L'ITALIE REFUSE DE JOUER EN DEUXIEME DIVISIONpar André Riche (avec AFP)
(Le Soir, 5-9-94)
L'Europe a ceci de merveilleux (ou d'ennuyeux, selon les points de vue) : même si vous la mettez en veilleuse pendant une longue trêve estivale, vous retrouvez à la rentrée les mêmes sujets à l'ordre du jour. En l'occurence, la question qui agite aujourd'hui la sphère européenne a été formulée jeudi passé, à Bonn : faut-il s'orienter maintenant vers une construction européenne "à géométrie variable" ? L'interrogation était déjà dans l'air avant l'été. En fait, elle pèse sur l'Union européenne depuis Maastricht, en 1991, lorsqu'il fallut consentir des exceptions notables à Londres pour permettre à la Communauté d'accroître son intégration politique, économique et sociale. Des exceptions similaires durent ensuite être garanties au Danemark pour qu'un second référendum, en 1993, débloque le projet de Maastricht. Car, jusqu'à présent, toute révision des traités requiert l'accord unanime des parties prenantes. Or, en 1996, l'Union européenne s'attaquera à une nouvelle révision, aussi ambitieuse que l'étape de Ma
astricht. Il s'agira surtout de réformer les institutions imaginées dans les années cinquante pour une Communauté à six et que les élargissements successifs et à venir rendent de plus en plus inadéquates. Derrière ce débat, c'est la nature de la construction européenne qui est en jeu.
C'est dire si, pendant les deux années qui viennent, on reparlera d'Europe "à géométrie variable". Car pour beaucoup, le seul moyen de faire de nouveaux progrès dans la construction européenne serait désormais de permettre à un "noyau dur" d'Etats membres d'aller de l'avant sans plus s'encombrer des sempiternels réticents. C'est la CDU-CSU, le parti d'Helmut Kohl et non le chancelier lui-même, ni le gouvernement allemand, qui a formulé cette conception de l'intégration européenne jeudi dernier.Deux jours plus tôt, le Premier ministre français, Edouard Balladur parlait lui aussi d'une Europe articulée autour de trois cercles concentriques.
Le noyau dur, selon la proposition de la CDU-CSU, serait constitué de cinq pays : l'Allemagne, la France et les trois du Benelux. C'est-à-dire les membres fondateurs des années cinquante, mais à une grosse exception près : l'Italie !
L'affaire fait grand bruit à Rome où le gouvernement de Silvio Berlusconi a jugé cette idée inacceptable. Ce sont là des idées incompatibles avec le traité de Maastricht, selon M. Berlusconi, qui rappelle que la révision de 1996 devra être adoptée à l'unanimité.
Selon le ministre italien des Affaires étrangères, Antonio Martino, une telle conception ne peut conduire qu'à l'éclatement de l'Europe. Si ce projet devait se réaliser novs aurions une version camouflée d'un axe franco-allemand, je ne dis pas en position hégémonique, mais en tous cas privilégiée à l'intérieur de l'Union européenne. Le chef de la diplomatie italienne devait envoyer à bref délai un émissaire à Bonn pour demander des éclaircissements. Quant à la presse italienne du week-end, elle s'est profondément émue de voir le pays, pourtant signataire du traité de Rome, se faire reléguer en deuxième division européenne.
André RICHE (avec AFP)