Intervention de la Commissaire Emma BONINOMILAN * FORUM EUROPEEN
CONSOMMATEURS ET SERVICES FINANCIERS CREDIT ET CARTES DE PAIEMENT
Tout d'abord, permettez-moi de vous féliciter, représentants des consommateurs et représentants de professionnels, pour être venus participer à ce forum. Ces forums, lancés par la Commission il y a maintenant 3 ans, ont pour but essentiel de développer le dialogue entre les fournisseurs et les consommateurs. Comme vous l'avez sans doute remarqué, pour chacun des thèmes traités aujourd'hui, il y a un orateur consommateur et un orateur professionnel. Pourtant il s'agit d'un forum consommateur. Quand les professionnels organisent des forums, je n'ai pas l'impression qu'ils donnent autant la parole à leur partenaire (faut-il dire adversaire) consommateur.
De la nécessité du dialogue, je suis totalement convaincue. C'est pourquoi, ce matin, après quelques réflexions générales sur les services financiers et les consommateurs, je vous proposerai une liste que j'ai appelée "liste de progrès". J'entends par liste de progrès une série de chantiers que nous devons ouvrir rapidement pour changer un certain nombre de choses.
Comme vous le savez, je suis le Commissaire en charge de la politique des consommateurs. Je dis bien politique des consommateurs et non pas protection des consommateurs. Le consommateur n'est pas un animal en voie de disparition qui nécessite une protection particulière. Mais nous sommes dans une économie de marché, marché dans lequel se rencontrent des intervenants qui ont une puissance économique très différente. Ceci est particulièrement vrai pour le consommateur face à un établissement financier. Pour moi, politique des consommateurs signifie donc promotion des intérêts des consommateurs. C'est pourquoi, par exemple, j'attache un intérêt particulier à tout ce qui concerne l'information. Le consommateur a besoin d'information pour être acteur sur le marché. Toutes les mesures qui améliorent réellement l'information des consommateurs font partie de la promotion des intérêts des consommateurs.
Dans cette optique de promotion des intérêts des consommateurs, j'ai proposé en octobre dernier à la Commission 10 priorités en matière de consommation. Une de ces priorités sont les services financiers.
Quelques explications sur ce choix:
Les services financiers deviennent un thème majeur parmi les préoccupations des consommateurs. Ceux qui suivent depuis longtemps les publications des organisations de consommateurs le savent bien. Autrefois, il n'était question que de produits. Aujourd'hui, les services financiers, l'argent, les banques, les assurances, ont une place importante. Je remarque aussi que les associations de consommateurs publient de plus en plus de numéros spéciaux consacrés aux services financiers. Alors quatre constats pour comprendre pourquoi les services financiers sont une préoccupation majeure des consommateurs aujourd'hui:
Premier constat: les changements dans les modes de vie.
Premier changement: le consommateur fait de plus en plus d'investissements: autrefois, il était locataire de son logement; il devient maintenant propriétaire. Pour cela, il a du emprunter. La situation est la même dans le domaine des transports: le consommateur utilisait les transports en commun. Aujourd'hui, il a une voiture.
Deuxième changement: Paradoxe de nos sociétés modernes: c'est quand le consommateur a le moins de besoins (vers 50 ans) qu'il gagne le plus d'argent, qu'il a le salaire le plus élevé.
Troisième changement: Evolution démographique fondamentale: l'allongement considérable de la période de retraite et tous les problèmes de financement que cela entraîne.
Deuxième constat: Les services financiers sont de plus en plus importants dans la vie quotidienne des consommateurs. Il suffit pour s'en rendre compte de voir l'importance du poste services financiers dans le budget de n'importe quel ménage: les remboursements de crédit, les assurances et les frais bancaires, l'addition est lourde. Il n'est plus possible aujourd'hui de vivre sans compte en banque. Même un chômeur, pour recevoir ses indemnités, est dans l'obligation d'avoir un compte en banque. Il a aussi plusieurs obligations d'assurance pour son logement ou sa voiture. Le consommateur a aussi de plus en plus besoin de transférer de l'argent d'une période de sa vie à une autre. L'épargne et le crédit ont cette fonction. Il faut aussi mentionner le rôle de plus en plus important de l'assurance: combien d'assurances a, en moyenne, chaque consommateur ?
Troisième constat: les contrats entre les consommateurs et les fournisseurs de services financiers présentent plusieurs particularités. Ce sont des contrats de longue durée, souvent pour plusieurs produits et services. Les services financiers sont des services complexes, que beaucoup de consommateurs ne maîtrisent pas. Tout consommateur qui une fois dans sa vie a essayé de comparer des offres de crédit hypothécaire en sait quelque chose.
Quatrième constat: dans le domaine des services financiers pour les consommateurs, nous sommes dans une économie de l'offre. Ce sont les établissements financiers qui imposent leurs produits, leurs services, aux consommateurs. Au niveau communautaire, un exemple simple: les moyens de paiements sont très différents d'un pays à l'autre: les anglais utilisent les cartes de crédit; les français, les chèques; les belges, les virements et les allemands, l'argent liquide. Bien sûr, je simplifie mais on pourrait multiplier les exemples: chaque communauté bancaire nationale a imposé ses choix à ses consommateurs. Cette logique de l'économie de l'offre amène une réflexion plus générale en ce qui concerne les services financiers: dans l'avenir, il faudra adapter les services financiers aux besoins des consommateurs. Ce n'est pas aux consommateurs de s'adapter aux besoins des banques.
Après ces quatre constats, maintenant 7 zones de progrès, 7 domaines dans lesquels il est urgent d'agir.
Progrès n 1: l'information.
Nous sommes dans une économie de concurrence. Le consommateur doit choisir, choisir le meilleur produit financier, choisir l'assurance adaptée à ses besoins. De même, pendant le déroulement d'un contrat, il doit connaître les coûts et conditions des différentes transactions, l'évolution des taux de crédit ou les conditions d'indemnisation. Il doit aussi pouvoir faire des comparaisons.
Cette question de l'information est très importante. L'information c'est l'énergie de la concurrence. De même qu'une voiture a besoin d'essence pour rouler, la concurrence a besoin d'information pour fonctionner. L'information c'est l'énergie de la concurrence. Sans l'information, le consommateur ne peut pas choisir. Cette question de l'information est très importante dans le domaine du crédit. C'est dans cette optique qu'après le rapport sur la directive 87/102, nous allons harmoniser les modes de calcul du Taux annuel effectif global. Mais, cette logique de l'information, c'est dans tous les compartiments de services financiers qu'il faut l'appliquer.
Progrès n2: la mobilité.
Pour que le consommateur bénéficie de la concurrence, il faut qu'il soit mobile, il ne faut pas qu'il soit captif.
Les services bancaires sont de plus en plus facturés au consommateur. Tout service a un coût. Mais je trouve que l'imagination pour faire payer les consommateurs va parfois un peu trop loin. Certains établissements demandent aujourd'hui des frais pour fermeture de compte. Le consommateur ne veut plus avoir de compte dans cette banque, il doit donc payer. Ce type de mesure me semble entraver la mobilité, être une façon d'empêcher le consommateur de changer.
Dans cette optique de la mobilité, la directive sur le crédit à la consommation prévoit le remboursement anticipé des crédits, permettant ainsi au consommateur de changer d'établissement. Dans d'autres types de crédit, des dispositions du même type n'existent pas dans tous les Etats membres: le consommateur peut être prisonnier pendant vingt ans du même établissement. Certes, chaque type de crédit a ses spécificités et ses contraintes; toutefois, ma conception d'un consommateur acteur, c'est un consommateur informé et mobile qui est aussi capable de changer d'établissement.
Progrès n 3: la formation.
Les services financiers sont de plus en plus complexes, les ménages ont maintenant un budget à gérer, des décisions financières à prendre. Au delà de l'information, il y a un besoin extraordinaire de formation. J'attends donc beaucoup de la discussion de cet après-midi sur ce thème. Une fois encore, des consommateurs mieux formés permettent un marché plus efficace, c'est l'intérêt de tous. Des organisations de consommateurs et des professionnels se sont d'ailleurs lancés dans cette voix, mais il faut faire plus: les services financiers changent plus vite que les connaissances en la matière de nos concitoyens.
Progrès n4: Moyens de paiements.
Dans le domaine des moyens de paiement que le consommateur utilise tous les jours, denombreux problèmes se posent. Cet après-midi sera abordée notamment la question de perte ou de vol de carte. Cette question ne se pose pas seulement pour les cartes. Les règles, par exemple, en matière de vol de chèques dans certains pays me semblent tout-à-fait exagérées. Quand un consommateur se fait voler des formules de chèques, il doit payer quand les chèques sont utilisés par le voleur même un an après le vol et la déclaration de vol. A l'ère de l'informatique, cela est invraisemblable.
Dans certains Etats membres, ces problème ont été affrontés par voie d'une approche volontaire: je ne sais pas si c'est une solution suffisante. Toutefois, il est clair que le consommateur doit être pleinement et préalablement informé de ses responsabilités dans ce domaine.
Dans le domaine des cartes de crédit, il existe une recommandation de la Commission datant de 1988. Ce texte n'a été que partiellement appliqué. Mais, dans ce domaine, nous voyons apparaître de nouveaux développements comme les cartes prépayées, le porte-monnaie électronique ou même la cybermonnaie. Face à ces évolutions, les consommateurs réclament des directives, les professionnels veulent faire des codes de conduite...La Commission est en train de réfléchir s'il suffit de mettre à jour la veille recommandation de 1988 ou bien s'il faut prévoir d'autres instruments.
Je crois, que dans cette affaire, tout le monde à tout faux. Je n'ai pas encore vu un document intelligent sur le sujet des nouveaux moyens de paiements. J'entends par document intelligent une description des problèmes posés accompagnés d'une synthèse tenant compte des intérêts de toutes les parties, y compris les consommateurs. Je souhaite que nous réalisions rapidement tous ensemble ce travail.
Progrès n 5: les techniques de vente.
Dans le domaine des services financiers, qui vend quoi?
En Italie, on a récemment adopté une nouvelle législation sur l'usure. L'attention politique a finalement porté, grâce entr'autres à l'action des organisations de consommateurs, au marché noir du crédit à la consommation. Mais ce marché noir n'existe que parce que les règles communautaires ne sont pas appliquées en Italie. Parmi ces règles, il y a celle sur le contrôle ou l'agrément des établissements qui distribue du crédit à la consommation. C'est le problème général de la distribution des services financiers, des intermédiaires, des courtiers qui est ainsi posé. Ce n'est pas tellement, je crois personnellement, un problème de fixation du niveau du taux d'intérêt.
Autre aspect de la distribution du crédit: le surendettement.
Certains établissements, certains intermédiaires semblent ne pas tenir compte du niveau d'endettement déjà atteint par certains consommateurs. La prévention du surendettement, sujet abordé ce matin, nécessite une réflexion sur l'ensemble de la distribution du crédit.
Autre aspect des techniques de vente: les méthodes commerciales utilisées, que ce soit la publicité, la vente à domicile ou la vente à distance. Les services financiers, que ce soit banque ou assurance sont , en général, de ce point de vue moins réglementés que les autres.
Sur ce dernier point des contrats à distance, nous présenterons dans les prochains jours, une communication pour affronter les difficultés nées de l'application de la directive générale.
Progrès n6: le règlement des litiges.
La Commission a récemment adopté un plan d'action sur le règlement des litiges. Ce document que je vous engage à lire et à discuter propose l'établissement de mode non judiciaire de règlement des litiges et ouvre un débat sur les règles de fonctionnement de ces systèmes. Les services financiers ont d'ailleurs une grande expérience en ce domaine.
Nous manquons d'information sur le nombre de litiges dans l'ensemble de l'Union. Il n'y a que quelques pays où une information synthétique est établie. De ce point de vue le rapport établi chaque année en France par la banque de France pour les services financiers est tout à fait remarquable. A la lecture de ce document, il est étonnant de constater le caractère répétitif de certains litiges. Si un litige se répète fréquemment, c'est qu'il y a un problème quelque part.
Alors pourquoi ne pas rechercher les causes du problème. Bien sûr, c'est un exercice difficile, cela suppose de la part de la banque de reconnaître que son système est défectueux. Mais les réclamations sont une mine d'or pour les institutions financières. Elles leurs permettent de savoir ce qui ne va pas. Un consommateur qui se plaint devrait être remercié pour l'information qu'il apporte à l'entreprise sur ses dysfonctionnements. Mais cela suppose que l'entreprise utilise ces informations pour sa politique de qualité.
Dans le domaine des litiges il est nécessaire d'approfondir le traitement du surendettement: que se passe-t-il quand à la suite d'un accident de la vie comme le chômage, un consommateur ne peut plus rembourser ses dettes. Il y a là un problème humain que nous devons, que vous devez, traiter.
Progrès n 7: Monnaie unique.
Avec la monnaie unique, c'est une cathédrale des temps modernes que nous construisons. Quand seront mis en circulation les pièces et les billets en euros, le consommateur se rendra compte tous les jours de l'existence de l'Europe. Il aura alors une monnaie, qui au niveau mondial, rivalisera avec le yen et le dollar. Nous allons donner au citoyen une nouvelle fierté d'être européen.
Face à cet enjeu extraordinaire, je trouve que beaucoup de discussions ont pour seul effet de décourager les consommateurs. D'un côté, les débats sur les critères de convergence atteignent des sommets d'irrationalité: dès qu'un gouvernement gère son budget, c'est la faute des critères. De l'autre les banquiers, les commerçants nous disent: attention, ça va coûter très cher, notamment pour adapter nos logiciels informatiques.
Ces discussions sont-elles à la hauteur de l'enjeu? A mon avis, non.
La monnaie unique, c'est l'intérêt de tous. Nous y gagnerons tous à long terme. Mais, sans l'appui des consommateurs, il n'y aura pas de monnaie unique. Alors, retroussons nos manches et expliquons. Expliquons ce qui va se passer, expliquons comment ça va se passer.
Pour résumer, les sept zones de progrès que je viens de décrire:
Le consommateur, pour pouvoir bénéficier de la concurrence, a besoin d'information (1er progrès) et doit être mobile (2ème progrès). Il a un besoin évident de formation (3ème progrès) et d'avoir des moyens de paiements adaptés à ses besoins (4ème progrès). Il doit avoir confiance dans les techniques de vente utilisées (5ème progrès) et disposer de systèmes de règlement des litiges (6ème progrès). Enfin il doit comprendre et vouloir la monnaie unique (7ème progrès).
J'espère que ce dialogue d'aujourd'hui sera la première étape de grandes améliorations.