par Emmanuel DEFOULOY
Emma Bonino : "Une crise politique qui n'a pas trouvé de solution politique ne peut pas se cacher derrière l'alibi humanitaire du rapatriement forcé.""Le monde entier est témoin de cette crise depuis 1994" Pour le commisssaire européen chargé de l'aide humanitaire, Emma Bonino, il n'y a pas d'action humanitaire possible au Zaïre sans solution politique. Elle plaide pour qu'une conférence régionale se tienne le plus vite possible. ENTRETIEN Emma Bonino - Commissaire européen chargé de l'aide humanitaire
L'envoyé spécial de l'Union européenne dans la région des Grands Lacs, Aldo Ajello, a quitté mercredi le Rwanda pour le Zaïre. Qu'a-t-il obtenu des autorités rwandaises?
Emma Bonino : Il faut faire vite. Les dernières nouvelles sont encore pires que ce qu'on pouvait imaginer. Je crains que le conflit ne se précipite. Les Rwandais, nous a dit Aldo Ajello après son passage à Kigali, seraient prêts à une rencontre avec les gouvernements de la région. J'espère que cette conférence pourra se dérouler à la fin de la semaine. Ce pourrait être à Arusha, en Tanzanie, car Aldo Ajello travaille en étroite collaboration avec l'ex-président tanzanien Nyerere, chargé depuis plusieurs mois d'une mission de "bons offices".
- Pourquoi la communauté internationale n'a-t-elle pas engagé de solution politique plus tôt?
- Le monde entier est témoin de cette crise depuis 1994. Ce n'est pas seulement un problème humanitaire, et c'est bien pour ça que l'Union européenne a nommé dès l'an passé un envoyéspécial "politique". Nous avons eu le courage de le dire dès le début : deux millions de régugiés aux frontières du Rwanda, ce n'est pas un élément de stabilité. La préoccupation principale de sécurité pour Kigali est de ne pas avoir à ses portes des camps de réfugiés où il y a aussi des extrémistes armés. Cette crise devait exploser, avec ou sans les Banyamurenges... Mais il faut dire aussi que Kigali n'a pas fait tous les efforts possibles pour que les "vrais" réfugiés hutus se sentent en sécurité pour rentrer. Lors de ma première mission au Rwanda, en mars 1995, il y avait 27.000 personnes en prison, maintenant il y en a presque 100.000. Des rumeurs sur le système judiciaire rwandais, vraies ou non, circulent dans les camps et ne favorisent pas la confiance. Aujourd'hui, entre rentrer au Rwanda ou se disperser dans la nature a
u Zaïre, les réfugiés n'hésitent pas. Il rentrent au compte-gouttes au Rwanda, alors que nous y avons mis sur pied un énorme dispositif d'accueil.
- Mais il faudrait quand même que ces réfugiés rentrent au Rwanda?
- Ma première préoccupation est de respecter le droit des réfugiés et les conventions humanitaires. En aucun cas il ne doit y avoir de rapatriement forcé. Une crise politique qui n'a pas trouvé de solution politique ne peut pas se cacher derrière l'alibi humanitaire du rapatriement forcé. On ne doit pas jouer ce jeu-là. J'ai toujours pensé qu'une solution politique devait être trouvée au niveau régional.
- Peut-on mettre en place des couloirs de raptriement?
- Dans la situation actuelle, il n'y a aucune action humanitaire possible à l'intérieur du Zaïre sans solution politique, je le répète ! Les couloirs de rapatriements ne sont pas possibles sans protection militaire. Et notre préférence va vers une intervention des Etats de la région, s'ils en sont capables. Le problème est que cette force africaine n'est pas pour demain...
- Pourquoi ne parle-t-on pas, à l'origine de ce conflit, de l'épuration ethnique subie par les Tutsis, dès le début de 1996, dans le Masisi, région du Nord-Kivu?
- C'est vrai, on n'en parle pas. Parce qu'on n'est pas très fier de regarder le passé et de se dire : pourqoi n'a-t-on rien fait avant? Les associations humanitaires ont beaucoup dénoncé les événements du Masisi, mais régler ce problème n'est jamais devenu une priorité politique. Comment pouvait-on parer aussi à la déliquessence du Zaïre, l'un des éléments clés de la situation actuelle?
- Que peut-il arriver aux 500.000 réfugiés qui errent dans le Kivu?
- Il y a 500.000 personnes dans la nature aujourd'hui, mais si les autres camps tombent, on peut en avoir un million demain ! Sans aliments, sans médicaments, sans abri et, surtout, sans eau, ils ne vont pas résister très longtemps. Le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR) a déjà observé les premiers cas de choléra, dans les deux camps où ils sont encore présents, Mugunga (qui reçoit maintenant 400.000 personnes) et le Lac Vert.