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Conferenza Emma Bonino
Partito Radicale Maurizio - 10 marzo 1997
humanitaire * intervention de Mme Bonino au Musee International de la Croix Rouge et du Croissant Rouge

"LES VALEURS ET LES LIMITES DE L'ACTION HUMANITAIRE"

Je voudrais tout d'abord rendre hommage à nos hôtes de la Croix Rouge à qui revient de droit la primogéniture en matière d'assistance humanitaire. La Croix Rouge est à la fois l'inspirateur et le dépositaire moral des Conventions de Genève, conçues pour "humaniser la guerre"; et c'est à la fois amer et paradoxal, de nos jours, de devoir enregistrer dans certains conflits, comme en Tchétchenie et au Burundi, l'assassinat délibéré des représentants de la Croix Rouge. Laissez-moi exprimer à cette occasion mon respect et ma gratitude à ces femmes et à ces hommes, ainsi qu'à tous leurs collègues qui ont sacrifié leur vie en essayant de sauver la vie des autres.

L'année qui vient de s'écouler aura été une sombre année pour les humanitaires ; et 1997 ne se présente pas mieux. L'évolution de plusieurs crises, et notamment le cours des conflits les plus acharnés - o des civils sont systématiquement ciblés - marque bel et bien ce "retour à la barbarie" que le Président Cornelio Sommaruga a été le premier à entrevoir il y a déjà un bon moment. Nous-mêmes, qui sommes censés faire face aux désastres dits humanitaires et en maîtriser les conséquences, nous sommes en train d'assister impuissants, complices ou connivents, à un véritable désastre de l'humanitaire, dont les symptômes sont tout à fait évidents aux quatre coins du monde:

- d'une part on enregistre l'évanouissement des valeurs qui nous appartiennent, fondées sur la défense de la vie et de la dignité humaine, toujours et partout, en dehors de tout calcul politique ou autre;

- d'autre part, les violations des Conventions de Genève deviennent désormais coutumières, à ce point qu'elles passent quasiment inaperçues.

Le 14 décembre dernier c'était le jour anniversaire de la "Déclaration de Madrid", conçue et rédigée par les dirigeants et les représentants des principales agences humanitaires et donateurs. J'ai voulu relire ce texte, qui n'était pas très optimiste, pour dresser un bilan de nos actions.

Et bien, force est de constater que nous avons fait quelques pas en arrière, car nombre de points essentiels de notre appel à lacommunauté internationale sont restés lettre morte.

Qu'est-ce que nous demandions au juste à Madrid?

- que l'indépendance et l'impartialité de l'aide humanitaire soient respectées;

- que les civils ne soient plus délibérément pris pour cible;

- que le droit des réfugiés de chercher asile et de l'obtenir afin d'échapper aux persécutions soit maintenu;

- qu'un accès total à tous ceux qui sont dans le besoin nous soit donné;

- que la sécurité du personnel humanitaire soit assurée.

Aucun de ces objectifs n'est à ce jour vraiment atteint. Je me garde de vous infliger un rapport détaillé sur 15 mois de désastres humanitaires: ce serait, en quelque sorte, comme "amener des vases à Samos". Et pourtant, je ne peux pas vous cacher que j'ai vécu, dans mes responsabilités, certains parmi les événements les plus récents, comme un interminable cauchemar.

* Vous vous souvenez certainement de l'entrée des Talibans à Kaboul, qui a entraîné par ailleurs des violations massives des droits de la personne - et surtout de la femme -, marquée par l'irruption de miliciens dans un compound des Nations Unies, et qui a abouti à la capture et à l'exécution sommaire des quelques dirigeants du régime à peine déchu, pendus - pour ainsi dire - à la hampe du drapeau bleu de l'ONU.

Permettez moi d'ajouter, sans apparaître trop cynique, que la justice des Talibans m'a étonnée presque moins que le flegme affiché - ce jour-là - par ce représentant des Nations Unies d'après lequel la situation à Kaboul était "encouraging".

* La situation n'est pas moins paradoxale au Nord de l'Irak, une région dont le destin retenait le souffle du monde entier il n'y a pas longtemps, et qui est aujourd'hui en train d'être abandonnée par l'action humanitaire. Que devient-elle, de nos jours, l'opération "Provide Comfort" ? Et ses sanctuaires humanitaires? D'un côté le régime de Baghdad, ayant repris le contrôle d'une grande partie de ce territoire grâce à l'offensive victorieuse de septembre dernier, impose que toute aide humanitaire passe par Baghdad et soit gérée par des organisations qui jouissent de la confiance de Saddam Hussein. De l'autre côté la Turquie, sous prétexte de raisons de sécurité, a fermé ses frontières aux humanitaires. Des négociations sont en cours, cela va sans dire, mais voici un exemple flagrant d'accès humanitaire refusé sans que la communauté internationale s'inquiète le moins du monde.

* L'actualité internationale ne cesse de nous offrir deséchantillons des brutalités quotidiennes qui entourent des conflits qui ne sont pas à la une :

- je songe aux réfugiés Karen de Birmanie, passés en Thaïlande pour échapper à l'offensive de la junte de Rangoon, et que les autorités thaïlandaises, mettant fin à une longue tradition d'hospitalité, repoussent à la frontière;

- je songe aussi à la guerre civile au Sri Lanka, o l'on fait état du fait que les parties en conflit n'ont pas l'habitude de faire de prisonniers et o il y a violation systématique des droits de la personne les plus élémentaires;

* Et j'en viens enfin aux derniers rebondissements de la crise dans la région des Grands Lacs, véritable concentré - dans le temps et dans l'espace - de tous les dérapages dont le droit humanitaire (pour ne pas parler du droit international) fait les frais.

En commençant par la fin, je reste ahurie face à la répétition - ces jours-ci - du scandale auquel on a tous assisté début novembre 1996. Je parle de cette masse humaine, évaluée à 160.000 réfugiés, qui a dû quitter en catastrophe le camp de Tingi Tingi, investi par les troupes de Kabila et de ses alliés.

Encore une fois des centaines de milliers d'êtres humains, qui ont payé un tribut très lourd à la marche dans la forêt, à la faim, aux maladies, aux massacres sans témoins, sont abandonnés à la merci d'une armée sans uniforme, sans drapeau, sans loi, qui les chasse comme du gibier.

Encore une fois des voix se lèvent pour que le droit humanitaire soit respecté, pour sauver la vie des civils, exigeant l'intervention d'une force de protection internationale.

Et encore une fois on nous explique que ce n'est pas vraiment la peine de déranger des troupes: qu'il suffit de confier à ceux qui chassent les réfugiés la gestion de couloirs humanitaires pour "drainer" ces gens vers le Rwanda.

Et ceux qui, malgré tout, n'ont aucune envie de rentrer au Rwanda? Tant pis pour eux. La chasse reste ouverte.

Tout cela me rappelle la définition - peut-être un peu trop romantique - qu'un ancien du HCR, José Maria Mendiluce, a donné de l'action humanitaire:

l'émotion confrontée au cynisme, la transparence confrontée aux mensonges, le courage confronté à la lâcheté.

Laissez-moi dire que je ne trouve pas, dans la manière dont la communauté internationale continue à gérer cette crise au Zaïre, beaucoup de courage, ou de transparence, ou d'émotion. J'y trouve par contre de la lâcheté, pas mal de mensonges et énormément de cynisme.

Et puisqu'on essaye de justifier, depuis bientôt cinq mois, cette gigantesque chasse à l'Homme - enfants, femmes et vieillardscompris - par la présence parmi les réfugiés d'un certain nombre de génocidaires, laissez-moi dire une fois pour toutes que je revendique le droit de nourrir et soigner même les génocidaires, s'ils sont en danger. Je me refuse d'endosser une condamnation à mort de masse, émise on ne sait pas par qui et qui ne correspond à aucun critère acceptable de justice dans aucun Etat de droit.

On aura vraiment tout vu dans la région des Grands Lacs au cours de ces derniers mois: le bombardement de camps protégés par le drapeau des Nations Unies; la déportation vers le Rwanda, à coups de bâton, d'un demi million de réfugiés de Tanzanie; d'autres réfugiés, burundais, massacrés par l'armée de Bujumbura dès qu'il traversaient la frontière; l'interdiction, depuis cinq mois, d'un accès humanitaire digne de ce nom dans les zones soi-disant "libérées" du Zaïre.

Il y a un certain degré d'ironie amère dans l'évolution de cette crise. Pendant deux ans nous, les humanitaires - restés seuls sur le terrain - nous avons dénoncé la défaillance des politiciens et des diplomates. En mettant en garde l'opinion publique: ce n'est pas l'action humanitaire qui peut résoudre cette crise. Entre octobre et novembre, d'un jour au lendemain, les politiciens et les diplomates - mais aussi les militaires - sont réapparus sur la scène pour mettre à exécution un dessein dont les contours sont insaisissables, sauf un: il n'y a plus de place pour une action humanitaire neutre et impartiale dans la crise des Grands Lacs. A nous de choisir: ou bien l'on accepte de se faire l'instrument très maniable des intérêts géo-politiques et des seigneurs de la guerre, ou bien l'on est expulsé, diffamé, ridiculisé, parfois assassiné.

Je sais bien que tous ceux qui ne parviennent pas à s'expliquer la chronicité de certaines crises, aiment parler de "faillite de l'humanitaire". Comme s'il appartenait à la communauté des humanitaires de résoudre les crises. Essayons de clarifier ce débat. Nous ne sommes que des pompiers: nous pouvons plus ou moins limiter les dégâts des incendies ou, au mieux, aider à retarder, voire prévenir quelques embrasements. Nous ne pouvons ni poursuivre les pyromanes, ni reconstruire les édifices.

Ce n'est pas de cette faillite que je me soucie, car elle appartient à la politique et à la diplomatie. Nous risquons par contre une autre faillite, la faillite morale.

J'ai trouvé assez troublant, dernièrement, la lecture d'un rapport - que vous connaissez, probablement - dans lequel Amnesty International censure, sans beaucoup ménager les mots, certaines agences onusiennes en les accusant d'avoir coopéré à des opérations de rapatriement forcé.

Ce qui me trouble le plus c'est le fait qu'il puisse y avoir, sur l'évaluation de tels événements, un conflit d'approche entre deux sensibilités - celle des droits de l'homme et celle des humanitaires - qui devraient être jumelles. La raison profonde del'humanitaire c'est, après tout, celle d'assurer le respect du droit de l'homme le plus primordial: le droit à la vie et à une assistance digne de l'être humain. Il y a là sûrement quelque chose qui cloche, et matière à réfléchir.

Mais il faut une bonne dose de naïveté pour méconnaître la réalité que la communauté internationale, et les Nations Unies qui en sont l'expression organisée, ne sont pas des entités immatérielles. Leur volonté, ou leur absence de volonté, c'est le fait des Etats, et des gouvernements qui siègent dans les institutions et les organes "qui comptent" et qui décident.

Essayons donc d'arrêter ce "tir au pigeon" simpliste contre telle ou telle agence ou ONG, comme s'il s'agissait de libres entreprises faisant leurs choix sur le marché ! Les agents humanitaires, sur le terrain, qu'il s'agisse du HCR, de la Croix Rouge, ou de la plus petite ONG, sont les héros méconnus des conflits qui ravagent le monde, et il serait à la fois triste et injuste qu'ils doivent de surcroît porter le poids des frustrations engendrées par des décisions qui sont prises ailleurs.

Ce qui est urgent, par contre, c'est que la communauté humanitaire toute entière se saisisse du débat fondamental qui est sur la table, sur les principes et les valeurs qui lui sont propres ; et qu'elle montre sa détermination à les défendre, face à toute interférence externe à son mandat.

Ma conviction profonde à cet égard est que la crise des Grands Lacs (tout comme la crise de l'ex-Yougoslavie) aura en effet mis au grand jour à la fois les valeurs et les limites de l'aide humanitaire.

Sauver des vies humaines, soulager des souffrances, c'est une valeur en soi, ce n'est jamais inutile. J'aimerais que s'en souviennent aussi les intellectuels qui accusent les humanitaires de nourrir les crises, et qui fustigent les "Médecins sans Frontières" pour avoir mis le serment d'Hippocrate à l'heure du village global. On déplore la "spectacularisation" des misères du monde, la CNN-isation de la mort en direct. Laissez-moi vous dire qu'il s'agit là d'un faux débat, aux tons parfois assez sordides.Sans les humanitaires, et sans les média, y aurait-il des témoins pour les grandes tragédies de cette époque malheureuse? Rappelons-nous que 66 théâtres d'opérations humanitaires représentent aujourd'hui presque autant de conflits ouverts, ou inachevés, ou oubliés; et dont les civils sont otages ou victimes innocentes. Cela représente aussi 25 millions de réfugiés, et un nombre presque égal de déplacés dans leurs propres pays. C'est bien 50 millions d'êtres humaines dont on parle: éparpillés, partout dans le m

onde, dans des conditions toujours précaires, et qui parfois, comme au Zaïre, survivent à peine.

Mais il n'y a pas de "solution humanitaire" aux problèmespolitiques ou militaires. Celle de l'humanitaire est une politique qui n'en pas une. Je le répète: ce n'est pas l'humanitaire qui nourrit les crises, c'est bien l'indifférence de la politique.

Les valeurs et les limites de notre action, vous le voyez, sont les deux faces d'une même médaille. A tel point inséparables que l'action humanitaire, utilisée un jour par les responsables politiques comme le meilleur alibi possible pour justifier leur absence, devient un obstacle incommode, qui risque de faire capoter les stratégies de la Realpolitik.

C'est encore aux Grands Lacs que je pense. O jusqu'à hier on réclamait (et on finançait) la présence massive de la machine humanitaire et o aujourd'hui on fait tout pour empêcher, ou tout au moins retarder, la présence massive de ces témoins parfois très agaçants que nous sommes.

Laissez moi terminer en citant madame Aung San Suu Kyi:

"Personne ne peut nous priver de cette liberté essentielle et suprême qui consiste dans le choix des priorités pour notre vie...ceux qui ont décidé de travailler pour la démocratie ont fait ce choix dans la conviction que le danger auquel on s'expose en défendant les droits de l'homme dans un société répressive est tout à fait préférable à la sécurité d'une vie tranquille, mais en état de servitude".

Pour nous, les humanitaires, ce choix n'a jamais été en question.

 
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