire français, dès que l'on passe à ce débat-là, tout le monde fuit. Chaque fois, je dois le dire, je me retrouve, ou les Verts se retrouvent, à parler seuls de ce sujet-là. Nous en avons grandement assez. Dès lors, il est plus qu'intéressant, qu'aujourdhui, dans la cadre de l'Assemblée Nationale, même sans députés français, cette question-là soit débattue. Il faudra bien qu'à un moment donné, par rapport à l'Europe que nous aimons construire et que nous construisons, le tabou cesse et que l'hypocrisie générale cesse. Ce débat avance grandement, heureusement, dans de nombreux pays européens. En France, on reste tou
jours sur un débat souterrain, tabou. Ce qui intéresse les Verts dans cette politique-là, c'est le débat sur la santé publique. Et on le voit, la prohibition est un phénomène criminel qui, en France, a abouti depuis plusieurs dizaines d'années à ce que la toxicomanie amène à l'assassinat - je grossis un peu les mots - de plusieurs centaines, de plusieurs milliers de personnes. Je pense aux héroïnomanes, qu'ils meurent par overdose ou qu'ils meurent parce qu'ils ont été touchés par le virus du sida. Je crois que, sur ce point, le débat est de fond et pourtant, même à ce stade, il est difficile dans la société française. Donc, si en plus, on le pose à partir du problème de savoir si, pour lindividu, prendre telle ou telle drogue ou pas, est un droit, on peut dire que ce débat-là, en France, on en est extrêmement loin. Dès que je dis cela, je passe déjà au-delà du cadre de la loi, je suis déjà dans le cadre du L630 et je n'ai pas le droit d'en parler. Donc, j'en parle, nous en parlons, mais, déjà, on est en deh
ors du cadre de la loi française. On est donc bien dans un cadre de débat qui est essentiel du point de vue de la santé publique. Alors... heureusement, depuis deux ou trois ans, les choses au niveau médical, au niveau du suivi, au niveau des équipes de soins - éducateurs, docteurs - ont fait de gros progrès grâce à certaines associations comme Médecins du Monde et quelques autres. Mais tout cela se fait en souterrain. On n'a pas le droit de dire en France, qu'effectivement, les produits de substitution sont maintenant, depuis quelques années, de pratique courante. Tout le monde aujourd'hui connaît l'histoire d'un lieu d'accueil dans le X arrondissement de Paris où l'on narrive pas à ouvrir de manière normale une boutique d'accueil de toxicomanes. Immédiatement, préfet compris, on laisse des opposants venir devant pour empêcher qu'un lien social, que l'on trouve dans de nombreux pays européens et ailleurs, qu'un minimum de lien social, qu'un minimum d'écoute soit faite. Cette chose-là n'existe pas en France.
Regardez un peu le retard accumulé. C'est cela qui est criminel, c'est là qu'il y a, et je schématise, assassinat. C'est donc pour cela que l'on doit maintenant accélérer les choses. Je crois que les équipes médicales, les éducateurs et autres ont, pour leur part, fait des progrès. On doit maintenant accélérer le débat de fond dans la société et le débat politique. Regardez où nous en sommes! Dimanche, nous appelons à une manifestation et le titre de la manifestation c'est: légalisez le débat. Quel retard! Dans combien de pays européens aujourd'hui est-on obligé, pour déposer une manifestation, de rester sur un titre qui est légalisez le débat? Et cette année, nous avons de la chance! Légalisez le débat, c'est déposé par les Verts, le Syndicat de la Magistrature, la Ligue des Droits de l'homme, la fédération des associations AIDES et la manifestation est autorisée. L'an dernier, à peu près sur les mêmes caractéristiques, la manifestation avait été interdite et poursuivie après par procès. Le résultat, c'est
que nous sommes coupables mais condamnés à rien. Il y a des juges intelligents en France et on peut parfois, même souvent, faire confiance à la justice de notre pays. C'est ainsi et c'est tant mieux! Mais je le dis, il faut être capable -et les Verts l'ont déclaré depuis longtemps - de dire publiquement que nous sommes des antiprohibitionnistes convaincus, que nous sommes pour la légalisation de toutes les drogues, je dis bien la légalisation de toutes les drogues. Nous l'avons dit publiquement, noir sur blanc pendant les élections présidentielles avec Dominique Voynet. Mais le tabou est tellement fort que cela ne suscitait même pas de débat. On n'osait même pas en parler, dire que c'était fait, dire que c'était écrit. Le débat n'avait pas lieu. On est donc bien obligé, aujourd'hui, d'ouvrir largement le débat. Les choses avancent lentement, très lentement mais elles avancent et j'ai d'ailleurs déjà parlé d'un certain nombre d'associations qui avaient signé l'appel à la manifestation de dimanche.
Maintenant, sur le fond, quand on parle de légalisation de toutes les drogues, ce n'est pas pour que l'ensemble de la population française, résidents français ou résidents étrangers, se droguent partout et tout le temps. Il s'agit plutôt d'un débat de santé publique pour que l'ensemble des citoyens de ce pays soient informés sur les dangers de tel ou tel produit. Car aujourd'hui, où en sommes-nous? Nous n'avons pas le droit d'informer sur les dangers de tel ou tel produit, sur les effets de tel ou tel produit. On sait aussi, et vous le savez aussi bien que moi, que les effets de tel ou tel produit sont différents selon chaque être humain. On n'a pas le droit de parler de tout cela. On ne peut pas définir publiquement quels sont les effets produits par tel ou tel produit dopant, qu'il soit d'ailleurs légal ou illégal.
Quand on parle de légalisation, on parle bien de légalisation contrôlée, médicalement contrôlée et socialement contrôlée. Je m'explique... je ne parle évidemment pas de la marijuana et de ses dérivés. Mais en France, ce débat fait déjà pousser des hauts cris... Comment! Vous voulez que tous vos enfants se droguent, vous voulez que dans les lycées la vente de haschisch se fasse partout!. Tout cela est absolument ahurissant et scandaleux quand on connaît le nombre de milliers et de centaines de milliers de personnes qui utilisent, de manière extrêmement ludique et extrêmement contrôlée par eux-mêmes, tous les produits dérivant de la marijuana. Donc, même à ce niveau, on est dans un débat de fous. La Belgique vient d'avancer, on connaît depuis longtemps la position de la Hollande par rapport à cela et d'autres pays ont fait des grandes avancées. Part contre, en France, nous sommes dans un débat de fous puisque même des commissions initiées par l'Etat sont arrivées à des conclusions tout à fait intéressantes, lu
cides, pragmatiques, extrêmement réalistes sur la question mais cela ne suffit pas. Au niveau des politiques, il y a ce tabou et cette hypocrisie et, souvent, faute de débat, une ignorance concrète de ce que sont exactement les produits tellement le débat n'a pas lieu. De cette ignorance, on passe donc après à l'hypocrise. L'hypocrisie, c'est - et d'autres intervenants en ont parlé mieux que moi, aussi bien au niveau international qu'au niveau français, que ce soit aussi monsieur Boureyquat - qu'il y a des liaisons évidemment importantes entre le monde de l'économie, de la finance et le monde de la drogue. C'est une évidence! Tout cela, toutes ces liaisons-là, on n'a pas le droit d'en parler et cela aboutit, parfois - si ce que dit monsieur Boureyquat est vrai - à des gens qui sont maintenant assignés à résidence - je le dis comme cela- aux Etats-Unis.
Tout cela aboutit à quoi? Cela aboutit à la diabolisation générale. Jean-Luc Benhamias, en tant que Secrétaire National des Verts, s'exprime sur ces sujets, tout va bien! D'autres chez les Verts le font aussi. Mais on le voit bien, nos propres députés qui sont dans ce lieu ont du mal, par rapport à leurs électeurs, dans leur circonscription, à pouvoir dire clairement, à définir clairement qu'ils sont bien d'accord avec la ligne proposée par les Verts de légalisation contrôlée de toutes les drogues. Car dès qu'ils disent cela, la diabolisation est immédiate, les titres de la presse régionale seraient immédiats... Monsieur Hascoët, Madame Aubert, Monsieur Cochet ou Monsieur Mamère, pour ne citer qu'eux, seraient localement titrés comme des dealers parce qu'immédiatement on passe au deal évidemment. On en est donc bien à ce stade de diabolisation maximale de tout débat politique en France sur la toxicomanie. C'est extrêmement dangereux parce que le cadre de la santé publique dans lequel on doit être, le cadre d
es différentes propositions qui doivent être faites, notamment médicalement faites par rapport aux toxicomanies dures - héroïne, crack et j'en passe - ne peut pas être produit en France de manière correcte et concrète. On ne peut pas former suffisamment de personnes, parce que tout cela est un sujet effectivement totalement tabou. On ne peut pas concrètement passer au soin ou à l'écoute d'un certain nombre de toxicomanes qui ont une demande extrêmement forte mais qui ne trouvent pas les lieux. Donc, de cette situation, on voit assez mal les issues aujourd'hui, même si, il faut le dire, la façon dont le ministre de la santé Bernard Kouchner s'y prend aujourdhui, est une méthode que l'on peut juger trop lente mais une réelle méthode de faire avancer, dans le cadre de la santé publique, un certain nombre de politiques de soins. Et je salue quand-même la rapidité, ou les lenteurs, de Monsieur Kouchner parce que, pour l'ensemble des ministres de la santé qui ont essayé de toucher à ce sujet tabou - je pense à Mad
ame Weil, je pense à Madame Barzach ou à Monsieur Schwarzenberg qui n'avait tenu que neuf jours - on peut remarquer qu'ils ont été immédiatement touchés par le côté diabolisation. Immédiatement on leur a dit de se taire. Certains sont partis immédiatement et d'autres ont disparu de la politique. Madame Barzac, par exemple. Dès qu'elle a proposé - vous vous rendez compte de la proposition - les échanges de seringues, alors que c'était un sujet qui paraissait absolument normal pour l'ensemble des citoyens européens, en France, il apparaissait immédiatement comme étant une proposition à l'ensemble de nos jeunes, à la jeunesse française de se droguer jour après jour. Tout cela est considérablement grave et a abouti à ce que je disais tantôt, à savoir, au fait que des milliers de personnes en France n'ont pas été soignées à temps, n'ont pas été informées à temps. On doit mener en France une politique de prévention des risques réelle. Et, aujourd'hui, cette politique de prévention des risques, à cause du L.630, à
cause de la loi de 1970 ne peut pas être menée car rien que de mener une politique de prévention des risques, c'est informer sur les effets des produits dopants et informer sur les effets des produits dopants c'est immédiatement faire du prosélytisme et donc on tombe sous le coup de la loi et on peut être attaqué, même si on est médecin, par cette même loi qui donc interdit toute information nécessaire. Ceci n'empêche cependant pas que les Verts prennent leur responsabilité par rapport à cela, le disent publiquement, concrètement, le disent de manière sereine, disent que la prohibition aujourd'hui est une prohibition criminelle et qu'une réelle politique antiprohibitionniste, une réelle politique de santé publique est extrêmement nécessaire et que, pour cela, il n'y a aucun sujet tabou. On doit pouvoir discuter de tout, parler de tout, on doit pouvoir légaliser tous les produits et, après, on verra comment on met sous contrôle, quel qu'il soit, l'ensemble des produits que l'on aura légalisés. Mais c'est ains
i que l'on prend et que l'on parle à des gens adultes. Bien évidemment, tous ces produits, s'ils sont légalisés, seront interdits aux moins de 18 ans comme l'alcool et le tabac.
Merci.