Bruxelles 4 juillet 19951. C'est un grand plaisir pour moi de vous rencontrer à cette occasion, et je me réjouis du fait que cette réunion ait été organisée suffisamment tôt depuis la prise de fonction du nouveau Collège.
J'ai aussi le plaisir de vous rencontrer en bonne compagnie: celle de Bernard Kouchner, un ami personnel et un ami de l'Europe solidaire, pour laquelle il n'a jamais ménagé les efforts en tant que citoyen, politicien, ministre, parlementaire et dernièrement Président de la Commission Développement du PE. On va, d'ici quelques instants, aborder le thème principal de notre intervention conjointe: celui de l'aide humanitaire.
2. Permettez-moi, avant cela, de vous adresser quelques mots au sujet de mon autre responsabilité de politique extérieure: celle des négociations Pêche.
Certains d'entre vous, qui ont du me prêter leur assistance jour et nuit (je pense à John Beck, lors de la crise avec le Canada); ou qui ont déjà eu le plaisir (douteux) de me voir arriver "en catastrophe" chez eux - comme Marc Pierini et Angel Viñas - auront expérimenté ces derniers mois quel degré d'émotion et de conflictualité peut être atteint dans le cadre de ces négociations. Il s'agit là d'intérêts typiques et topiques, souvent régionalisés; et pourtant toujours défendus avec acharnement, même si dans la plupart des cas les rapports de force économiques plaideraient pour une marginalisation relative et sans appel.
Le message que j'aimerais vous donner à cet égard est simple et clair: l'Union a des intérêts important dans ce secteur, partout dans le monde où sa flotte de haute mer est présente: de la Norvège à l'Afrique du Sud; de l'Argentine aux Seychelles.
Il m'appartient - et il vous appartient - de les défendre, sans ambiguïté.
3. Cela dit, nous savons tous qu'il s'agit d'un secteur économique dont la ressource primaire - le poisson - a atteint un seuil très critique de raréfaction un peu partout. Ce n'est pas votre Commissaire qui le dit, mais les experts de la FAO. Inutile de revenir sur les responsabilités historiques et sur les causes de cette défaillance (mondiale) des politiques de gestion des stocks.
Ce qui importe, c'est que dans ce secteur comme ailleurs, une politique de défense aveugle des intérêts n'est pas soutenable. Il faut aussi défendre des principes; et dans la pêche aucune position n'est crédible, si elle n'inclût pas un élément et un engagement ferme en faveur d'une conservation rationnelle des ressources. Je tacherai de sensibiliser davantage mes interlocuteurs européens à cette problématique; et je serai toujours attentive aux propos de nos partenaires des Pays tiers à cet égard.
Il est important que ce message soit relayé par vos soins à chaque occasion utile, et que cette association entre intérêts économiques et principes de conservation puisse être présentée comme un ensemble, cohérent et défendable.
4. J'en viens au sujet principal de cette séance, à savoir l'aide humanitaire européenne, ses problèmes et ses perspectives.
Il s'agit là d'un domaine qui a suivi, au cours de ces dernières années, (particulièrement en Afrique et en Europe centrale et orientale) une évolution majeure. Entre 1991 et 1994, les ressources déployées par la Commission pour financer des actions humanitaires ont plus que septuplés, pour faire face à l'accroissement des catastrophes humanitaires dans le monde.
Par ailleurs, en raison d'une part de phénomènes de rupture des programme de coopération économique, et d'autre part de l'impossibilité à mettre en oeuvre des actions de développement ou de reconstruction dans le cadre de situations de conflit, l'action humanitaire a souvent pris le relais d'autres instruments financiers, afin d'apporter une assistance minimale et nécessaire aux populations affectées.
5. Au delà de l'exigence d'une adéquation des ressources aux besoins (toujours croissants), il est important de rappeler que le cadre géopolitique de conflictualité diffuse au niveau régional, que nous avons hérité depuis la fin de l'équilibre bipolaire, nous met au fil des jours face à de nouveaux problèmes et contraintes. Qui aurait pu imaginer, il y a quelques années seulement, que la Communauté internationale aurait à soutenir plus de 20 millions de déplacés et réfugiés ? Et qu'il aurait fallu se saisir de problèmes relatifs à la sécurité des camps de réfugiés ?
Je ne voudrais pas cependant, par cela, dresser un tableau pessimiste de l'action que nous menons. L'aide humanitaire est, dans une Europe qui a parfois aujourd'hui des élans de nationalisme aigu, l'expression de l'image d'une Europe solidaire et porteuse d'espoir, qui est déployée aux quatre coins du monde - comme le montrent les interventions de ECHO dans plus de 60 pays en 1994.
6. Parmi les caractéristiques fondamentales de l'aide humanitaire, il y a le caractère neutre et impartial de sa mise en oeuvre, et la non discrimination des victimes. Ces critères, dont l'application n'est pas toujours aisée, représentent un aquis de principe fondamental, qui relève de l'essence même de l'aide humanitaire. Sur ce point, la position de la Commission a toujours été claire et ferme, et il vous appartient, en tant que représentants de la Commission, de l'appuyer en toutes circonstances, quel que soit le pays où vous êtes et les difficultés que vous pourriez rencontrer.
7. Votre aide est également indispensable pour rehausser le profil de notre action. A l'effort de solidarité à l'égard des populations et à la croissance de l'aide humanitaire communautaire, ne correspond toujours pas une image à la hauteur de ce qui est accompli. Cela concerne aussi bien l'opinion publique européenne, que les populations des Pays tiers bénéficiaires. Il y a là ce que j'appelle un déficit de visibilité que, pour des raisons évidentes, il va falloir tous ensemble, progressivement combler. Combler à la fois pour faire reconnaître une évidence dans un but d'information démocratique, mais aussi pour réanimer l'opinion européenne vers un élan et un effort de solidarité qui - je crains - a tendance, vu la pérennité des crises, à s'essouffler. La fatigue des donateurs, qui affecte depuis longtemps la politique de développement, est aussi déjà perceptible dans les débats courants au sujet de l'efficacité et des effets "pervers" de l'aide humanitaire.
8. Cela dit, l'aide humanitaire ne peut pas se substituer à la solution des crises. Elle doit demeurer une action transitoire et d'émergence, visant à réduire et à atténuer les souffrances des populations affectées par des catastrophes ou des conflits. La solution de ces crises reste par contre fonction de mesures de prévention (diplomatie préventive, ou autre), ou bien d'intervention politique et militaire: hélas, en l'état actuel, les efforts dans cette direction n'ont pas encore atteint une dimension et un engagement suffisants, que ce soit au niveau communautaire ou international (ONU). C'est pourquoi il est important que l'Union se dote rapidement d'une politique extérieure et de sécurité commune efficace et digne de ce nom. Je souhaite que les débats de la prochaine Conférence intergouvernementale aboutissent au moins à donner à ce volet de la politique extérieure l'importance qui lui revient.
9. Avant d'entamer, avec Bernard Kouchner, un débat de fond sur le thème de l'aide humanitaire, je souhaite vous faire part d'une préoccupation ultérieure. La gravité, la durabilité ou l'éclosion de nouvelles crises ont fait que, au bout de 6 mois en 1995, les ressources prevues dans le budget pour l'aide humanitaire ont été virtuellement épuisées; et aucun renforcement supplémentaire n'est attendu à partir des fonds de la Convention de Lomé pour les ACP, suite à l'accord (péniblement atteint à Cannes) sur le 8ème FED.
La procédure pour une mobilisation partielle de la réserve a déjà été engagée: si le "trilogue" avec les autorités budgétaires (Conseil/PE) est mis en oeuvre correctement, ECHO devrait pouvoir disposer dans les prochaines semaines de ressources additionnelles.
D'ici-là, j'espère que le monde ne se portera pas plus mal, car la Commission ne sera pas en mesure d'assurer ses engagements envers les victimes!