par Alain BorgognonSOMMAIRE: Les derniers sondages l'indiquent: gouvernée depuis neuf ans par une majorité fédéraliste, la "belle province" est éprise de changement. L'unité canadienne risque d'être mise à rude épreuve.
(Journal de Genève, 1-9-94)
Si les sondages se confirme, les Québécois vont élire un gouvernement majoritaire indépendantiste le 12 septembre prochain. Jacques Parizeau, le souverainiste orthodoxe, deviendra alors le prochain Premier ministre de la province en remplacement du libéral et très fédéraliste Daniel Johnson.
L'unité canadienne va donc une nouvelle fois être mise à dure épreuve. Car si le prochain scrutin ne donne pas aux souverainistes le droit de proclamer unilatéralement l'indépendance du Québec, il est certain qu'ils vont profiter de l'exercice du pouvoir pour faire avancer leur cause. C'est à l'occasion d'un référendum qui doit se tenir le printemps prochain que la question de la souveraineté devrait être tranchée.
Les Québécois veulent du neuf, du changement, et c'est pour cela qu'ils s'apprêtent à répudier les libéraux. Aux commandes de l'Etat depuis plus de neuf ans, ces derniers sont usés. Ils n'ont pas grand-chose à proposer aux électeurs et, faute d'idées, Daniel Johnson tente surtout de garder son poste en répétant continuellement »qu'un vote pour le Parti Québécois, c'est un vote pour la séparation du Québec du reste du Canada . Il faut dire que les partis en présence, mis à part la question constitutionnelle, se différencient très peu, notamment au niveau économique, puisqu'ils se situent tous deux à gauche de l'échiquier politique.
Au cours d'un débat télévisé cette semaine, le Premier ministre sortant avait une dernière chance de faire trébucher son adversaire. Les échanges entre les deux hommes ont été »virils , mais sans véritable gagnant ou perdant. Pour conserver le pouvoir, Daniel Johnson devait surtout convaincre les francophones puisque les anglophones l'appuient déjà massivement. Pour cela, il a misé sur l'aspect »aventureux de l'indépendance. Mais Jacques Parizeau, politicien d'expérience, a su s'en tirer en attaquant avec force le fédéralisme tel qu'il est pratiqué au Canada.
Paradoxes québécois
Il est curieux de constater que, si les Québécois s'apprêtent à élire un gouvernement souverainiste, ils ne veulent pas pour autant que le Québec quitte la fédération canadienne! Près de 60% des électeurs, selon les derniers sondages, ne sont toujours pas disposés à appuyer l'lndépendance!
Cette situation contradictoire est typiquement québécoise. Cest que depuis longtemps les électeurs de la province francophone ont appris à ne pas mettre tous leurs oeufs dans le même panier.
Actuellement le gouvernement fédéral et son chef, Jean Chrétien, sont très forts et tentent d'asseoir chaque jour un peu plus le pouvoir d'Ottawa sur les provinces. Devant cette situation, Daniel Johnson, un fédéraliste enthousiaste, n'est pas perçu comme le meilleur défenseur des intérêts du Québec au sein du pays. Les citoyens sont par contre persuadés que Jacques Parizeau, un homme respecté mais pas très aimé, est mieux placé pour résister à l'appétit d'Ottawa.
L'histoire du Québec politique est pleine d'exemples où les citoyens ont équilibré les pouvoirs des uns et des autres. C'était notamment le cas il y a dix-huit ans alors que Pierre-Elliott Trudeau était à Ottawa et René Lévesque à Québec. C'est un peu la même chose qui risque de se répéter le 12 septembre.
Après tout, il faut une certaine »sagesse politique pour qu'un peuple de sept millions de francophones survive au milieu d'un océan de 250 millions d'anglophones!
D'ici l'élection, et encore plus après, il faut s'attendre à de belles luttes entre le Parti Québécois de Jacques Parizeau et le reste du Canada. Les dossiers de l'éducation, de la formation professionnelle, de la santé, de l'immigration, etc. seront autant de champs de batailles, les deux camps ayant constamment à l'esprit l'échéance référendaire du printemps prochain. Des Premiers ministres de provinces anglophones ont déjà promis de mener la vie dure au chef indépendantiste.
Economie en crise
Les conflits à venir seront d'autant plus sévères que l'état de l'économie canadienne est très mauvais. Les dettes d'Ottawa dépassent les 500 milliards de dollars. Les taxes et les impôts sont tels qu'ils favorisent le développement rapide d'un gigantesque marché noir du travail. Au Québec, une personne sur neuf vit des prestations de l'assurance chômage ou de l'assistance sociale, une situation qui est encore plus grave dans les provinces de l'Atlantique. Les poches des gouvernements sont vides et partout on ne parle que de coupures, de diminution des services et de restrictions budgétaires.
Pour ne pas donner l'impression que Daniel Johnson ne pouvait défendre seul la cause fédéraliste, le Premier ministre canadien, Jean Chrétien, s'est fait très discret durant la campagne électorale québécoise. Il faut cependant s'attendre, si Jacques Parizeau remporte la victoire, à un changement radical de stratégie du chef du gouvernement fédéral. Selon son habitude et son tempérament, il va alors tout faire pour que les indépendantistes ne puissent convaincre les 10 % de citoyens qui manquent encore pour remporter le référendum sur la souveraineté.
Alain BORGOGNON