"Sauver des vies humaines est une valeur en soi"De passage à Genève, Emma Bonino, commissaire européen aux affaires humanitaires, a dénoncé les dérives qui frappent les humanitaires et accuse les égoïsmes nationaux.
"Les humanitaires? Nous ne sommes que des pompiers. Nous pouvons plus ou moins limiter les dégâts des incendies. Ou, au mieux,aider à retarder, voire prévenir les embrasements", a précisé fermement le commissaire européen aux affaires humanitaires, Emma Bonino. De passage a Genève hier pour l'ouverture de la 53e session de la Commission des droits de l'homme, elle s'est également arrêtée au Musée de la Croix-Rouge pour donner une conférence. Fidèle son tempérament, I' Italienne a résolument banni la langue de bois de son exercice, dans un français parfaitement maîtrisé. Elle a vigoureusement dénoncé le mélange des genres entre la politique et l'humanitaire. Une dérive très grave, que certains employés des agences onusiennes des ONG, au du CICR, ont payé de leur vie. Et le phénomène pourrait malheureusement se reproduire à l'avenir si des décisions claires ne sont pas prises pour redéfinir le mandat de ceux qui interviennent pour sauver des vies. Plus précisément, Emma Bonino à évoqué la situation actuelle d
u Zaïre, qui a le don de la mettre hors d'elle: "Laissez-moi vous dire que je ne trouve pas, dans la manière dont la communauté internationale continue à gérer cette crise, beaucoup de courage, ou de transparence ou d'émotion. J'y trouve par contre de la lâcheté, pas mal de mensonges et énormément de cynisme." Autrement dit, elle accuse diplomates et politiciens d'avoir "manipulé" les humanitaires, restés seuls dans la région de Grand Lacs pendant des mois, puis priés de se plier aux règles géopolitiques qu'ils ont établies.
INTERMINABLES CAUCHEMAR
En outre, Emma Bonino estime qu'il ne revient aux organisation humanitaires de séparer les combattants des vrais réfugiés dans les camps du Zaïre. "Ceux qui pensent le contraire n'ont jamais mis les pieds dans un camp", tranche-t-elle. Emma Bonino réclame même le droit de nourrir et soigner les génocidaires, s'ils sont en danger.
Plusieurs fois, Emma Bonino s'est dite "ahurie" par la tournure des différents conflits auxquels elle a assistés: "Je ne peux pas vous cacher que j'ai vécu, dans mes responsabilités, certains parmi les événements les plus récents comme un interminable cauchemar". Outre les conflits des Grands Lacs, elle a évoqué la Tchétchénie, l'invasion de Kaboul par les Talibans, la situation sanitaire catastrophique de l'Irak, la Sri Lanka et la Birmanie.
"On déplore la spectacularisation des conflits, laissez-moi vous dire qu'il s'agit là d'un faux débat" a-telle encore affirmé haut et fort, rendant hommage aux humanitaires, ces "héros anonymes, témoins des tragédies de cette époque malheureuse". Il n'est donc pas étonnant qu'elle ait choisi, pour appuyer sa conclusion, de citer une femme pas tout à fait comme les autres, dans un pays complètement marginalisé: Aug San Suu Kyi, celle qui draine chaque semaine une foule de Birmans opprimés. "Le danger auquel on s'expose en défendant les droits de l'homme dans une société répressive est tout à fait préférable à la sécurité d'une vie tranquille , mais en état de servitude."
A la tête de l'office humanitaire de l'Union européenne depuis prés de deux ans, Emma Bonino dispose d'un budget de 700 millions d'écus pour coordonner l'action des agences onusiennes, essentiellement le HCR, le PAM mais aussi l'Unicef; ainsi que le ONG des quinze Etats-membres de l'union, qu'elles soient très médiatiques comme Médecins sans frontières ou plus discrètes.
Pourtant, Emma Bonino n'hésite pas a critiquer directement les Etats-membres de l'union. "Actuellement, il y a quinze politiques extérieures nationales et le cacophonie est assurée", a-t-elle dit, plus tôt dans la journée, à l'ONU. Elle compte cependant sur la révision prochaine du Traité de Maastricht pour améliorer la rapidité du processus de décisions. Le travail des Humanitaires en dépend.
Flavia Giovannelli.