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Les Gens

Charles Josse

Emma Bonino 1er pêcheur européen

C'est un brin de femme. Charmante. Pétillante. Séduisante comme toute Italienne qui respecte le regard de l'autre. Mais elle est aussi une femme d'autorité. Emma Bonino est commissaire européen de la Pêche. Portrait.

Anticonformiste, mais légaliste. Européenne, mais intégralement Italienne. Voilà un petit bout de femme qui "botte". Mais jamais en touche. Avec son tempérament à mettre le feu aux coeurs les plus blindés, Emma Bonino n'est jamais la première à quitter le ring. Dans le combat, elle sait à merveille se servir de son sourire savant pour détrousser sur place le plus robuste des brigands de grand chemin.

Demandez donc aux plus déterminés des pêcheurs européens, les Espagnols, ce qu'ils pensent de "Madame le Commissaire" comme ils disent.

Première femme à prendre le commandement de l'Europe des pêches, elle a été choisie par Jacques Santer, successeur de Jacques Delors à la présidence de la Commission européenne. Dotée d'un premier et maigre portefeuille, celui de l'action humanitaire, Emma l'italienne, a très vite hérité d'un autre maroquin. Plus costaud celui-là, même s'il est vrai que la pêche aussi fondamentale soit-elle pour nombre de populations côtières, n'en est pas moins une goutte d'eau dans l'océan européen.

"Avec Emma, ça va tanguer" pouvait-on lire dans la presse au moment de sa nomination. Mieux encore.

La classe, sinon machiste du moins masculine, de l'enceinte bruxelloise pouvait craindre le pire...

Ceux qui se sont plongés dans l'histoire d'Emma, y ont découvert un itinéraire fulgurant et anarchiste. Provocateur aussi dès que l'humour et la dérision ne sont pas compris par ceux-là mêmes qui étaient visés. "Je n'aime pas embêter les gens, dit-elle. Le plus important c'est de faire son boulot".

En 1984, Emma Bonino monte de toutes pièces une conférence sur le thème "Les pauvres ne se nourrissent pas de théorie". C'est à Rome. En pleine semaine sainte. Aux Etats-Unis, elle pose pour la photo attachée sur une chaise électrique. Sa façon à elle de lutter contre la peine de mort.

Emma a été formée à la "bonne" école : élève de Marco Pannelle, elle a suivi l'enseignement du maître, célèbre au Parlement européen pour ses actions spectaculaires en faveur des droits de l'homme. C'est ainsi qu'elle étonnera les huissiers du Parlement italien lorsqu'elle s'y "pointa" en salopette et en sabots. Juste pour rire. Et ça fait du bien.

Mais Emma est avant tout une femme. Et elle se battra des années durant pour la condition féminine, en particulier sur la question de l'avortement. Le nucléaire, l'aide au tiers monde seront d'autres combats qu'elle ne cessera de mener. Sans jamais lâcher le morceau. "Dès qu'on commence à céder sur un point et la situation en Bosnie nous l'enseigne chaque jour, il n'y a plus de limite. C'est la loi de la jungle." Alors se retrouver aujourd'hui à la tête d'une armada de pêcheurs plus obstinés les uns que les autres à défendre leur bout de gras ne fait pas peur à la plus pétillante des représentants de la Commission européenne.

Avec en prime cette malice calculée de laisser paraître sous un sourire charmeur juste ce qu'il faut pour convaincre de son autorité. Emma Bonino séduit, un point c'est tout et c'est déjà beaucoup.

Le 22 juillet dernier, Emma Bonino est venue inspecter les bateaux français qui pêchent en ce moment le thon blanc en Atlantique. "Madame Commissaire" a joué les anges du ciel en se faisant hélitreuiller à plus de 100 miles des côtes espagnoles (200 km) à bord du navire affrété par l'Union européenne pour surveiller la campagne de pêche. Entre ange et démon...

Eta Bonino est née en 1948 à Bra près de Turin (Italie). Elle est docteur en langues de l'Université de Milan. Elue pour la première fois député à 28 ans, elle a toujours été réélue. Elle a également été présidente du groupe parlementaire du parti radical, une formation de gauche non conformiste.

Combien de femmes à la Commission européenne ? Cinq. C'est un peu mieux qu'auparavant. Emma Bonino (Italie), Ritt Bjerregaard (Danemark), Monika Wuf Mathies (Allemagne), Anita Gradin (Suède), Edith Cresson (France).