emma bonino au Zaïre: "j'ai l 'impression de revenir de l'enfer"
La politique de la pêche et de la protection des consommateurs sont, pour Emma Bonino, autant de dossiers importants mais ce qui l'a projetés sous le feux des médias, c'est l'humanitaire. En charge d' ECHO, elle c'est engagée dans cette bataille, avec toute son énergie. Du 31 Janvier au 3 février, elle était en mission au Zaire ."Il y a encore au moins 200.000 personnes perdues dans la nature entra le Zaïre.
Il faut leur venir en aide plaide Emma Bonino Celle ci fustige au passage, les conditions de travail des organismessans aucune protection, depuis que la communauté Internationale a renoncé à envoyer sur place, en décembre 1996, une force multinationale d'interposition ils sont, notamment, exposés aux diverses tracasseries des administrations locales.
Au Zaïre, comme d'ailleurs en ex-Yougoslavie (ou elle s'est également rendue de nombreuses fois), Emma Bonino regrette que les Européens soient, trop souvent, à la traîne des Etats-Unis :En Bosnie-Herzégovine, par exemple, ce n'est que lorsque les Américains sont entrés dans le jeu que tout s'est débloqué. Et ce, paradoxalement, sur la base d'un plan de paix élaboré, en grande partie, par les Européens. C'est cette guerre atroce qui lui permet aujourd'hui d'affirmer qu'une véritable politique étrangère commune est indispensable: quinze voix différentes ne sauraient être efficaces. Mais Emma Bonino ne sort-elle pas de son rôle lorsqu'elle prend ainsi position sur la scène diplomatique ? Réponse cinglante du commissaire: Mon job est de soutenir des interventions humanitaires. Lorsque l'on m'empoche de le faire, je le dis. Le jour même de sa rentrée du Zaïre, Emma Bonino a tenu une conférence de presse pour porter a l'attention du grand public ce qu'elle venait de vivre.
Commission en Direct vous en propose les traits saillants.
Je me suis rendue au Zaïre pour rencontrer les gens qui n'existent pas ou, plus exactement, des gens qui n'existaient pas. Ceux-la mêmes que le Gotha des généraux des armées les plus puissantes n'avaient pu repérer avec leurs radars et que les capitales, bien informées, avaient décrété qu'ils avaient réintégré leur pays. Des gens qui n'existent pas et qui réexistent maintenant, sortant de la forêt dans un état épouvantable.
35 à l'ombre
Très peu d'eau
Presque pas de nourriture
J'ai l'impression de revenir de l'enfer. J'ai visité l'un des camps de la région qui regroupe, encore aujourd'hui, au moins 200.000 personnes. 35 degrés à l'ombre, très peu d'eau, presque pas de nourriture. A cela s'ajoutent des dizaines de milliers de déplacés. J'en ai rencontré plusieurs milliers qui connaissent les mêmes conditions de vie ou plutôt de survie. La problématique des déplacés réside notamment dans le fait qu'ils sont difficilement quantifiables et que le recensement nécessaire est en butte à la logique de guerre que connaissent, de toute évidence, leurs territoires d'accueil. En effet, des opérations militaires sont en cours, dans toute la zone.
Des conditions de sécurité apparente ont jeté sur les routes 40.000 personnes environ qui se dirigent vers le nord, en passant par Punia, dans l'espoir d'arriver à Tingi-Tingi. J'espère que les 200.000 réfugiés qui n'ont pu encore être localisés soient encore vivants, quelque part dans les forêts, et qu'ils réapparaissent. Mais il est tout aussi possible, qu'ils soient tous morts.
Je peux vous assurer que je ne suis pas en train de surenchérir dans la dramatisation. J'ai perçu une attitude de méfiance, toute compréhensible, chez mes interlocuteurs gouvernementaux zaïrois face à la nouvelle donne d'un problème qui a déjà causé tant de dommages matériels, outre la confrontation armée en cours. J'ai pu constater une attitude de coopération et de compréhension du gouvernement qui semble avoir entendu et compris les raisons profondes de mon mandat et de ma mission. D'emblée, le gouvernement a demandé le retour, plus ou moins obligatoire, de ces réfugiés dans leur pays. Je pense avoir fait comprendre l'importance du respect de la règle du retour volontaire, telle qu'elle figure dans les conventions humanitaires. Je déplore que ce principe ait été violé ailleurs, mais ce n'est pas une raison suffisante pour que cela soit à nouveau le cas au Zaïre.
J'ai vu des enfants squelettiques
A l'occasion de mes précédentes responsabilités et plus particulièrement ces deux dernières années, j'ai vu beaucoup de camps de réfugiés et, croyez-moi, dans ce cas-ci, le spectacle était insoutenable et en-dessous de n'importe quel seuil de dignité humaine. J'ai vu des enfants squelettiques. Je veux apporter mon soutien aux ONG et aux agences des Nations-Unies, notamment I'UNICEF, qui travaillent dans des conditions très précaires. Le manque de nourriture semble être la cause principale des décès. Cependant, les conditions prohibitives d'accès ne me paraissent pas, à elles seules, justifier ces maigres résultats.
L'approvisionnement régulier n'existe pratiquement pas: la route n'est pas utilisable par des camions, mais ce n'est pas là chose nouvelle et les agences, censées coordonner l'aide humanitaire, n'ont jamais alerté qui que ce soit de la nécessité de rétablir, de toute urgence, une possibilité de transit par camion. D'ailleurs, j'ai décidé que ECHO prendra en charge la restauration des derniers trente kilomètres de cette route dont l'état empêche l'acheminement des vivres. Pour le moment, le trajet se fait en avionnette. A Tingi-Tingi, c'est la route qui passe au milieu des camps qui sert de piste d'atterrissage; la population doit dégager la route lors de l'arrivée d'un avion. Donc, il n'est pas question de pouvoir affréter des gros porteurs. Chaque petite avionnette achemine trois tonnes de fret alors que plusieurs dizaines de tonnes sont nécessaires quotidiennement.
Les gens qui n'existaient pas
J'ai l'intention de repasser par toutes les instances et d'interpeler, à nouveau, I'UE, pour commencer, mais aussi le Secrétaire général des Nations-Unies.
C'est bien dans des conditions et des endroits comme ceux que j'ai vus et visités, que se joue la crédibilité des Nations-Unies et non pas seulement dans des salles de conférences climatisées où l'on discute, depuis cinquante ans, de réforme ou de budget.
Les agences et les ONG sur place présentent, effectivement, le visage d'une Europe solidaire. Mais, ce qui se passe, dans les faits, démontre qu'il y a désarroi. J'ai également l'impression que, dans nos sociétés, ce sont les valeurs qui nous sont propresou celles qui devraient l'être dans la communauté internationale, qui sont aussi en détresse. Je voudrais pouvoir dire les mêmes choses, et donner la même appréciation aux autres instances de la communauté internationale.
Nous avons été les seuls acteurs sur place depuis 1994 et nous avons même eu à connaître des polémiques et des débats sordides. Nous sommes les seuls qui continuons à être sur place. Personne d'autre, pas même les militaires qui ont le savoir-faire et le matériel nécessaires, n'a risqué quoi que ce soit pour mettre fin à un scandale franchement inacceptable.