Emma Bonino, L'Européen de l'annéeLe prix de l'"Européen de l'année" a été décerné par un jury international présidé par Jacques Delors et réuni à l'initiative de l'hebdomadaire " La Vie". L'an dernier, il avait été décerné à Helmut Kohl le chancelier allemand. Il sera remis ce vendredi 7. " Ma mère, mon frére, mes niéces seront là. Cela me fait chaud au coeur" assure Emma Bonino.
Les compétences d' Emma Bonino à Bruxelles ne cessent de s'élargir. Elle devait ne s'occuper que des consommateurs, le plus petit budget de l'Union. On lui a confié de plus l'humanitaire et les dossiers de la pêche. Jacques Santer veut y ajouter la santé publique maltraitée lors de l'affaire de la vache folle. Mais Emma Bonino négocie. "Que veut-on faire et avec quels moyens?"
Les dossiers de la pêche? "ils me passionnent" dit-elle. Elle a su résoudre la crise entre les Espagnols et les Canadiens au large de Terre-Neuve, ce qui lui vaut une flatteuse réputation chez les pêcheurs ibériques. Mais elle doit également imposer aux flottilles de nouvelles mises à la casse de chalutiers. Tâche difficile.
C'est vrai qu'elle détonne Emma Bonino dans l'univers un peu paperassier et guindé de l'eurocratie. Commissaire a Bruxelles, elle parle vif et franc. A propos de l'exYougoslavie, du Rwanda ou de la vache folle. Inconnue il y a peu, elle vient d'être élue européen de l'année. Portralt.
Au petit matin, elle s'est effondrée, pale, épuisée. Syncope. Un interminable marathon sur des quotas de cabillaud en mer du Nord venait d'assener un méchant coup de pompe a Emma Bonino. C'était en décembre dernier. Mme le commissaire chargée de la pêche, de l'humanitaire et des consommateurs au sein de l'Union européenne, payait ainsi plusieurs mois de ronde infernale entre le front des réfugiés au Rwanda, la tournée des ports de pêche et des nuits de négociation, soutenue a coup de thé et de cigarettes. Elle est ainsi Emma Bonino. Fonceuse. Voyageuse. Bagarreuse. Jusqu'à l'épuisement.
En peu de mois, sa réputation a conquis les médias internationaux. Sauf l'ltalie se plaint-elle. Les clichés lui tombent dessus, dru. On aime ce "petit bout de femme" au nom dansant comme une chansonnette, qui dit son fait a l'ONU et aux Américains quand ils abandonnent à leur sort les malheureux réfugiés du Rwanda. Elle paye de sa personne, défend les organisations humanitaires, dénonce la "farce multinational". " Les humanitaires sauvent des vies et onleur reproche de ne pas trouver les solutions politiques aux tragédies de la région des Grands Lacs! Ces polémiques sont sordides! "
Inconnue du grand public quand elle est nommée, fin 1994, vingtième et dernier commissaire euro
péen dans l'équipe de Jacques Santer, successeur de Jacques Delors, elle est aujourd'hui plébiscitée. On aime cette blonde et chaleureuse vivacité qui donne des couleurs aux grisailles de l'eurocratie. Son bureau est a son image: tonique et efficace. Au mur, derrière elle, sont accrochés des caricatures, des dessins humoristiques, des affiches dédiées aux "rêveurs", et aux "emmerdeurs" souvenirs de sa vie militante en Italie. Et a sa droite, trône son ordinateur qui symbolise sa puissance de travail. Fille de modestes paysans italiens, Emma Bonino est une bûcheuse.
Son père qui baragouinait l'italien et usait de préférence du dialecte des paysans turinois, rêvait pour elle d'une vie d'épouse de notable." Il souhaitait que j'épouse un jour le fils du pharmacien. Je lui préférais le fils d'un ouvrier". Elle épousera de préférence les études. Ne s'intéressera pas du tout aux événements de 68 - elle a vingt ans -et s'éveillera finalement a la vie politique après un drame personnel. Un avortement clandestin vécu comme une terrible humiliation dans une Italie qui refuse alors toute légalisation, contrairement a la France qui vote la loi Veil.
Elle s'engage dans le petit parti radical de Marco Panella, fameux agitateur d'idées, alors écrasé entre les deux grands partis dominant toute la vie politique italienne: la Démocratie-chrétienne et le Parti communiste. Emma Bonino est de tous les combats: pour la légalisation de l'avortement et les droits des femmes, contre la peine de mort... Elle prône la désobéissance civile et se fait arrêter chez elle, volontairement, dans son village, le lendemain du mariage de son frére. Elle fera un mois de prison. Son petit parti à vocation transnationale la lance ensuite dans la bataille des élections européennes. Elle y est élue des 1979.
Ce militantisme, inspiré a la fois par une non-violence à la Gandhi, et par les méthodes de l'agit-prop lui valurent à son arrivée à Bruxelles une réputation sulfureuse "d' insortable". Aujourd'hui au contraire, on y apprécie son art de la dialectique et son ban sens. Elle, visiblement ne se laisse pas "dorer la pilule". l 'Europe, rappelle-t-elle, est un " géant économique, mais un nain politique. Si on ne doit faire l'union que pour se partager le lait, les fromages, le poisson et la viande, alors bastal" L'Européen de l'année n'a sûrement pas fini de surprendre son monde.
Bernard LE SOLLEU.