AMERICAIN ET EUROPEENS ENCOURAGENT LE RWANDA
par Colette Braeckman
Le Soir, Mercredi 3 avril 1996
Ton glacial, suspension de l'aide au développement sinon ultimatum d'un côté, encouragement et compréhension de l'autre: le contraste est frappant entre le climat régnant au Burundi et au Rwanda, deux pays qui ont reçu la visite de Mme Emma Bonino, commissaire européen à l'aide humanitaire, et de Bryan Atwood, responsable de l'Agence d'aide américaine, US Aid.
Ici à Kigali, dans cette ville qui renaît, où les femmes ellesmêmes reconstruisent des maisons sur les collines, les membres de la mission conjointe euro-américaine semblent avoir été frappés par la détermination des Rwandais. C'est sur un ton inhabituellement chaleureux que M.Atwood s'avança à féliciter les autorités pour le travail accompli en moins de deux ans tandis que Mme Bonino soulignait que, de manière pragmatique et variable suivant les provinces, l'aide allait progressivement se déplacer du domaine strictement humanitaire vers le développement proprement dit. Ce glissement, s'il se produit, répondra aux voeux des Rwandais qui ne manquent pas de souligner que si le total de l'aide européenne dans la région des Grands Lacs s'élève à 284 millions d'Ecus, le Rwanda sinistré n'en a reçu que 48 millions. Autrement dit, 65 % de cette assistance a été utilisée dans les camps de réfugiés...
Le relatif optimisme de la délégation euro-américaine tient au fait que les interlocuteurs rwandais - plusieurs ministres et le président de la République lui-même - ont expliqué à quel point ils partageaient les préoccupations de la communauté internationale, qui portent essentiellement sur la situation dans les prisons et sur le problème du retour des réfugiés.
Qui dit prison -où le nombre de détenus est passé de 27.000 en 1995 à 70.000 aujourd'hui - pense justice. Sur ce point, le chef de l'Etat a réservé une sorte de primeur à ses hôtes: il leur a expliqué que lorsque commenceront les premiers procès d'ici quelques semaines, les accusés seront divisés en plusieurs catégories planificateurs du génocide contre lesquels la peine de mort pourra être requise, ceux qui ont exécuté les tueries et qui risqueront des peines pouvant aller jusqu'à 20 ans de prison ceux qui ont été poussés à la violence et ceux qui ont commis des délits de vol, de pillage. Des réductions de peines pourront être envisagées pour ceux qui accepteront de reconnaître leurs crimes et d'accepter des tâches de réparation. Les autorités rwandaises espèrent que ces mesures permettront de réduire la population carcérale. II le faudra bien: les bailleurs de fonds qui dénoncent la surpopulation des prisons refusent tout aussi fermement de financer la construction de nouveaux lieux de détention. Le présid
ent Bizimungu devait aussi souligner à quel point le Rwanda à la veille du deuxième anniversaire du génocide souhaite que le colonel Bagosora lui soit livré: Son jugement ici aurait un impact considérable sur la situation intérieure, calmer un peu la douleur des survivants alléger les tensions...
En ce qui concerne les réfugiés, tout en déplorant la lenteur du rythme des retours, surtout depuis le Zaïre, Européens et Américains ne vont pas se contenter de faire pression sur le seul Rwanda comme c'était pratiquement le cas jusqu'à présent: ils ont constaté que tous leurs interlocuteurs partageaient leur souci, faire en sorte que les réfugiés regagnent leur patrie. M. Atwood alla même jusqu'à déclarer: J'ai envie de dire aux réfugiés qu'ils peuvent rentrer dans la sécurité, que le sort des réfugiés de 1994 est aujourd'hui meilleur que ceux de 1959 qui sont rentrés au pays...
Mme Bonino reçut également des précisions sur le statut des organisations non gouvernementales dont certaines ont été priées de quitter le Rwanda et sur le projet de taxer l'aide humanitaire, ce qui pourrait constituer un dangereux précédent pour d'autres pays. A ce sujet, inlassablement, les Rwandais firent valoir qu'il n'était pas normal que l'aide dépensée dans le pays via les diverges agences internationales ou non gouvernementales soit plus importante que le budget dont dispose le gouvernement lui-même. Manifestement le Rwanda est aujourd'hui dirigé par une équipe responsable, et qui souhaiterait disposer des moyens de sa politique.