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Conferenza Emma Bonino
Partito Radicale Maurizio - 17 luglio 1995
Intervention de Mme BONINO - CONSEIL AFFAIRES GENERALES, 17
JUILLET 1995 - BOSNIA

Monsieur le Président,

je reviens, comme vous le savez, d'une mission à Tuzla, où je me

suis rendue samedi - grâce à l'appui logistique de la FORPRONU -

afin de vérifier sur le terrain l'assistance aux déplacés ayant

fui Srebrenica; d'évaluer les besoins courants et potentiels de

ceux-ci; ainsi que pour faire le point avec les représentants des

organisations internationales et des ONGs - dont les opérations

humanitaires dépendent dans une large mesure des financements de

l'Union. J'ai pu donc rencontrer sur place les responsables du

HCR, du PAM, de l'IMG (International Management Group), du CICR,

de l'UNICEF ainsi que de MSF, et autres ONGs. Un entretien a

également eu lieu avec les responsables de la ville de Tuzla et

le Gouvernement fédéral.

1. J'ai visité en long et en large les camps de réfugiés

improvisés tout au long de la piste de l'aéroport de Tuzla, où se

trouve une population d'environ 5000 femmes et enfants. Bien que

du point de vue alimentaire, ces réfugiés soient généralement

bien assistés, on a dû constater les conditions précaires dans

lesquelles ils se trouvent: les tentes ne sont pas les mieux

adaptées pour la chaleur propre à la saison, ni pour faire face

aux pluies torrentielles qui, de temps en temps, s'abattent sur

les camps.

Il existe évidemment aussi une carence importante de services

hygiéniques, et tout porte à espérer que ces camps puissent être

considérés comme une phase transitoire en vue d'un logement de

ces déplacés, dans les meilleures conditions possibles, ailleurs

dans la région de Tuzla, avec la collaboration du Gouvernement

local.

Un point important à souligner est celui que l'aéroport de Tuzla

est entouré de mines, ce qui est une source de préocupation

majeure, notamment en ce qui concerne la sécurité des enfants. Le

HCR à juste titre voudrait voir, à cause de cela, cette

population transférée le plus vite possible.

2. La réunion qui a eu lieu avec les Autorités de

Bosnie-Herzegovine a compté avec la présence du Gouverneur du

Canton de Tuzla, M. Hadzic, du responsable des finances du

Canton, M. Kikanavic, du Ministre Fédéral M. Zigic, ainsi que du

Ministre Fédéral chargé des réfugiés, M. Cero.

Le Gouvernement bosniaque a insisté, tel qu'il était prévisible,

sur le fait que les Nations Unies n'ont pas rempli leur mandat à

Srebrenica et que les conséquences en sont lourdes du point de

vue des déplacés. Selon le Gouvernement, on est en train

d'assister à Srebrenica à des massacres collectifs après avoir

assisté à des séparations de familles, et l'on continue à faire

état d'un nombre très important de disparus ( 15.000).

Les responsables bosniaques ont également insisté sur le fait

que l'arrivée d'une population de 23.468 réfugiés supplémentaires

constitue un fardeau très lourd pour le Canton de Tuzla et pour

le Gouvernement Fédéral, et qu'il revient à la communauté

internationale de supporter ce fardeau, en tenant compte du fait

que ces réfugiés étaient déjà sous protection des Nations Unies.

Le Gouvernement a par ailleurs annoncé que, lors de la réunion

du 19 juillet à Genève, au cours de laquelle sera examiné l'appel

lancé par les agences des Nations Unies en vue de la poursuite

des activités humanitaires en ex-Yougoslavie, il présentera le

détail de ses demandes spécifiques pour Tuzla. (ils chiffrent à

15 millions de DM par semaine les besoins financier liés à

l'intégration des déplacés dans le Canton).

Il faut également souligner, en ce qui concerne le Gouvernement

bosniaque, que celui-ci a fait preuve d'une attitude beaucoup

plus coopérative et efficace dans les derniers jours vis-à- vis

du problème des réfugiés en provenance de Srebrenica. Déjà dans

la nuit du 14 au 15 juillet, 11.000 réfugiés ont été relogés dans

la région de Tuzla, notamment dans des centres collectifs pourvus

par le Gouvernement.

Personne ne semble croire à un éventuel retour de cette

population à Srebrenica. En effet, cette population était déjà

constituée de réfugiés non originaires de la ville, et les

responsables bosniaques semblent avoir pris acte du fait qu'ils

ne seront jamais disposés à y retourner.

3. Estimation de la population concernée

Tout le monde s'accorde à dire que la population de Srebrenica

était sur-estimée, le chiffre de 42.000 personnes (à savoir: le

chiffre de référence pour les rations alimentaires distribuées

par le HCR sur place) n'étant pas réaliste. Cependant, le chiffre

de 25.000 personnes, avancé par les serbo-bosniaques, est tout

aussi peu réaliste. Les renseignements les plus fiables,

recueillis auprès des différentes agences et confirmés par le

Département des Affaires Civiles de la FORPRONU, font état d'une

estimation raisonnable de 35 à 38.000 habitants au moment de

l'assaut Serbe.

Tout en tenant compte des réfugiés qui ont été transférés dans

des centres collectifs, des réfugiés actuellement abrités à

l'aéroport (5.100 personnes) et des habitants de Srebrenica que

l'on peut considérer dispersés par leurs propres moyens, toutes

ces sources indiquent qu'il y aurait donc entre 12 et 15.000

personnes dont on ne connaît pas le sort.

La plus grande préoccupation concerne fondamentalement 4.000

hommes et jeunes gens qui seraient emprisonnés dans un stade de

football. La FORPRONU estime vraisemblable que entre 10 et 12.000

personnes aient pu trouver la mort durant ou après la prise de

l'enclave: mais, en définitive, il n'y a pas de témoignage direct

de ce qui est en train de se passer, étant donné que ni le HCR,

ni le CICR, ni la FORPRONU n'ont été en contact direct avec cette

population, car les Autorités de Pale ne les y ont pas

autorisés.Il existe un seul témoignage clair, au sujet d'un

convoi de 4 camions bondés d'hommes et de jeunes sortis de

Srebrenica et qui n'est jamais arrivé à Tuzla. Les plus grandes

inquiétudes existent vis-à-vis de ces personnes.

4. Situation humanitaire

Tous nos interlocuteurs à Tuzla ont souligné l'attitude très

disciplinée des réfugiés, ainsi que l'absence de problèmes

humanitaires intraitables, bien qu'il existe un manque de

baby-food et quelques problèmes médicaux (diarrhées,

déshydratations, problèmes dermatologiques dûs à la chaleur) qui

semblent, en tout cas, maîtrisables rapidement.

Il est important de concentrer l'attention, du point de vue

humanitaire, sur le haut pourcentage d'enfants en bas âge (moins

de 3 ans) présent dans cette population. UNICEF fait à cet égard

un travail remarquable et met en oeuvre tous les efforts

nécessaires pour prendre soin de tous ces enfants.

Un problème semble se poser, par contre, au niveau de la

coordination sur place de l'assistance humanitaire, malgré le

fait que les organisations internationales et les ONG gardent un

grand esprit de collaboration entre elles. Les effectifs du HCR à

Tuzla sont très réduits et devraient, par conséquent, être

augmentés, ce qui sera probablement fait suite à la visite de

Madame Ogata a Tuzla aujourd'hui.

Des problèmes ont également été signalés en ce qui concerne le

matériel d'hygiène et il est important de pouvoir les résoudre de

façon urgente. Le CICR, pour sa part concentre ses efforts sur la

tâche d'obtenir, de la part des déplacés arrivant à Tuzla, toute

information possible sur le nombre et l'identité des personnes

restées à Srebrenica, le but étant de constituer, aussitôt que

possible, des listes des personnes ayant été faites prisonnières,

de façon à pouvoir suivre activement leur sort et afin d'exercer

le mandat de protection garanti par les conventions

internationales.

Le CICR a signalé à cet égard qu'il n'avait pu, jusqu'à

dimanche,obtenir aucune permission ni collaboration de la part

des Autorités serbes pour essayer de mener à bien son mandat à

Srebrenica, malgré les pressions exercées au plus haut niveau,

tant à Belgrade qu'à Pale.

Je me réjouis du fait que cette situation semble se débloquer,

même si j'ai perçu une inquiétude tangible des responsables du

CICR en ce qui concerne les possibilités réelles d'accès libre et

non limité au prisonniers et au théâtre de Srebrenica. Ils

craignent une invitation à participer à une "visite guidée" (par

les autorités de Pale) des lieux en question.

5. Zepa et Goradze

Toutes les organisations internationales ainsi que les ONG ont

exprimé une préoccupation majeure en ce qui concerne ces deux

enclaves. Bien que la population de Zepa soit elle aussi

surestimée par les bosniaques, celle-ci atteint sans doute un

minimum de 8000 personnes. La population de Goradze est beaucoup

plus importante (60.000 habitants). Une répétition des événements

de Srebrenica à Zepa et surtout à Goradze aurait logiquement des

conséquences très graves sur le nombre de réfugiés à assister, et

en général sur l'ampleur de la problématique humanitaire dans la

région de Tuzla. Des plans semblent exister pour éventuellement

diriger tout nouvel afflux de réfugiés vers Zenica.

6. Conclusions

1. Du point de vue humanitaire, la situation semble être sous

contrôle:

- Grâce à une concertation rapide et efficace de tous les

acteurs humanitaires, on a pu faire face de façon irréprochable

aux besoins de première assistance. Aucun des "pipelines" de

secours (food, médicale, etc.) ne pose pour l'instant de

problèmes majeurs. La Commission reste en contact étroit avec les

organisations internationales et les ONG sur place afin de

prendre toutes les mesures nécessaires pour pouvoir faire face

aux besoins à court et à moyen terme. ECHO est prêt par ailleurs,

grâce à la disponibilité de stocks d'assistance mobilisables

rapidement dans la région, à répondre à d'autres émergences dans

les semaines à venir.

- Les réfugiés ont été en partie relogés, mais il reste un

nombre important de sans abri près de l'aéroport, logés dans des

tentes en conditions précaires. Le relogement de ceux-ci doit

constituer une priorité, en raison notamment des problèmes

pouvant être causés par les mines entourant la zone d'accueil.

- Il faudra aussi combler les lacunes existantes en ce qui

concerne notamment l'alimentation pour enfants et l'hygiène;

essayer de porter une attention particulière à la situation

psychologique et morale de ces réfugiés; et mettre en place un

système de coordination efficace des acteurs humanitaires.

2. Dans un cadre général qui est loin d'être confortant, l'Union

peut au moins se réjouir des résultats accomplis par l'action

humanitaire dans la région: nous sommes sur ce plan efficaces,

présents, et visibles, et nous affichons la marque de solidarité

de l'Union pour ces européens en détresse.

3. Une priorité absolue pour la communauté internationale tout

entière reste le sort de la population qui a été faite

prisonnière ou qui est restée à Srebrenica après l'exode. Tous

les efforts doivent être déployés afin que cette population

puisse être protégée selon les règles internationales

d'application.

4. La communauté internationale doit par ailleurs se pencher

d'une façon urgente sur le sort de Zepa et Goradze. La situation

humanitaire s'aggravera considérablement si ces enclaves

subissent le même sort que Srebrenica. Il est impératif de

décider sans tarder si toutes les conditions pour protéger cette

population sont remplies, et si l'on peut éviter la répétition

des événements de Srebrenica.

Si tel n'est pas le cas, je pense à titre personnel que la

communauté internationale et les Nations Unies devraient pouvoir

offrir à la population, notamment celle de Zepa, toute la

protection nécessaire pour sortir, sur une base volontaire, de

l'enclave et pour être conduite, dûment protégée, vers Tuzla ou

d'autres parties de la Bosnie-Herzegovine.

Il s'agirait, bien sur, d'un constat de carence difficile à

avaliser sur le plan des principes et difficile à accepter

politiquement pour les autorités bosniaques. Mais ce serait

encore le moindre des maux, face aux risques de nouveaux

massacres intolérables; de nouveaux exodes bibliques; de

nouvelles émergences affrontées en catastrophe et à des coûts

exorbitants; et - "last but not least" - de nouvelles images

percutantes de souffrance injuste, qui ont déjà beaucoup coûté à

l'Union en terme de soutien et confiance de l'opinion publique

européenne.

 
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