KABILA, RESPONSABLE HIER COMME AUJOURD'HUI
Emma Bonino est commissaire européenne, chargée des questions humanitaires.
Propos recueillis par Jean-Michel Demetz
L'EXPRESS. Que sait-on du sort des réfugiés hutu?
EMMA BONINO: A ce jour, 30 000 d'entre eux ont pu être rapatriés par pont aérien de Kisangani vers le Rwanda. Quelques milliers ont été identifies en Angola, et des négociations sont en cours avec ce pays pour l'ouverture d'un couloir humanitaire. Le gouvernement du Congo-Brazzaville a demandé notre assistance pour quelques centaines d'autres. Restent 240 000 Hutu rwandais et de 20 000 à 40 000 Hutu burundais, aujourd'hui disparus, dont on ne sait rien.
Il y a trois semaines, vous accusiez Laurent-Désiré Kabila d'être "allergique a la démocratie, aux élections, aux droits de l'homme". Le tenez-vous pour responsable du sort de ces réfugiés?
M. Kabila, en tant que chef de la rébellion, avait sous son contrôle l'est du Zaïre. C'est une région à laquelle nous n'avons jamais eu accès, mais les témoignages qui nous sont parvenus sont effrayants. Maintenant que Kabila est chef d'Etat, j'estime qu'il est encore plus responsable de ce qui se passe là-bas. Malheureusement, je ne constate aucun changement en matière de respect des conventions humanitaires. Personne ne connaît la situation dans le Masisi, interdit aux medias.
La crise zaïroise n'illustre-t-elle pas, une fois de plus, la terrible absence de l'Europe?
C'est sûr. Je ne cesse de répéter que renoncer à la forcemultinationale en décembre fut une erreur. Les gouvernements européens ont fait semblant de croire à un énorme mensonge qui les arrangeait, à savoir que tous les réfugiés étaient rentrés au Rwanda. Et ce malgré les avertissements des humanitaires, qui pointaient déjà du doigt les centaines de milliers de disparus. L'Europe souhaitait une transition démocratique au post-mobutisme. Les rebelles se plaçaient dans une logique de conquête du pouvoir par les armes. Je ne comprends toujours pas pourquoi la conquête de Quinoas devait passer par le bombardement des camps de réfugiés.
Y a-t-il une leçon à tirer pour l'Europe?
Plus aucun pays européen n'a les moyens de résoudre une crise internationale à lui seul. Et, pourtant, on risque de rater l'occasion de se donner une politique étrangère commune dans le nouveau traité en discussion sur la refonte des institutions. Je suis sceptique sur notre possibilité de passer de la règle de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée. Or un statu quo signifierait l'échec de l'Europe: le plus important donateur d'aide et d'assistance humanitaire est incapable d'émerger comme un partenaire politique.