Elle est membre de la Commission européenne mais a gardé un franc-parler pas très technocratique

EMMA BONINO, LA COMMISSAIRE-PASSION

Agitatrice tendance Don Quichotte, elle en irrite certains mais en séduit beaucoup. Rencontre avec un personnage, grâce a Michèle Cédric.

VÉRONIQUE KIESEL

Emma Bonino est probablement le seul commissaire européen a avoir été plusieurs fois en prison et pas comme visiteuse. Car pour celle qu'on appelle , voire "la sorcière", toutes les armes sont bonnes pour lutter contre l'injustice et l'hypocrisie, à condition qu'elles soient non violentes. Alors depuis plus de 20 ans, elle n'hésite pas à se faire arrêter pour dénoncer des lois absurdes: en Italie, au milieu des années 70 en avouant qu'elle a avorté clandestinement et, plus récemment, aux Etats-Unis, en distribuant des seringues à des drogués alors que leur vente libre était interdite.

Comment cette agitatrice professionnelle, membre du Parti radical, s'est-elle insérée au sein de l'équipe du beaucoup plus placide Jacques Santer? Fort bien ma foi, au point que Jacques Delors lui a fait l'hommage de dire qu'il regrettait qu'elle n'ait pas travaillé avec lui. Avec un tel personnage, la longue interview de Michèle Cédric dans son est riche et toute en nuances.

Car Emma Bonino est pleine de paradoxes: pour cette femme de combats, avoir un enfant demandait un courage, un engagement à vie qu'elle dit ne pas avoir. Mais elle a élevé pendant plusieurs années deux petites filles en situation difficile. Et quand elles sont retournées dans leur famille, Emma était dévastée et a dû changer de maison car elle ne supportait plus le de cet endroit qui bruissait naguère de cris et de rires. Mais si madame la commissaire est parfois grave, elle manie plus souvent l'humour, un humour à froid assez irrésistible. Parlez travail: elle répondra passion. Et c'est donc à fond quatorze heures par jour et 7 jours sur 7, qu'elle défend ses dossiers: l'aide humanitaire, la consommation et la pêche. Si ses qualités humaines la prédisposaient à s'occuper des deux premiers, c'est avec une certaine inquiétude qu'elle a hérité du troisième. Mais grâce à une crise majeure avec le Canada, elle a pu s'immerger dans le dossier et passer à l'action. Car la méthode Bonino est simple: on étudie, on

va sur le terrain et on s'explique, quitte à se disputer avec ceux qui ne sont pas d'accord. Mais l'essentiel est de faire passer le message sans ambiguïté. Recommencez, ma mère n'a rien compris, est une des phrases qu'elle envoie fréquemment à ses interlocuteurs trop jargonneux. Et pour elle, tourner autour du pot, c'est perdre un temps trop précieux.

Pour cette Européenne convaincue il faut avancer sur la voie de l'union en ce qui concerne défense et politique étrangère. Les crises actuelles sont tellement complexes, explique-t-elle, que seul, aucun pays européen ne peut se montrer efficace. Et de garder un souvenir amer des faux engagements internationaux, fin 96, à organiser une force d'interposition pour venir en aide aux réfugiés rwandais dans l'est du Zaïre. Elle a rugi dénoncé, tempêté, rien n'y à fait, et plusieurs centaines de milliers de personnes ont disparu, plus que probablement mortes, à cause de cette inertie.

Autre drame qu'elle n'a pas évité, les massacres de Srebrenica, en 1995. Quand l'enclave est prise par les Serbes, elle saute dans un avion et constate que, sur les 42.000 personnes placées sous la protection de l'ONU, il n'en reste que 23.000, femmes, enfants, vieillards. Où sont les hommes et les jeunes gens? Ils ont été massacrés, et le monde n'a rien fait.

Malgré ces échecs, Emma Bonino est plus décidée que jamais à continuer, à travailler à l'amélioration d'une Europe politique au service des êtres humains et pas le contraire. Car, elle en a fait l'expérience, il est possible de faire changer les choses...

"Dites moi: RTBF1, 22h 30.