DEBATS - A BOUT PORTANT
par Michel DE MUELENAERE
Sur l'aggravation de la situation au Kivu et les possibilités d'intevention humanitaire- Qu'est-ce qu'il est possible de faire dans l'immédiat pour éviter la catastrophe au Kivu?- Il faut exercer toute la pression possible pour que les réunions africaines de Nairobi débouchent sur une triple décision : d'obtenir un cessez-le-feu, ouvrir trois corridors humanitaires et assurer leur protection militaire. Du côté, occidental, tous les chefs d'Etat, qu'ils soient ou non en campagne électorale, doivent mobiliser leur temps pour faire jouer leur influence - et ils en ont!
Entre-temps, nous étudions les aspects pratiques d'une intervention. Au cours de ce week-end, nous avons identifié les stocks disponibles et nous avons identifié les stocks disponibles et nous avons étudié les moyens de transport disponibles. Nous disponsons, par exemple, de stocks de médicaments pour les prochains jours, ainsi que d'abris. Quant au personnel humanitaire, il a été évacué, mais n'a pas quitté la région. Si l'on s'en tient à l'aspect purement humanitaire, nous pourrions intervenir demain. Mais il y a le problème de la protection.
- Précisément, qui va décider de créer une force militaire pour protéger les couloirs humanitaires? D'où viendront les soldats?
- Si le Conseil de sécurité des Nations unies n'agit pas maintenant devant l'ampleur des événements, je me demande qui le fera ! Les événements que nous connaissons risquent de jeter le discrédit sur tout le système des Nations unies. Ce serai porteur d'autres catastrophes. Car le vrai scandale de ces derniers jours, c'est que, pour la première fois, l'accès des secours humanitaires a été bloqué au mépris de toutes les conventions humanitaires. L'idée qu'on puisse chercher à résoudre des problèmes politiques en affamant les gens est moralement inacceptable et légalement interdite.
- Pensez-vous que ce soit aux Européens d'envoyer des troupes?
- Je comprends très bien les résistances françaises et belges, tant au niveau psychologique qu'au regard de ce qui s'est passé en 1994 au Rwanda. Je comprends qu'aucun de ces deux pays ne soit prêt à bouger tout seul ou à envoyer des troupes sur le terrain. Par contre, s'il y a une décision du Conseil de Sécurité des Nations unies, ne serait-il pas faisable d'envoyer une force interafricaine avec un soutien logistique et financier occidental? Cela nous permettrait déviter une réédiction de l'aventure de Somalie qui fut une catasrophe politique.
- Mais la réunion des Quinze, ce jeudi, sera d'ordre purement humanitaire. Quant la décision d'intevenir pourrait-elle être prise par les Européen?
- Il faut une décision unanime. Et là, on est mal parti... Mais selon moi, le Conseil de Sécurité de l'ONU est l'instance adéquate, compte tenu du fait que plusieurs Etats membres de l'Union ysiègent actuellement (la France, le Royamue-Uni, l'Allemagne et l'Italie). Ce serait d'ailleurs une bonne façon d'impliquer les Etats-Unis qui, tôt ou tard, finiront bien leur campagne électorale.
- Vous leur reprochez leur indifférence?
- Je n'ai pas eu le plaisir, devant une catastrophe de ce genre, d'entendre une déclaration quelconque de la part des Etats-Unis. Et je pense avoir été attentive...
- Cela dit, comment expliquez-vous l'absence de politique africaine des Quinze?
- Il n'y a pas de politique étrangère des Quinze, qu'il s'agisse de l'Afrique ou d'autres régions ! Avant la chute du mur de Berlin, les pays d'Afrique avaient un poids géostratégique. Donc, on faisait attention aux influences qui s'y exerçaient. Après 1991, tout cela a été bouleversé. L'Afrique a donc disparu des priorités internationales des hommes politiques.
Il y a une perception dans beaucoup de pays européens que l'Afrique noire est sans espoir, que c'est un puits sans fond, à l'exception peut-être de l'Afrique du Nord, de l'Afrique du Sud et du Sénégal. Certes, les Quinze ont reconnu la dimension politique du problème quand ils ont nommé un envoyé spécial pour les Grands Lacs, en février dernier. Ce fut important. Mais ensuite on n'a pas donné à cette question toute la priorité nécessaire.
- Peut-on placer un espoir dans une action de l'Organisation de l'Unité africaine (OUA)?
- L'OUA est un mécanisme très fragile. Comment pouvez-vous espérer qu'une organisation régionale composée de pays très faibles, à quelques exceptions près, ait des moyens adéquats? Elle n'est que le résultat des pays qui la composent. N'empêche, il est absolument important que cette boîte vide prenne de l'ampleur et de la force.
- Si l'on parvient à éteindre le feu humanitaire, ne risque-t-on pas de retomber dans le même travers et de laisser à nouveau pourrir la situation?
- D'abord sauver ! Entre-temps, j'espère que le volet politique pourra évoluer et déboucher sur une conférence régioale que soutiennent déjà plusieurs Etats européens. Il faudra cependant tenir compte d'autres facteurs, comme la sitation au Zaïre où règne une tension trs forte à l'égard des Tutsis haibtant dans le pays.
Deuxièmement, il y a toujours le problème des forces Interhamwe (les miliciens hutus auteurs du génocide de 1994, ndlr). J'espère que cette fois on va prendre au sérieux notre demande de séparer les génocidaires des véritables réfugiés. Or, il est clair que sans protection militaire ce tri ne sera pas possible.
Tertio, il faudra régler la question des réfugiés. Sont-ils prêts à retourner au Rwanda? Que faire de ceux qui ne veulent pas entrer. Ni la Commission européenne ni les agences humanitaires ne veulent participer à un rapatriement forcé. Il faut donc prévoir un système de contrôle à l'intérieur du Rwanda.
Il faut que les discussions de Nairobi soient le début d'un mécanisme permanent permettant de trouver des solutions aux problèmes politiques qui se posent. Cela dit, je pense que si l'on réussit à sauver huit cent mille persnnes, cela peut enclencher une dynamique.
J'espère que l'on ne répétera pas l'erreur de 1994: qu'une fois les camps installés, on laisse les choses en l'état.
- En atendant qu'une intervention internationale se mette en place, les dégâts risquent d'être importants.- C'est sûr. Des centaines de milliers de réfugiés qui se trouvent à Goma viennent d'Uvira; ils ont fait cinq cents kilomètres à pied. Et je me demande ce que l'on trouvera entre Uvira et Goma... quand on pourra y aller. Quant à moi, je veux aller au Kivu. Que les corridors humanitaires s'ouvrent ou qu'ils ne s'ouvrent pas.