LE COMITE DES REGIONS FAIT SES PREMIERS PAS
par Martine Valo
Le Monde, Heures Locales, dimanche 25 lundi 26 septembre 1994
Voilà à peine six mois qu'il existe, et il a déjà des ennemis. Il n'a toujours ni salle de réunion, ni administration, mais il s'est déjà mis au travail. Le comité des régions - l'organe de consultation des collectivités locales voulu par le traité de Maastricht - a fait des débuts particulièrement rapides pour une institution européenne. Le mercredi 9 mars 1994 se tenait sa première assemblée plénière, à Bruxelles, où le Français Jacques Blanc (UDF-PR) était élu président, de justesse et à la surprise générale.
Dans la foulée, les 189 membres du comité des régions, désignés quelques semaines plus tôt par leurs gouvernements respectifs, se sont dotés d'un règlement et ont rendu douze avis que la Commission de Bruxelles les pressait de formuler, dans des domaines aussi divers que les réseaux télématiques, les fonds structurels, l'"Europe contre le sida", ou la modernisation du textile au Portugal. Les 27 et 28 septembre, ils s'apprêtent à en rendre une petite dizaine de plus, à l'occasion de leur quatrième session.
Selon le président du Conseil général de Haute-Vienne, Jean-Claude Peyronnet (PS), l'un des vingt-quatre représentants français, une telle mise en jambe donne un inévitable sentiment de "pagaille". Mais les membres de la délégation française se montrent compréhensifs pour ces difficultés de jeunesse. Claude du Granrut (UDF), vice-présidente du Conseil régional de Picardie et auteur d'un ouvrage qui plaide justement pour l'Europe à l'heure des régions, s'enthousiasme pour le "pragmatisme" des avis rendus. Comme d'autres délégués, tous deux se disent prêts à promouvoir dans leur collectivité, l'action du comité, qui a bien besoin d'un renfort de publicité.
Autour du président du conseil général de Moselle, Philippe Leroy (RPR), qui a pris la tête de la délégation française, est en train de se constituer une équipe de techniciens. Elle devrait permettre à l'avenir, de mieux préparer des dossiers souvent complexes. Redoutant de se sentir pris en tenaille par les deux grands groupes politiques européens - le PPE (le parti d'origine démocrate-chrétienne) et les socialistes - Jacques Blanc a, en effet, privilégié la constitution de commissions par pays.
"Il serait bon que nous arrivions à nous prononcer vite sur les grands axes de la politique de développement, sur l'aménagement du territoire, les grands équipements", estime Philippe Leroy. Le risque est, en effet, de sombrer dans une dispersion, qui caractérise les travaux du Conseil économique et social européen et qui a réduit l'influence de cette assemblée. Les Français se rejoignent peu ou prou dans cette analyse. En fait, une certaine cohésion semble à l'ordre du jour du côté hexagonal. Ainsi, la polémique sur l'incongruité de faire siéger ensemble régions puissantes et petites communes semble s'être assourdie pour le moment (Le Monde du 7 mars 1994). Les Allemands sont les seuls à montrer quelques réserves "parce qu'ils n'ont pas encore digéré mon élection", déplore Jacques Blanc, qui est aussi le président du conseil régional du Languedoc-Roussillon.
A 'priori', le comité des régions ne démarre donc pas sous d'aussi mauvais auspices que certains l'avaient imaginé. Ses membres - y compris les élus des Länder allemands - se montrent assidus. Comme il était prévu, les fonctionnaires de la Commission européenne suivent attentivement les travaux de la jeune institution. Celle-ci peut s'enorgueillir de quelques visites remarquables, comme celles de Jacques Delors et d'Egon Klepsh, président du Parlement européen jusqu'aux élections de juin dernier. Celui-ci fut même le premier à lui souhaiter la bienvenue et à l'accueillir pour sa séance inaugurale, dans l'hémicycle bruxellois des parlementaires européens. Cette faveur ne s'est pas renouvelée.
"J'espère, et je pense surtout à votre propre intérêt, que vous pourrez disposer très bientôt de votre propre salle de réunion": dès les premiers mots d'Egon Klepsh, les représentants des collectivités locales ont su à quoi s'en tenir, au grand dam de Jacques Blanc, qui aspire justement à quitter les locaux du comité économique et social "trop petits", assure-t-il. Trop marqués, surtout, par un aréopage qui a bien du mal à se faire une place dans le paysage bruxellois.
Le sens de l'hospitalité des députés est moins en cause que leur goût des symboles. Que l'hémicycle reste vide lorsqu'ils siègent à Strasbourg ne change rien à l'affaire, les assemblées parlementaires ne sont pas prêteuses, c'est là "une tradition dans la plupart des Etats", explique Nicole Pery (PS), vice-présidente du Parlement et chargée des rapports avec les autres institutions européennes. Le comité des régions pourrait néanmoins se voir céder, avec moult réticences, une des salles de l'espace Léopold, l'ensemble construit pour accueillir le Parlement à Bruxelles.
La création du comité a suscité des réactions "frileuses", admet Mme Péry, employant précisément le même terme que son homologue Jean-Pierre Rafarin (UDF-PR), questeur du Parlement. En fait, les députés, conscients de ne pas s'être imposés autant qu'il sied à une assemblée élue au suffrage universel, réagissent devant ce nouvel organe doté, pourtant, d'une simple fonction consultative, comme devant un concurrent. "Pourquoi les députés douteraient-ils de notre légitimité ? Je ne remets pas en cause la leur !" lance Jacques Blanc, qui ne dédaigne pas la provocation.
Des poids lourds politiques
L'homme, qui s'est montré habile négociateur jusque là, saura-t-il mettre suffisamment les formes pour amadouer les parlementaires ? "Il nous faut devenir partenaires. Un affrontement affaiblirait à terme le processus régionaliste en Europe", s'inquiète Jean-Pierre Rafarin, qui depuis longtemps défend la place des régions en Europe. "Nous pourrions les soutenir sur des conflits ponctuels face à la Commission ou au Conseil des ministres", renchérit le président du Languedoc-Roussillon. Car ce dernier compte sur le poids politique de son comité, où siègent des présidents de régions allemandes, belges, espagnoles, pour se faire entendre.
"Le Parlement européen pourra collaborer avec le comité quand celui-ci aura clarifié ce qu'il veut devenir", analyse Elisabeth Gateau, secrétaire générale du Conseil des communes et des régions d'Europe (CCRE), l'une des deux associations - avec l'Assemblée des régions d'Europe (ARE) -, qui ont oeuvré pour la prise en compte des collectivités territoriales par l'Union européenne. Certains rêvent, en effet, d'un rôle de codécision pour le comité des régions; d'autres n'ont pas abandonné l'idée de séparer les régions des autres collectivités locales, en deux chambres distinctes. Jacques Blanc est de ceux-là.
Nombre d'hypothèses plus ou moins réalistes circulent. Elles peuvent sembler lointaines. La révision du traité de Maastricht en 1996 risque d'accélérer les débats et surtout de raviver les querelles. Il n'est pas difficile de prédire que la commission des affaires institutionnelles du comité des régions (la seule à n'avoir pas encore entamé ses travaux) s'annonce animée. Ce n'est pas par hasard si elle a à sa tête un trio de choc: Jacques Blanc dans le rôle du président, Jordi Pujol (centre-droit), président de la communauté autonome de Catalogne et chef de file de l'ARE dans celui de rapporteur, et Pasqual Maragall (socialiste), maire de Barcelone et président du CCRE dans celui de vice-président.
La conclusion s'impose à tous: le comité des régions ne dispose que de peu de temps pour convaincre qu'il est bien le "gardien naturel de la subsidiarité", selon les termes de son actuel président. Cette assemblée va devoir acquérir très vite une crédibilité suffisante si elle ne veut pas être trop secouée par les turbulences engendrées par la révision des institutions européennes.