rapport: de 500.000 à 1 million d'héroïnomanes en Europe
UN COMMISSAIRE EUROPEEN POUR LA LIBERALISATION DE LA DROGUE
propos recueillis par Yannick LAUDE
La coopération policière et judiciciaire en Europe bute sur la
qestion de la drogue. La politique permissive des Pays-Bas a
conduit la France à bloquer la bonne application des accords de
Schengen et suscité à plusieurs reprises la colère de Jacques
Chirac. Emma Bonino, quarante-sept ans, commisaire européenne à
la consornmation et membre du Parti radical italien, prend parti
dans ce débat en faveur de la libéralisation des stupéfiants.
Pourquoi êtes-vous favorable à la dépénalisation des stupéfiants?
Emma Bonino. - Parce que je constate que la prohibition est
inefficace sur le plan de la consommation et en plus favorise un
marché noir très lucratif. On me dit que libéraliser l'usage de
la drogue, c'est être en faveur de la vente dans les écoles. Mais
après vingt ans d'interdictions, la vente est en réalité déjà
libre dans les écoles. ça n'a donc rien résolu. En revanche, si
ce commerce devient officiel sous une forme à définir - et en
matière de réglementation, les Etats ont beaucoup d'expérience -,
cela privera le crime organisé d'une source importante de
revenus. En plus, si les drogues deviennent disponibles pour un
coût raisonnable, cela diminuera les agressions de drogués pour
se procurer de l'argent.
N'est-ce pas le rôle des Etats de veiller à la santé de la
population?
Soyons clairs. Je suis contre la drogue et je ne crois pas que ce
soit très bon pour la santé. Si la prohibition parvenait à
empêcher la consommation, pourquoi pas! Encore une fois ce n'est
pas le cas. Les prohibitionnistes se donnent bonne conscience,
mais en fait ils jouent les autruches. La consommation de drogue,
c'est un phénomène social et sanitaire que l'on traite
pénalement. Il faut donc changer de méthode. La référence, c'est
bien sûr la législation néerlandaise qui a produit d'excellents
résultats: il y a moins de criminalité et de petite délinquance,
les toxicomanes sont répertoriés et il y a eu beaucoup moins de
personnes contaminées par le sida qu'ailleurs en Europe.
S'il s'agit d'une panacée, comment expliquez-vous la réticence
des gouvernements à imiter les Pays-Bas?
Cette résistance me rappelle beaucoup celle qu'il y avait pendant
des années sur l'avortement. Tout le monde sait bien que
l'arsenal juridique prohibitionniste est en faillite mais
personne ne veut ouvrir le débat et réfléchir à des solutions
alternatives. En fait, c'est du conformisme, on en fait une
question de morale. Mais moi, je considère que l'Etat n'a pas à
sauver mon âme. La drogue relève de la sphère privée, comme
prendre des calmants ou de l'alcool.
Pourquoi Bruxelles ne lancet-il pas ce débat directement?
Le traité de Maastricht n'accorde a la Commission qu'un rôle très
limité dans les questions de santé publique et plus encore de
justice. Je m'exprime d'ailleurs ici en mon nom. C'est aux Etats
de prendre leurs responsabilités.
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LES PAYS-BAS MOINS TOUCHES PAR LA TOXICOMANIE
Le libéralisme néerlandais en matière de drogue, et quoi qu'en
pense Jacques Chirac qui l'a encore dénoncé hors du sommet
franco-italien de Naples, ne se traduit pas par un record de
toxicornanie aux Pays-Bas. Selon le rapport de l'Observatoire
européen des drogues publié hier, c'est plutôt au Royaume-Uni et
au Danemark que les fumeurs de cannabis sont les plus nombreux et
au Luxembourg et en France que l'héroïne fait le plus de ravages;
30% des adolescents britanniques de 16-17 ans disent fumer des
joints contre 20% de néerlandais, 19% d'espagnols et 12% de
français. Chez Ies jeunes adultes de 18 à 35 ans, c'est au
Danemark que les adeptes du cannabis sont les plus nombreux avec
43%, suivi de la Grande-Bretagne à 24% puis de la France à 22%.
En matière de drogues dures, on compte 600 héroïnomanes pour
100.000 habitants au grand-duché du Luxembourg. La France vient
derrière avec 280 héroïnomanes pour 100.000 habitants, une
proportion qui atteint 200 aux Pays-Bas. Le rapport estime entre
500.000 et 1 million le nombre de personnes accoutumées à à
l'héroïne en Europe. Entre 75 et 85% des drogués sont des hommes.
La politique de prévention et de distribution de seringues a
considérablement lirnité la diffusion du sida dans les pays qui
l'ont menée puisque seulement 6,1% des héroïnomanes
britanniques, 10,5% des néerlandais et 10,8% des suédois ont
contracté le virus VIH contre 65,9% des toxicomanes espagnols
64,5% des italiens et 24% des français. (Y.L.)