du Parlement Européen sur la BSE(Strasbourg, le 12 décembre 1996)
1. INTRODUCTION
Je suis Commissaire à la Politique des consommateurs depuis janvier 1995.
Je base mon intervention d'aujourd'hui sur mes responsabilités politiques et mes initiatives dans le cadre de mon mandat de Commissaire. Cette commission d'enquête a déjà entendu les autres Commissaires et fonctionnaires de la Commission concernant la période précédente à mon mandat.
En tout état de cause, quand il s'est avéré nécessaire de reconstruire le traitement du dossier BSE dans les années précédentes à mon mandat, j'ai donné instruction à mes Services d'ouvrir toutes leurs archives et de se mettre à la disposition de la Commission européenne pour satisfaire les demandes du Parlement Européen.
2.COMPETENCES
Vous êtes tous conscients des limites des compétences de l'Union européenne en matière de politique des consommateurs. Le Traité de Maastricht ne la mentionne qu'en tant que "contribution au renforcement de la protection des consommateurs" (art.3s) et ceci dans un contexte de marché intérieur (art.129A). Par ailleurs je constate que le concept de subsidiarité est souvent interprété de façon restrictive en ce qui concerne une politique "européenne" des consommateurs.
D'ailleurs, les ressources sont limitées. Pour mettre en oeuvre la politique des consommateurs, faire des études et des tests comparatifs, faire de l'information des consommateurs, aider les associations européennes et nationales, mettre en oeuvre des projets pilotes... et j'en passe, la Commission européenne ne dispose que d'environ 19 MECU, soit environ O,O21% du budget total. C'est un ordre de grandeur de budget qui a été plutôt stable depuis plusieurs années; j'ajoute à cela que, jusqu'à 1996 inclus, une partie de ce montant a été même placé "en réserve" par le Parlement Européen.
La DGXXIV "Consommateurs" est la plus jeune et une des plus petites DG de la Commission. Elle a été élevée au rang de DG à ma demande, au début 1995: avant, elle n'était qu'un Service Politique des Consommateurs (SPC). Nous n'avons eu un nouveau Directeur général que depuis décembre 1995.
Ceci n'empêche que j'estime que la Politique des Consommateurs a un rôle important à jouer pour assurer le fonctionnement sain du marché. Le simple jeu des lois économiques doit être encadré et tempéré en faveur des intérêts des citoyens/consommateurs. Ma philosophie est celle de faire de la politique des consommateurs une politique horizontale, en assurant que la dimension "consommateurs" soit prise en compte dans toutes les autres politiques.
C'est dans ce cadre que j'ai multiplié les interventions des consommateurs dans les mesures législatives dépendantes des autres politiques : c'est le cas par exemple, du serviceuniversel dans les télécommunications, du concept de qualité dans les services d'intérêt général tels que la poste ou les transports, etc..
3.AVANT LE DÉCLANCHEMENT DE LA CRISE BSE
Dès mon arrivée, j'ai constaté un malaise, parmi les consommateurs, concernant les produits alimentaires primaires, notamment pour ce qui est de leurs purté/sécurité. Je ne me réfère pas seulement au cas BSE. Je pense notamment à des exemples tels que la salmonelle, l'abus illégal d'hormones, les résidus d'antibiotiques et de pesticides, etc. Sur la base d'une série d'études engagées par les associations des consommateurs, avec le support de la Commission, ressortaient en effet clairement des faiblesses dans le système des contrôles : des problèmes étaient constatés par les consommateurs dans les produits alimentaires testés aux points de vente.
J'en ai donc fait de cette préoccupations une de mes priorités et lors de la restructuration de ma Direction générale, j'ai voulu qu'une Unité consacre son activité au secteur des produits alimentaires. C'est maintenant le cas de l'Unité DGXXIV/A/5 (" Consommation durable et produits alimentaires").
En effet, le "Programme prioritaire triennal de la politique des consommateurs (1996-98)" que la Commission a adopté, à ma demande, en octobre 1995, identifie clairement les problèmes alimentaires comme une des préoccupations et donc des priorités de la Commission.
Dans ce même programme, mes principales autres priorités sont :
- "renforcer et accroître la représentation des consommateurs";
- "intensifier les efforts pour améliorer l'éducation et l'information des consommateurs".
J'estime en effet qu'un consommateur bien informé est en mesure de se protéger et de faire des libres choix en prenant ses responsabilités: pour cela, dans mes responsabilités de Commissaire, je prêche et j'essaye d'assurer un maximum de transparence.
En outre, j'ai demandé d'être étroitement associée au travail engagé dès 1995 par mes collègues Bangemann et Fischler en vue la préparation du Livre Vert de la Commission sur le droit alimentaire : j'espère que ce Livre Vert sera adopté début 1997.
J'ai également affronté le renforcement de la représentation des consommateurs en reformant le Comité des Consommateurs dès l' été 1995.
4. APRS LE DECLANCHEMENT DE LA CRISE
Le 20 mars dernier, quand le lien entre la BSE et la maladie de Creutzeld-Jacob (CJD) fut annoncé par le Gouvernement britannique, j'ai suggéré à la Commission un rôle pour la Politique des consommateurs dans le "management" de la crise.
J'ai donc proposé la création d'un Groupe Interservice sur la BSE, présidé par la DGXXIV. La Commission s'est tout de suite ralliée à cette idée et le groupe a été crée le 27 mars 1996. Ce Groupe a permis de :
- coordonner l'ensemble des informations recueillies auprès des autres DG et comités concernés ;- informer et fournir aux consommateurs des réponses claires et complètes aux questions qu'ils se posent ;
- rédiger un Vademecum (en mai et en novembre 1996), qui a été largement diffusé aux association des consommateurs et est maintenant sur Internet.
Par ailleurs, j'ai ouvert une ligne directe avec les associations britanniques des consommateurs et j'ai obtenu que la DGXXIV soit associée et participe aux contrôles effectués par la Commission au Royaume Uni sur les produits de la filière bovine.
J'ai également stimulé le travail du Comité Consommateurs sur le dossier BSE : celui-ci a en effet approuvé en octobre 1996 un avis/recommandation qui a également reçu une large diffusion. Les consommateurs européens doivent pouvoir recevoir de la Commission toute l'information disponible, sur base des connaissances scientifiques existantes, ainsi que sur les mesures mises en oeuvre.
L'urgence BSE s'est produite juste un mois avant le Conseil Consommateurs du 23 avril dernier. J'ai donc demandé de mettre à l'ordre du jour de ce Conseil un point BSE, pour me permettre de discuter de ce problème, et surtout des actions d'informations à entreprendre, avec les Ministres des consommateurs. Cela a été le cas également lors du dernier Conseil du 25 novembre.
Dans toute la gestion par la Commission de l'affaire BSE, je dois dire que les citoyens/consommateurs ont été au centre des préoccupations du Collège. J'ai été étroitement informée et associée tout au long du processus; la coopération des Services a été excellente.
5.LE SECTEUR COSMÉTIQUE
Mes compétences de Commissaire des Consommateurs couvrent aussi - c'est étrange, j'en conviens - des responsabilités industrielles. La DGXXIV gère également en effet les directives "cosmétiques" (76/768/CEE et tous les amendements successifs). Dans ce domaine, j'ai voulu que toutes les précautions nécessaires soient prises pour assurer l'innocuité des produits cosmétiques et de maintenir la confiance des consommateurs. Le Comité Scientifique de Cosmétologie a été étroitement associé à nos travaux et à celui de la Commission.
Une proposition de directive de la Commission interdisant l'utilisation d'extraits bovins, ovins et caprins des organes de la catégorie I de l'OMS (encéphale, moelle épinière et yeux) dans les produits cosmétiques est en voie d'approbation par la Commission. Le Comité scientifique de cosmétologie et le Comité d'Adaptation ont déjà donné un avis favorable. Ayant reçu l'accord du P.E. le 9 décembre dernier, ma proposition pourra être formellement adoptée par la Commission d'ici la fin de l'année et entrer en application en juin 1997.
D'ailleurs l'industrie cosmétique européenne affirme ne plus utiliser depuis des années d'extraits animaux de cette catégorie I de l'OMS.
6.QUELS ENSEIGNEMENTS EN TIRER ?
Je constate que certains produits "défectueux" échappent aux systèmes actuels de contrôle, comme les études des consommateurs le démontrent, ainsi que certains incidents qui se sont produits dans différents Etats membres. Quelles ensont les raisons ?
- les produits agricoles "primaires" sont exemptés de la directive sur la "Product Liability" dans 12 sur 15 Etats membres;
- il y a des faiblesses dans l'inspection et application de la réglementation ainsi que peu ou point de transparence dans le système de contrôle ; par ailleurs, les consommateurs n'y participent pas ;
- les intérêts agricoles paraissent trop forts dans les zones critiques de contrôle et de décisions.
Pour affronter ces problèmes, j'ai un certain nombre d'idées personnelles sur les pistes à suivre.
a) Product Liability:
Dans le contexte de mon programme de priorités approuvé en 1995, j'ai voulu attirer l'attention, et la Commission m'a suivi, sur le fait que les produits primaires étaient exemptés de la directive de 1995 sur la "product liability". En fait, la directive laisse le choix du champ d'application aux Etats membres: seulement le Luxembourg, la Suède et la Finlande étendent cette responsabilité aux producteurs de produits primaires. (Il faut remarquer que la proposition originale de la Commission en 1976 incluait les produits agricoles et ceux de la chasse dans le champ d'application: c'est le Parlement Européen lui-même qui en a demandé l'exclusion.)
Le résultats est un gap dans le système de prévention qui est difficilement compréhensible pour les consommateurs. Je crois qu'une révision de cette directive doit être considérée, pour assurer que le producteurs de produits primaires soient responsables des défauts des produits qu'ils mettent sur le marché. Cette mesure ne veut pas se substituer aux contrôles, mais elle permet de sensibiliser et rendre plus attentifs les producteurs sur l'aspect sécurité, compte tenu des implications sur leurs responsabilité. Certains types de pratiques douteuses ne seraient pas mises en oeuvre si la responsabilité pénale et financière incombait aux producteurs.
D'ailleurs, l'application de dix ans de la directive existante sur la "productif liability" en a montré un fonctionnement tout à fait satisfaisant pour ce qui est des secteurs couverts.
b) Les contrôles:
Ce n'est pas à la Commission Européenne d'assurer les contrôles. Cela relève des la responsabilité des Etats membres.
Qu'est-ce qu'on constate ? Certainement une confusion de rôle : contrôleurs et contrôlés s'identifient dans une même entité. Dans la plupart des Etats membres les services inspection/contrôle ne sont pas séparé de ceux qui conduisent et décident la politique. J'estime que les Etats membres doivent être "persuadés" de la nécessité de procéder à une séparation de deux fonctions.
Si l'on arrivait à modifier le système en ce sens, on établirait une bonne base pour que les consommateurs puissent connaître et évaluer les risques. La confiance des consommateurs pourrait ainsi être améliorée ou rétablie.
D'ailleurs, pour ce qui la concerne, la Commission a proposé de séparer les rôles de contrôle et de "policy", par la création d'une Agence Vétérinaire et Phytosanitaire.
c) Impliquer les consommateurs:
Une implication de l'intérêt publique et/ou des représentants des consommateurs devrait être assurée; un maximum de transparence doit être appliquée aux résultats des contrôles, aux tests mis en oeuvre, aux produits rejetés, etc. Des efforts d'inspection devraient également porter sur les points de vente.
Les consommateurs veulent "rentrer" dans les systèmes de contrôle, pas les casser. Certes, leurs implication plus étroite pose aussi le problème de leurs ressources et de leurs compétences. Ils ont besoin d'une formation et d'un soutien accru pour exercer pleinement leur droit. Pour ce faire la Commission aura besoin d'un partenariat avec les Etats membres.
d) Comités Multidisciplinaires/F.D.A.:
L'expérience montre que, quand un cas d'espèce nouveau se présente, souvent, la comitologie "standard" et "sectorielle" n'est pas adéquate à l'affronter. L'expérience du Comité Multidisciplinaire récemment institué par la Commission sous l'impulsion du Commissaire Fischler devrait être renforcée et institutionnalisée, car son rôle est essentiel pour permettre de prendre des décisions politiques qui soient scientifiquement et globalement bien fondées, cohérentes et équilibrées.
On a déjà évoqué dans cette commission d'enquête l'idée d'une Food and Drug Administration, à l'instar de l'expérience américaine. C'est une idée intéressante, car la FDA est indépendante, publique et transparente.
Toutefois, d'après ce que j'ai pu vérifier, la FDA ne couvre pas l'entièreté des produits alimentaires : par exemple, elle est responsable des produits laitiers et des poissons, mais ne couvre pas la viande. C'est le Ministère de l'agriculture (US Department of Agriculture) qui s'occupe de la viande. En outre, le Ministère du Commerce, de la Marine et de la Pêche s'occupe de certaines maladies des poissons et l'Agence pour la Protection de l'Environnement est responsable des pesticides. Le moins que je puisse dire est que ce n'est pas un modèle très cohérent !
Le succès et la bonne réputation du travail de la FDA résident dans l'utilisation des bons principes scientifiques et la publication des toutes les données qui sont à l'origine de ses décisions. On retombe toujours sur le concept de transparence: c'est en effet la transparence qui assure la confiance et fournit l'autorité nécessaire. L'Europe demande un travail "crédible", mais nous devons construire des modèles adaptés à nos besoins effectifs.
J'estime qu'un modèle européen de FDA se heurterait principalement à un système de délégation de pouvoir qui est actuellement dans les mains des Etats membres et qui devrait être délégué à une autre entité. C'est un problème à creuser et à explorer sur la base d'autres expériences positives, ou bien de leurs limites, telles que par exemple l'Agence Européenne des médicaments.
Je n'exclurait pas qu'une partie au moins des problèmes pratiques puissent être résolus dans la mesure où les systèmes de contrôle des Etats membres et de la Commission seraient réorganisés, en mettant la protection de citoyens au centre de nos préoccupations.
e) Perspectives pour le futur:
J'ai l'impression que jusqu'à un passé récent le secteur agricole a été considéré comme un secteur à part ; l'intérêt publique ou le point de vue des citoyens/consommateurs n'ont pas joué un rôle dans le système de prise de décision.
J'estime que l'intervention publique dans le secteur agricole ne peut pas répondre à une logique étroitement liée au seul secteur productif. Dans le passé on a privilégié un approche quantitative au dépit de considérations de qualité, d'environnement, de confiance des consommateurs.
Toutefois, il me semble que la reforme récente de la politique agricole commune et les dernières initiatives entreprises par M. Fischler dans certains secteurs agricoles encore à reformer ou bien certains adjustements proposés pour d'autres secteurs, vont dans la bonne direction.
Les consommateurs sont très intéressés à favoriser le développement d'un secteur agro-alimentaire européen fort, riche, efficace et compétitif, capable de contribuer au bienêtre de la collectivité.
La bonne direction est celle d'augmenter la transparence et l'efficacité de l'intervention publique dans ce secteur fondamentale pour l'économie européenne, tout en soutenant des systèmes de production qui respectent mieux les équilibres biologiques et environnementaux.