Comment ne pas rallier Bruxelles à New York
TRIBULATIONS D'UN COMMISSAIRE EUROPEEN
Emma Bonino, chargée de la protection des consommateurs en Europe, s'en prend aux compagnies aériennes. Récit de ses déboires.
BRUXELLES: Pierre BOCEV
Emma Bonino n'apprécie pas, mais alors vraiment pas. Les compagnies aériennes, elle ne veut plus en entendre parler. Responsable au sein de la Commission européenne de la protection des consommateurs, elle vient de faire l'expérience des déboires que peuvent connaître tous ceux qui prennent l'avion. "Je devais aller à New York pour un jour, raconte-t-elle. Assister a une réunion de /a Banque mondiale et revenir le lendemain. En fait, je n'af jamais dépassé Paris."
Voici comment. Au départ de son vol Air France Bruxelles-Paris, la Commissaire reçoit la carte d'embarquement pour la liaison Paris-New York. .. "Tout semble alors aller pour le mieux dans le meilleur des mondes aériens possibles." Las, I'avion arrive avec du retard à Bruxelles. Emma Bonino s'inquiète: "Et ma correspondance?" On la rassure: "Paris sera prévenu"... La "densité du trafic aérien" repousse encore un peu le décollage de Bruxelles.
A Paris, la porte de l'avion bloque. L'inquiétude croît. Une hôtesse est bien venue chercher les passagers en correspondance pour Montréal. Pour New York, personne. "Impossible de rejoindre le terminal avant les autres: le bus attend que tout le monde ait débarqué."
"OTAGE DES COMPAGNIES"
Terminal A. L'énervement. Une hôtesse au sol appelle la porte d'embarquement pour New York. Occupé. "Allez-y, dit-elle, je les préviendrai. Ils vous attendront." Navette. Le terminal C, enfin.
"L'avion est là. Mais impossible de monter à bord: on me dit qu'il est trop tard. Je fulmine. Rien à faire."
Emma Bonino se voit bien proposer de prendre l'avion du soir. "Trop tard pour ma réunion à New York." De toute manière, il est plein... Et "personne ne prend la peine de chercher la moindre alternative. C'est après coup que je me suis rendue compte qu'il y avait encore une possibilité d'aller à Londres pour prendre le
Concorde."
En fin de compte, la commissaire revient l'après-midi même à Bruxelles. Convaincue de ce que la déréglementation du ciel européen "a certes fait baisser les tarifs, mais au détriment de la qualité la plus élémentaire. Le consommateur est otage des compagnies".
Emma cherche d'autres victimes. Des cas surgissent de la mémoire collective de la Commission européenne. Ce Strasbourg-Bruxelles du 14 février 1996, de retour d'une session du Parlement européen: trois heures de retard au départ parce qu'il a "fallu changer d'avion et d'équipage". A l'arrivée, une passerelle qui se fait attendre vingt minutes.
En bout de course, "les passagers croyaient pouvoir envisager la fin de leur passionnant périple qui rappelle l'époque des pionniers de l'aviation". Mais force leur est de constater que "L'aéroport de Bruxelles était fermé et que personne n'avait la clef pour ouvrir la porte de sortie"...
Ou encore le vol Sabena SN 643 de 11 h 15, ce 23 novembre 1995, qui n'est jamais parti pour Londres, annulé sans autre forme de procès faute de pilote. Jean-Marie Courtois, un malheureux passager qui se trouve être dans les services d'Emma Bonino, en informe le médiateur de la compagnie qui nie toute faute de Sabena.
Nouvelle missive au médiateur: "Je vous remercie pour votre lettre (...) par laquelle vous me faites part, de façon assez surprenante, que la Sabena n'assure pas la responsabilité de l'absence de pilote, mais la rejette sur la société Schreiner tout à fait inconnue et qui, en aucun cas, ne peut être impliquée, directement ou indirectement, dans le refus d'embarquement de la Sabena, sauf, si celle-ci a été rebaptisée Schreiner, ce qu'il faudrait signaler d'urgence au public."
Ironie grinçante? Il faut dire que Jean-Marie Courtois n'en est pas à sa promière expérience: le 4 décembre 1993, il devait partir pour Cotonou. Vol Sabena complet en vertu de la pratique courante du surbooking. Il part le lendemain, via Lomé, où il apprend que ses bagages ont pris le chemin de Lagos. Lui-même rejoindra Cotonou en voiture, avec 48 heures de retard. Ouant à la valise, elle lui sera restituée le 12 décembre, à Bruxelles.
Emma Bonino songe à réunir un maximum d'exemples du genre et d'en faire un recueil publié sous le titre Lettres de voyageurs (*).
Dans la mesure où "les voyageurs sont absolument sans défense", écrit-elle dans une lettre à son collègue Neil Kinnock, chargé du dossier des transports à la Commission, "il est de plus en plus impératif do réexaminer toutes les réglementations, conventions internationales qui les concernent et qui protègent abusivement les transporteurs"
(*) Pour écrire à Emma Bonino: Commission européenne. rue de Ia
Loi, 200 8ruxelles.