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Conferenza Emma Bonino
Commissione Europea Letizia - 16 luglio 1997
Humanitaire * L'evenement du lundi, page 84

EMMA BONINO

L'EMMERDEUSE DES DROITS DE L'HOMME

"On demande des emmerdeurs" Dans son bureau de la Commission européenne, à Bruxelles, Emma Bonino a placardé un slogan du Parti radical italien, sa formation. Emmerdeuse, rêveuse, pasionaria, Emma Bonino est l'une des personnes les plus attachantes des ces institutions européennes généralment gérées et dirigées par des technocrates froids et sans âme. Membre du Parlement europeen en 1979, réélue en 1984, elle a été nommée commissaire européenne en 1995. Elle a reçu, il y a trois mois, le Prix européen de l'année.

A la pointe du combat pour les droits de l'homme, elle se bat sur le terrain pour les faire respecter - quelquefois en pure perte. Contre le nucleaire, pour la dépénalisation de la drogue, elle inspire toujours la crainte chez les notables économistes. Chargée de la pêche et des droits de l'homme, elle s'occupe plus en ce moment des tragedies en Afrique que de la guerre du turbot entre l'Espagne et le Canada.

Cela fait vingt ans qu'elle est "entrée" en politique. Membre du Parti radical italien, elle s'est battue pour le droit au divorce et a l'avortement. Au Vatican, certains l'ont traitée de sorcière. Elle a fait deux sejours en prison qui, dit-elle, lui ont beaucoup apporté. Avec elle, on se prend à rêver d'une Europe differente, plus humaine, plus politique, plus responsable.

Laure Adler: Avez-vous l'impression que la vie aujourd'hui vaille partout la même chose?

Emma Bonino: Non, c'est une evidence eblouissante. Si nous prenons le dossier dont je me suis occupée recemment, je constate que, pour sauver des centaines de milliers de Hutus, personne ne s'est deplacé, mais on a envoyé des centaines de militaires pour aider les expatries, a juste titre. Je ne tais pas de polemique, je constate que la vie d'un Européen vaut donc plus que celle d'un refugié hutu. De tels exemples, helas! sont de plus en plus nombreux.

L.A.: Pourquoi, a votre avis?

E.B.: Les droits de l'homme ne sont pas gratuits. Force est de constater qu'on protège la vie de ceux qui ont un prix, de ceux qui possedent une valeur commerciale. Pour le reste. que fait-on ?

Pourquoi ne coupons-nous pas nos relations commerciales avec les pays qui n'appliquent pas les conventions des droits de l'homme ? Nous sommes tres doués pour parler avec talent et conviction des droits de l'homme le dimanche. Du lundi au vendredi, on fait autre . Nous allons vers un monde ou la mondialisation economique prime sur le respect des droits de l'homme.

L.A.:Et de quelles vies parlons-nous?

E.B.: Il y a des evenements qui me frappent particulierement, comme la question des taliban en Afghanistan. Je sais que les Afghans sont censés être anti-iraniens et, de ce fait, proeuropéens, donc pro-occidentaux. Qui doit payer le prix de tout cela ? Il est payé par 60 % de la population, notamment les femmes, privées des droits les plus elementaires: I'ecole, le travail. Elles n'ont même plus le droit de marcher dans la rue sans être accompagnées par les hommes. On a remplacé les prisons en béton par des prisons de voiles. Elles sont réduites à la condition de citoyen de deuxième, de troisième categorie. Et nous, Occidentaux, acceptons tout cela, parce que nous pensons qu'il faut que le pétrole passe par l'Afghanistan plutôt que par l'Iran.

L.A.:Donc vous pensez qu'il n'y a plus que les Occidentaux qui ont des droits ?

E.B.:Même dans nos pays, il y a des violations des droits de l'homme, mais à des niveaux un peu differents. Les conventions disent que les droits de l'homme sont indivisibles - mais si, en Europe, les droits à la vie sont respectés, ailleurs on n'a plus envie de payer le prix nécessaire pour les imposer. C'est aussi une vision trés courte de nos politiques que d'enteriner cet état de fait, car ['Histoire montre que tous les pays dictatoriaux ou autoritaires qui ne respectent pas les droits de base menacent la paix. On a fait cette erreur avec Saddam Hussein, qu'on a soutenu pendant des années car, au début, il se disait pro-occidental. On connaît la suite. A toujours miser sur des hommes forts, voulant pas voir qu'ils sont des dictateurs, en croyant qu'avec eux on continuera à faire du commerce, on menace toujours la stabilité. Car les dictateurs ont la fâcheuse tendance d'exploser tôt ou tard. La politique est toujours une somme de calculs, mais le court terme est dangereux. Il est plus fructueux de faire

du commerce avec des pays democratiquement stables.Nous, nous n'avons pas peur d'exporter n'importe quoi au bout du monde, mais nous restons trés modestes quand il s'agit d'exporter notre idee de democratie.

L.A.: N'avez-vous pas l'impression, vous qui avez enquêté sur le terrain, que nous, Occidentaux, nous avons interiorisé et profondement accepté que la vie n'ait pas le même prix selon l'origine? Est-ce une défaite philosophique?

E.B.: On a signé des declarations, on a montré de la compassion, mais notre implication en profondeur, ou est-elle? Par exemple, concernant la tragedie des Hutus, j'ai lu des articles de gens tres respectables qui disaient que les Africains ont toujours eu cette tendance a s'entretuer: c'est toujours génocide contre génocide. Tout cela pour nous donner bonne conscience. On a vu des massacres au Zaire et on n'a rien fait. Les Americains etaient en revanche tres presents pour des contrats sur les diamants, le cobalt, le cuivre... Les accords commerciaux ont été signés à 10 kilometres du lieu des massacres de Lubumbashi. Aujourd'hui, dans le monde, il n'y a plus de sanctuaire! Quand les refugies vont-ils se sentir en securité ? Sous quel drapeau, si le drapeau des Nations unies ou de la Croix-Rouge ne garantit plus la vie ? Les militaires sur le terrain disent toujours que tout finit par rentrer dans l'ordre. On termine ce siecle avec une attitude tres sombre. Les drames de la Seconde Guerre mondiale ont donné

lieu à la naissance des conventions humanitaires.

En sortant de ces catastrophes, on s'etait dit: il y a là un niveau de cruauté qu'on ne va plus jamais accepter. ..

L.A.: Et la definition de l'espèce humaine... Ne vous parait-elle pas terriblement remise en cause?

E.B.: Oui, c'est pourquoi j'essaie de promouvoir un tribunal international permanent. II y a un sentiment d'impunité effrayant, a tous les niveaux, que ce soit les soldats italiens tortionnaires en Somalie ou le respect que nous portons aux grands dictateurs: certains pensent qu'on peut faire n'importe quoi parce que, de toute façon, il n'y aura pas de réaction de la communauté internationale. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, on avait accepte une espèce de sacralité de l'oeuvre humanitaire: sauver des vies, c'etait censé être une tache sacrée, donc on ne tirait pas sur la Croix-Rouge. Maintenant, non seulement on tire sur la Croix-Rouge, mais les humanitaires savent qu'ils deviennent des temoins incommodes des massacres.

L.A.: On n'a jamais autant parlé des droits de l'homme, et on ne les a jamais autant violés. N'avez vous pas l'impression que l'arme humanitaire est une arme à double tranchant, très perfide au fond? E.B.: II faut considérer l'aide humanitaire pour ce qu'elle est. Nous sommes des pompiers. Ils ont des limites mais personne ne met en question l'utilité d'avoir des pompiers. Personne n'attend non plus du pompier qu'il poursuive le pyromane ou qu'il rebatisse les maisons brulées. II y a d'autres institutions qui le font. Les pompiers arrivent quand il y a le feu et essaient de sauver des vies. Là sont la limite et la valeur de l'humanitaire. Il ne faut pas accepter que tout soit resolu par les humanitaires: ce serait pour se donner bonne conscience. Or les humanitaires ne sont pas armés, ils ne peuvent pas aller dans des camps de 500 000 personnes souvent armées d'ailleurs, dire a tel ou tel:"je vous arrête pour genocide". Mais, quand on a supplié une force de police internationale de séparer les refugiés armés

des réfugiés sans armes, I'Onu nous a repondu: pas question, c'est trop cher. On veut que les humanitaires fassent tout. Je ne peux pas faire de diplomatie, je n'ai pas l'arme du chantage, je seulement l'arme de dire la vérité.

L.A.:Etes-vous les pompiers de la vie ou d'une survie temporaire ?

E.B.:On espère que c'est de la vie, mais il est sûr que notre but est de gagner du temps pour les vivants en attendant des negociations politiques. Tous nos appels a la communauté internationale pour prendre en charge l'aspect politique ou pour trouver des solutions sont tombés a l'eau. Je crève de rage dix fois par jour. Je suis un pompier qui hurle:" Je vais eteindre le feu, mais il faut que vous arretiez les pyromanes parce que, sinon, notre propre maison va brûler". Chez nous, on s'agiterait pour arrêter les pyromanes mais, quand cela se passe en Afrique, en Asie, il n'y a plus personne.

L.A.: Vit-on dans un monde déchiré?

E.B.: J'ai l'impression que chaque pays regarde son nombril, même l'opinion publique et la classe politique sont beaucoup plus interessées par leur politique nationale que par l'Europe. N'oublions pas que le rêve européen était né d'un autre rêve: jamais plus la guerre entre nous. Un rêve ideal et très politique... Aujourd'hui, au sein de l'Europe, on discute des nuits entières pour se partager des portions du monde qui n'existent plus.

L.A.: Vous discutez des nuits de poissons qui disparaissent, vous avez été la pasionaria des turbots et, pendant ce temps, les massacres continuent...

E.B.: L'Europe n'a pas envie d'avoir une politique étrangère commune, elle n'a pas envie de beaucoup s'impliquer dans les affaires politiques internationales. Elle risque de continuer a être un géant economique, mais sans la politique étrangère commune qui serait l'unique arme réelle de prevention. Le sommet d'Amsterdam n'a rien changé: la paralysie continuera avec la regle de l'unanimité. J'etais dçue qu'à Amsterdam on ne decide pas a la règle de majorité aussi en politique étrangère.

L.A.: A quoi ca sert l'Europe, alors?

E.B.: A avoir une grande assiette en commun. Pour l'Europe sociale, on a decidé de se donner rendez-vous au mois d'octobre.

L.A.: Donc, vous donnez raison à tous ceux et à toutes celles qui vivent en Europe et en sont contents, mais qui en même temps n'y adherent pas d'une maniere personnelle ?

E.B.: Les citoyens ne se sentent pas impliqués et représentés quand ils constatent l'épuration de masse en Bosnie. Cela a été une immense deception pour l'idée même de l'Europe. Ce n'est pas seulement la monnaie qui va nous tenir ensemble. C'est mon opinion, et elle n'est pas populaire. Les gens pensent que cela suffit. On n'est pas seulement un compte en banque. Le budget de l'Union europeenne, 85 milliards d'euros, ne consacre que 10 % a l'education, la santé, la recherche. . . C'est ce que Maastricht avait voulu et ce qu'Amsterdam continue. Pour le moment, I'Europe reste la plus grande donatrice d'ceuvres humanitaires, d'aide au developpement, mais elle n'est toujours pas un partenaire politique.

Quand un chef d'Etat a besoin d'un partenaire, il appelle Washington: regardez la Bosnie, le Zaire... Mais a l'Europe on enverra la facture pour reconstruire le Zaire, c'est sur. .. Ce n'est pas la faute des Américains: eux, ils ont une politique, des interêts nationaux et des instruments. Le problème, c'est que nous, Européens, nous laissons un vide. Dans la vie privée comme dans la vie publique, le vide n'existe pas. Certains pensent que je suis impatiente ou pessimiste. Je ne pense pas que l'intégration economique provoquera forcement l'acceleration de la résponsabilité politique.

L.A.:Extrème pauvreté dans une partie du monde, extrême abondance dans quelques pays privilegiés. Cette inégalité va-t-elle perdurer?

E.B.: Les zones d'extrême pauvreté se sont plutôt- très lentement parce qu'il y a toujours des personnes qui crèvent de faim - rèduites dans dernières années: I'Asie, par exemple, est en train de connaître un boom economique qui n'était pas previsible il y a quinze ou vingt ans. Le continent qui est en détresse totale, c'estl'Afrique. Je pense que le modèle sur lequel nous vivons - une citadelle riche entourée demillions d'affamés - n'est pas envisageable même à moyen terme. Mes grands-parents ont émigré d'Italie vers les mines de Belgique. On prévoit pour 2010, 140 millions de personnes sur la rive sud de la Méditerranée avec une economie qui n'augmente pas. Ces gens ne vont pas rester en état d'extrème pauvreté chez eux. Ils vont donc chercher une autre possibilité de vie. Nous ne serons jamais capables d'empecher des immigrations massives, notamment quand elles sont dués à la pauvreté.

L.A.: Etes-vous isolée dans votre combat?

E.B.: Non, j'ai l'impression qu'il y a un sentiment de plus en plus repandu de honte et d'impaissance. J'espere qu'à force de hurler je pourrai faire changer les choses. Certains font semblant de m'ecouter, mais je dis des choses qu'ils savent dejà tres bien. Moi, je ne dispose ni de lasers ni de missiles pour savoir ce qui se passe. Ce que je savais du Zaire, tous les ministres le savaient beaucoup mieux que moi. Ils ont des ambassadeurs sur place, des conseillers militaires, des structures. Donc, la question que je me pose aujourd'hui est aussi une provocation: est-ce que l'opinion publique, I'ensemble des citoyens européens seraient prêts à payer le prix d'une defense rigoureuse des droits de l'homme ? Est-ce que les politiques ne sont pas le reflet passif de leur propre opinion publique ? Est-ce que les politiques seraient prets à dire, par exemple: on ne veut pas cet accord commercial avec ce pays. . . Est-ce qu'on serait prêt à ne pas avoir le marché chinois ? L'opinion publique n'est pas statique, ell

e réagit aussi aux informations qu'on lui donne. A la fin, I'opinion publique risque de ne vouloir que ce que nous voulons d'elle...

L.A.: Le XXI. siecle sera religieux ou economique?

E.B.: On est encore dans la phase monetariste economique. Mais je suis convaincue que les valeurs qu'on a essaye de mettre au vestiaire pendant longtemps reviennent. Cette exigence de valeurs qu'on a abandonnée pendant plusieurs siècles aux Eglises de toutes obediences represente Ia coté spirituel de chacun de nous. Même les laiques comme moi ont des valeurs. Je trouve dangereux que la politique ne s'occupe que d'economie et que tout le reste soit laissé aux catholiques, aux islamiques et aux sectes, etc. Parfois, au niveau politique, on a un peu de difficulté à parler en termes d'emotion ou de valeur. Il faut être concret et rationnel, ce qui est tres bien, mais moi je trouve qu'un peu plus d'elan et d'emotion en politique, cela ne ferait pas trop de mal.

L.A.: On vit dans une situation sans modèle. Est-ce bien ?

E.B.: Ce n'est pas plus mal. C'est plus difficile parce que chacun doit faire une recherche individuelle. Nous, les femmes, nous le savons tres bien, nous avions un modèle figé: le mariage, la maternité... C'était difficile de trouver une autre façon de vivre. Mais nous n'avons jamais regretté d'avoir contesté ce modèle

.

L.A.: Vous n'êtes pas mariée?

E.B.: Non, je n'en ai jamais senti la necessité... Cela ne veut pas dire que je n'ai pas eu d'amoureux... J'ai vecu treize ans avec un mec...

L.A.: Vous n'êtes pas mariée, mais vous avez un casier judiciaire?

E.B.: J'ai un casier judiciaire: j'ai avorté et je l'ai déclaré. C'était en 1975, au debut de la campagne pour la légalisation de l'avortement en Italie. J'ai un petit casier, comme beaucoup de militants des droits de l'homme!

L.A.: En quoi placez-vous vos espoirs?

E.B.: Les personnes. L'individu fait marcher ['Histoire. Je sais qu'on dit que c'est la theorie, I'economie, etc. Mais les grandes conquêtes de l'Histoire ont été obtenues par des individus qui se sont organisés contre vents et marées, pour des luttes de trente ou quarante ans. Regardez Mandela: vingt-sept ans de prison.

 
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