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Conferenza Emma Bonino
Bonino Marta - 1 marzo 1997
Humanitaire * OnzeWereld (mensuel hollandaise), page 14

"Je me sens frustrée au moins dix fois par jour"

Emma Bonino, commissaire européen à l'aide humanitaire

Propos recueillis par Geke van der Wal

Photo Petterik Wiggers

Elle a fait impression l 'année dernière lors de sa visite dans l'est du Zaïre: une petite femme blonde qui, devant les caméras du monde entier, traitait les diplomates des Nations Unies de tous les noms. "Ils passent le week-end dans leurs résidences secondaires a Long Island alors qu'ici, en Afrique, les gens meurent de faim. " Le ton est peu parlementaire pour un commissaire européen et un tantinet démagogique. Emma Bonino s 'exprime sur l 'aide humanitaire et les caquetages des hommes politiques.

Récemment, Mme Bonino s'est a nouveau rendue dans la région des Grands Lacs. Une fois de plus, le monde politique international a reçu une bonne raclée. "On manifeste beaucoup d'émotion pour les soixante-dix otages de Lima et pour les baleines qui s'échoient sur les plages d'Australie mais bien peu pour les cinq cent mille abandonnes du Zaïre", constate-t-elle sur un ton sarcastique. "C'est la crédibilité même de l'Union européenne et de l'ONU qui est en jeu".

Le commissaire européen passe pour être d'un abord facile. Accorder un entretien ? Pourquoi pas ? Elle préfère les déclarations publiques a la diplomatie en coulisses. Personnalité politique et femme d'action, elle affectionne les coups d'éclat. Mme Bonino a quelque chose a dire, une cause a défendre et n'hésite pas pour ce faire a se placer sous les feux de la rampe. Comportement exubérant, que ses collègues de Bruxelles considèrent parfois avec mépris. Ce n'est pas cela qui va l'empêcher de dormir.

Emma Bonino s'est fait les dents en militant dans l'Italie des années soixante-dix au sein du Parti radical de Marco Panella. Cette formation politique, qui était a l'avant-garde de la lutte pour la légalisation de l'avortement et pour le divorce, changeait parfois son fusil d'épaule et ne craignait pas les alliances douteuses, comme avec la star du porno, la Cicciolina (commentaire laconique de Mme Bonino: "Elle n'est pas plus bite que n'importe quel parlementaire moyen") ou avec le magnat de la presse et ancien chef du gouvernement Silvio Berlusconi. C'est d'ailleurs a cette alliance qu'elle doit son poste de commissaire. Emma Bonino, déjà membre du Parlement européen depuis 1979, a été présentée comme candidate par Berlusconi a la fin de 1994. Elle est responsable de la pêche, de la politique des consommateurs et de l'aide humanitaire, qu'elle gère par le biais d'ECHO (Office humanitaire de la Communauté européenne), qui dispose d'un budget d'un milliardet demi de florins.

L'année dernière, les organisations humanitaires ont fait l'objet de vives critiques, notamment a cause des événements qui se sont déroulés dans les camps de réfugiés au Zaïre, ou les milices hutues contrôlaient la distribution de nourriture et se réarmement sous les yeux mêmes du personnel de ces organisations. Serait-il temps pour ces dernières de suivre une autre voie ? Devraient-elles jouer un plus grand rôle sur le plan politique et assumer des responsabilités dans ce domaine ? Faut-il abandonner le vieux concept de neutralise ?

Ah non, la elle n'est pas du tout d'accord et fait un geste marquant sa désapprobation. "Je tiens a l'application de la Convention de Genève. Le fondement de cette convention est la constatation qu'il y aura toujours des guerres et des conflits et que les civils, quel que soit le camp auquel ils appartiennent, ont toujours droit a de la nourriture et a des soins médicaux, tout comme les soldats blesses ont droit a une prise en charge médicale. On ne peut pas laisser la population civile livrée a son sort. Elle paie déjà un lourd tribut a la guerre. Evidemment, on peut aussi avoir une autre philosophie, comme les Etats-Unis, qui accordent une aide humanitaire uniquement aux régions dans lesquelles ils ont des intérêts politiques. En ex-Yougoslavie, ils sont venus en aide a la Bosnie, mais pas a la Croatie ni a la Serbie. Je ne suis pas d'accord avec cette manière de procéder."

- Les organisations humanitaires ne sont plus simplement les "bienfaiteurs " d'autrefois. Actuellement, on leur demande aussi: "Mais que faisiez-vous la-bas ? "

Emma Bonino met ses mains en porte-voix autour de sa bouche et clame: "Sauver des vies! Voila ce que nous faisions."

- Mais peut-être que l'aide fournie provoque plus de misère qu'elle n'apporte de solutions, peut-être qu'elle ne fait que prolonger la guerre ou peut-être que, dans le cas du Rwanda, elle protège les auteurs des massacres ? Que faut-il faire dans ce cas-la ?

Elle réplique vivement: "Alors ça, c'est typiquement une façon de ne pas assumer ses responsabilités. Sur les 1.200.000 réfugiés rwandais, il y avait certainement des meurtriers, mais 50% d'entre eux avaient moins de quinze ans. Je ne crois pas que les enfants puissent commettre des massacres. Si nous n'avions pas été présents, ces gens auraient tous été tues et le monde aurait été débarrassé du problème. Peut-on accepter cela ? Voulons-nous d'un monde ou le prix a payer soit aussi élevé ? Laissez-les mourir, cela recoudra le problème, c'est ça que l'on veut ?"

- Comprenez-vous qu'une organisation comme Médecins sans frontières décide, a un certain moment, de se retirer ?

"Je le comprends tout à fait. Il faut qu'ils fassent ce qui leur semble bon, ils sont indépendants. Chaque situation est différente. A Kaboul, Médecins sans frontières est reste, bien que les Talibans aient oblige les femmes a porter le voile. D'autres organisations non gouvernementales (ONG) ont quitte la ville parce que les violations des droits de l'homme leur semblaient inacceptables. De manière générale, je pense que les organisations humanitairesdoivent rester sur place. C'est notre rôle. Mais il faut aussi se faire entendre et mettre a profit toutes les occasions pour dire au monde entier ce qui se passe. Peut-être serez-vous expulses du pays, comme ça s'est passe au Soudan, mais d'autres prennent en général la relève. En fin de compte, il reste toujours des organisations humanitaires dans les zones de conflit oubliées. Elles parlent, crient, protestent, écrivent des articles ou font leur travail en silence. Le véritable problème, c'est que personne d'autre ne fait quoi que ce soit. Les hommes politiq

ues se sont détournés du Soudan et de la Somalie, dans l'indifférence générale. Or les organisations humanitaires ne peuvent pas recoudre le problème. On ne résoudre pas des conflits politiques a coups d'aide humanitaire. Les organisations humanitaires doivent montrer qu'elles ravitaillent des camps de réfugiés entiers mais que les responsables politiques sont nécessaires pour séparer les vrais réfugiés des meurtriers. Ces organisations ont répété pendant des années qu'il fallait une aide militaire pour cela. Personne ne nous écoutait, personne ne s'est manifeste. Aucune force armée ne s'est rendue dans l'est du Zaïre l'an dernier parce qu'on disait que le conflit était réglé. Les camps de réfugiés se vidaient et tout le monde pouvait rentrer chez soi. En effet, des centaines de milliers de personnes sont retournées chez elles mais il en manquait 500.000. N'est-ce pas suffisant pour intervenir ? Combien en aurait-il fallu ? Les règlements des organisations humanitaires ne mentionnent aucun chiffre. D'ailleur

s, là n'était pas la question. Les responsables politiques auraient dû être clairs et courageux. Ils auraient dû dire: "Nous avons décidé de ne pas intervenir en raison de considération d'ordre géopolitique, en raison d'intérêts divers que nous avons dans cette région." Mais faire comme s'il n'était plus nécessaire d'intervenir, ça relève purement et simplement du mensonge. Ce qui est plus grave, c'est que les hommes politiques ont accusé les organisations humanitaires d'avoir grossi les chiffres. Ils disaient qu'il n'y avait jamais eu 1.200.000 personnes. C'était un débat honteux sur des nombres. J'étais véritablement stupéfaite: ils prétendaient que nous avions menti pendant deux ans, alors que nous avions été actifs tout ce temps. Nous savons combien de personne il y avait, nous n'exagérons pas. Ils voulaient à tout prix diminuer les chiffres afin d'avoir une excuse pour ne pas intervenir. Les organisations humanitaires ont été les boucs émissaires."

- Mais pensez-vous avec le recul qu'une intervention militaire était nécessaire ?

"Tout à fait. Cela aurait permis un retour organisé et pacifique des réfugiés. Nous ne savons pas quels massacres ont eu lieu. Combien de morts y a-t-il eu ? Personne ne le sait. Le mois dernier, des employés du HCR ont exhumé quelque 5000 cadavres. Nous savons qu'il y a 200.000 réfugiés a Tingi Tingi, mais ne pouvons pas rejoindre le camp. Il y règne un climat d'insécurité, les routes sont étroites et, à l'aéroport, c'est tout juste si un hélicoptère peut y atterrir. Il y a aussi les 200.000 réfugiés qui errent dans la forêt vierge du Zaïre. Je trouve que c'est une honte pour la Communauté internationale. Un demi-million de personnes sont menacées par la famine ou par la violence ! Je ne dramatisepas. Je l'ai vu de mes propres yeux. Une intervention militaire reste nécessaire afin de garantir le bon déroulement des opérations de secours et de découvrir où sont les centaines de milliers de disparus."

- Vous avez proposé dernièrement de faire appel à l'Union de l'Europe occidentale (UEO) pour les opérations de secours. Jusqu'où peut-on aller dans le soutien militaire à des opérations humanitaires ?

"L'EUH a été crée en 1992. La seule chose qu'ils aient faite depuis lors est de se réunir. 20% des sommes octroyées par ECHO à l'aide humanitaire servent à couvrir les coûts de transport. En général, ce sont des entreprises américaines qui transportent l'aide de Rome à Entebbe par voie aérienne. Pourquoi n'utilisons-nous pas nos propres avions militaires pour assurer l'acheminement des secours d'Europe vers les capitales concernées ? Dans la mesure du possible et lorsque la sécurité le permet, la distribution doit être confiée à des civils. Or en temps de guerre, la sécurité constitue souvent un problème. Je peux tout à fait m'imaginer que l'on convienne de confier le transport par camions de Kigali à Tingi Tingi a des militaires. Pourquoi pas ? Il faut évidemment ne pas effrayer la population. Aucun pays n'aime avoir l'impression d'être attaqué par des soldats étrangers."

- Vous êtes chargée de gérer l 'aide humanitaire et disposez par ailleurs, en tant que responsable politique, d 'un certain pouvoir. Comment faites-vous pour concilier ces deux aspects de votre poste?

"Bien sûr, on peut jeter l'éponge en déclarant que la contradiction est devenue insupportable. On peut aussi rester en fonctions et avancer petit à petit. En disant ce que l'on à dire, en mobilisant les gens et le monde politique. En ce moment, c'est l'attitude que j'adopte. Cela ne signifie pas que je ne me sente pas frustrée. Au contraire, au moins dix fois par jour. Mais je ne suis pas assez mégalomane pour penser que je suis le seul protagoniste de cette affaire. Il n'y aura pas de paix dans la région des Grands Lacs demain. Après-demain non plus. Le problème de l'Union européenne est qu'elle n'a pas de politique étrangère commune. Nous devons décider a l'unanimité, or cette unanimité est très rare. Le résultat, c'est quinze politiques étrangères différentes, quinze ambassadeurs et autant d'attitudes. En deux mots: une cacophonie."

- Dans trois ans vous quitterez votre poste. Quels objectifs voulez-vous atteindre d 'ici-la ?

"C'est difficile a dire. En revanche, je sais de quoi je suis fière. Par deux fois nous avons réussi à éviter une crise humanitaire. Nous sommes intervenus à Cuba. Nous voulions venir en aide aux personnes les plus vulnérables. Le gouvernement cubain tenait à contrôler la distribution de l'aide, ce que nous jugions inacceptable. Nous avons dû négocier pendant six mois pour obtenir du régime l'autorisation de gérer nous-mêmes la distribution. Certains disent que l'on contribue ainsi à maintenir le pouvoir actuel en place. Pour ma part, je suis fière à l'idée que nous avons peut-être empêché plusieurs milliers de personnes de mourir de faim. Notre deuxième "succès", c'est le Caucase. La aussi, lesorganisations humanitaires ont évité une catastrophe humanitaire ces deux derniers hivers. Evidemment, une catastrophe évitée ne se voit pas. Par conséquent, le travail fourni non plus."

- Vous arrive-t-il de douter de l 'utilité de votre travail ?

"Au moins dix fois par jour. Je doute et je fais parfois même plus que douter lorsque je ne peux vraiment rien faire. Lors de la chute de Srebrenica, on nous a tous interdit pendant 48 heures, même à la Croix-Rouge, d'entrer dans la ville. 23.000 personnes sont arrivées à Tuzla. J'y étais et je voyais ce flot de réfugiés, étrange, constitué uniquement de femmes, d'enfants et de vieillards. Il n'y avait pas un seul homme. Où étaient les autres milliers ? Ou étaient les hommes ? Des femmes racontaient qu'on les avait séparées d'eux. Nous voulions entrer dans Srebrenica mais Karadzic refusait. Aujourd'hui nous savons qu'ils ont tous été tués. Je n'oublierai jamais Srebrenica. J'y étais et je n'ai pas pu empêcher la mort de tous ces hommes. Une chose pareille, ça change votre vie. J'y étais, il manquait des milliers de personnes. J'étais dans cet hôtel et cette nuit-là huit mille personnes ont été assassinées. Cela vous change de l'intérieur. a laisse des blessures. Et pas une seule seulement !"

 
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