"AUX ETATS-UNIS, 9000 DÉCS PAR AN SONT DUS AUX INFECTIONS D'ORIGINE ALIMENTAIRE!" ! "
Emma Bonino, commissaire européen responsable de la santé
Dernière Bataille dans la guerre transatlantique sur la politique agricole commune, un conflit sur lesnormes sanitaires imposés aux viandes et volailles d'exportation marquait, début avril, un nouvel échec des négociations engagés depuis plusieurs mois entre Washington et Bruxelles pour l'adoption d'accords d'équivalences vétérinaire. Alors qu'un rapport de la Commission européenne avait jugé a catastrophiques" les conditions d'élevage et d'abattage des volailles destinées a la consommation, Washington menaçait de bloquer les exportations européennes sur les jambons. L'échéance que les Etats-Unis avaient initialement fixe au 15 avril a été reportée au 1er mai. Les producteurs américains voudraient éviter de faire trop de bruit sur cette affaire, craignant que leurs plus gros acheteurs (Russie, Moyen-Orient, Japon) n'alignent leurs exigences sanitaires sur celles des Européens. Emma Bonino, commissaire européen responsable de la sente, souligne l'urgence d'être vigilant sur les questions de sécurité alimenta
ire et renouvelle sa confiance en l'ONC, ou l'affaire pourrait se terminer.
-Les négociations avec les Etats-Unis en vue de l'adoption d'accords d'équivalences vétérinaire évoluent difficilement. L'Europe estime insuffisantes les normes sanitaires appliquées par les Américains à la production de volailles. Ces critiques sont-elles justifiées ?
- Nos vétérinaire sont allés inspecter les abattoirs américains et ils ont constate une absence d'hygiène impressionnante aux différents stades du processus de production. Les Américains ne s' estiment tenus qu'a une obligation de résultat: ils décontaminent les poulets en les trempant dans de l'eau de javel a la fin de la chaîne de production ! Pour nous, le respect de règles d'hygiène n'est en rien marginal. le l'ai explique a Dan Glickman, le secrétaire à I'agriculture.
- Le raidissement de l'Union ne reflète-t-il pas surtout le souci de ménager l'opinion et le Parlement européen, après la crise de la "vache folle"?
- Qu'on veuille tirer des leçons de cette crise et se montrer plus strict en matière de contrôles et de normes d'hygiène me semble positif. Je n'ai franchement pas l'impression qu'on aille trop loin. En réalité, le raidissement a été le fait du , conseil des ministres de l'Union: le mandat qu'il a donné a la Commission pour negocier, notamment avec les Etats-Unis, ne comportait qu'une marge de manoeuvre très limitée, et encore, Franz Fischler (le commissaire chargé des affaires agricoles) a dû batailler pour l'obtenir. L'atmosphère au conseil n'est pas au laissez-aller ! Et les autres clients des Etats-Unis, le Japon ou la Russie par exemple, suivent de près ce que font les Européens.
- En cas d'échec des négociations en cours, I'affaire pourrait être portée devant l'Organisation mondiale du commerce (OMC) avec un risque pour l'UE d'un arbitrage défavorable.
- Je ne verrai rien de dramatique à ce que nous nous retrouvions devant l'ONC. Puisqu'on a établi une procédure pour régler nos conflits, pourquoi ne pas s'y conformer ? Certes, le risque d'un arbitrage négatif existe... Dans ce cas, nous ferions appel. Nous sommes convaincus de notre bon droit et nous devons poursuivre le débat avec détermination. Il se peut que cette dynamique fasse réfléchir nos amis américains.
"Eux aussi se posent des questions. Ils n'ont pas eu l'ESB (I'encéphalopathie spongiforme bovine), mais ils ont connu divers épisodes préoccupants (salmonelles. . .). Les estimations les plus récentes font état d'environ 9 000 décès par an aux Etats-Unis causés par des infections d'origine alimentaire! La situation est à ce point grave -tutelle a conduit le président Clinton à adresser, le 25 février, une note aux ministres de l'agriculture de la santé et de l'environnement, leur donnant trois mois pour lui faire des propositions. Là-bas aussi, on s'interroge, au plus haut niveau, sur l'efficacité des normes sanitaires et des contrôles existants.
- Les Etats-Unis attaquent aussi l'UE devant l'ONC en raison de l'embargo décrété sur l'importation de viandes élevées aux hormones. Là encore, nous risquons de perdre. Prend-on assez en compte, au niveau de l'ONC, les préoccupations concernant la sécurité alimentaire qu'on voit émerger en Europe ?
- Peut-être pas aujourd'hui. Mais je pense que toute organisation internationale doit pouvoir évoluer. Souvent, cela arrive sous la pression de l'opinion publique.
- Mais ce sont les Américains qui donnent le ton à l'ONC et ce qu'ils veulent, c'est exporter leurs viandes aux hormones. Pourquoi les choses changeraient-elles ?
- Parce qu'il faut que quelqu'un leur achète leur viande. Et il est certain qu'il existe dans une grande partie de l'Union - pas dans toute l'Union- une sensibilité grandissante sur ces questions de sécurité alimentaire. Ce n'est pas encore le cas aux Etats-Unis.
- Où l'Union européenne en estelle sur la question fort controversée du maïs transgénique et, plus généralement, sur celle de la commercialisation des organismes génétiquement modifiés ? Après les premières autorisations accordées par la Commission le 18 décembre 1996, le Parlement s'est opposé, mardi 8 avril, à une telle mesure.
- Cette situation est à mes yeux insupportable. J'ai demandé au président de la Commission d'écrire au président du Parlement européen. Il est faux de dire que nous n'avons pas rendu publics les avis des instances scientifiques sur le maïs transgénique. La question de la commercialisation de cette plante a été exposée par la commission - alors même que la chose n'était pas obligatoire - devant trois comités scientifiques.
"En novembre 1996, le dossier était instruit et l'autorisation a, en définitive, été donnée. L'Autriche l'ltalie et le Luxembourg ont, en vertu de l'article 16, alors appliqué la clause de sauvegarde qui fait que durant trois mois - c'est-à-dire en I'espèce jusqu'au 14 mai -, ces pays peuvent ne pas commercialiser ce maïs. L'Autriche nous a adressé un dossier scientifique que nous avons transmis à nos trois comités scientifiques. A la fin du mois, si ces derniers maintiennent leur avis favorable, le maïs transgénique devra être commercialisé dans tous les pays de l'Union. Onze demandes de commercialisation de plantes transgéniques (différents types de maïs, de colza ou de soja) sont en attente, émanant de la France ou de la Grande-Bretagne.
- En dépit du risque de transmission de l'agent de la maladie de la "vache folle", I'embargo sur des gélatines britanniques d'origine bovine a été levé par Bruxelles le 11 juin 1996. La Commissioneuropéenne va-t-elle le rétablir ?
- Nous avons, sur cette question, saisi le Comité scientifique multidisciplinaire de l'Union européenne. Il y a quelques jours, ce comité a conclu que la méthode de production qui avait été jugée sans danger en juin 1996 n'était pas véritablement dénuée de risques. Ces experts scientifiques jugent d'autre part primordial de prendre des décisions quant à la qualité de la matière première. Ils estiment essentiel de faire le tri et d'éliminer tous les abats des animaux potentiellement infectieux.
"A mes yeux, les conséquences sont doubles. D'une part, la méthode britannique de production n'est pas, potentiellement, sans danger. Mais d'autre part, le tri des matières premières animales doit être effectué, non seulement au Royaume-Uni, mais dans tous les pays de l'Union. Ce n'est pas aujourd'hui le cas. La problématique est identique pour ce qui est des productions des farines animales pour lesquelles nous allons envoyer des missions d'inspection et organiser, début juillet, une grande conférence scientifique. Sur ce point, la commission ne parvient pas à se faire entendre par le conseil des ministres de l'agriculture. Les scientifiques nous ont réaffirmé leur certitude; j'espère que les ministres des pays de l'Union sauront tirer les conclusions qui s'imposent."
Propos recueillis par Philippe Lemaître et Jean-Yves Nau