LE DEBAT SUR L'EUROPE A DEUX VITESSES.
OUI A UN CENTRE FORT.
par Bernard Bosson*
(Le Monde, 24-9-94)
Il n'y a pas sur notre continent d'autres chances de paix, de puissance et de progrès que la construction européenne. Il est important, notamment, que des Français répondent au courage des parlementaires de la CDU, qui ont, par un texte fort, rappelé les voies d'avenir que nous, centristes, européens, sommes nombreux, depuis déjà longtemps, à largement partager.
Nous devons tout mettre en oeuvre pour parachever l'Union européenne. Elle est aujourd'hui trop technocratique. Il faut lui donner sa nécessaire dimension politique et démocratique.
Les moyens ne manquent pas : renforcement des pouvoirs du Parlement européen, modification de son système d'élection dans certains pays, renforcement de ses liens avec les Parlements nationaux; modification des conditions de nomination des commissaires européens, adéquation de leur nombre avec les principales responsabilités dévalués à l'Union, responsabilisation des commissaires collectivement et individuellement, à la fois devant le Parlement européen et devant le Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement; modification des structures gouvernementales nationales pour renforcer aux côtés du premier ministre l'importance, le poids, le pouvoir du ministre des affaires européennes.
Mais que l'on ne vienne pas nous parler dune Europe des Etats : une telle Europe n'existera jamais. Il n'est pas sérieux de croire à un immense ensemble qui serait construit sur la base d'une simple coopération interétatique. Un tel système n'a jamais réussi à fonctionner. L'histoire nous l'a enseigné : une telle Europe serait une sorte de Société des nations, une ONU au
rabais, aussi inexistante qu'impuissante, sauf lorsqu'un Etat en prend le leadership incontesté. Une telle Europe n'existerait pas... ou bien serait allemande. Que l'on cesse de faire croire que l'on peut être européen en étant anticommunautaire. Il n'est pas d'autre Europe que communautaire.
L'UE se trouve devant la nécessité de conduire l'approfondissement, la démocratisation de ses institutions et, en même temps, de réussir les élargissements. Cette situation nous fait courir le danger d'être entraînés vers une simple zone de libre-échange. Ce serait le triomphe posthume de l'AELE. L'UE se dissoudrait pour n'être plus qu'un simple grand marché ultralibéral, vision britannique de toujours.
Dépasser les contradictions
Nous souffrons, par ailleurs, d'une absence de réflexion et de vision sur ce que nous devons inventer pour accueillir, c'est notre devoir absolu, les peuples de l'autre moitié de notre unique Europe, qui ont enfin retrouvé leur liberté. Cette carence nous fait courir un double risque : celui de nous couper d'eux - ce serait tragique et pourrait, demain, les conduire à regretter la férule communiste devant le visage d'un libre-échangisme inhumain, qui leur est trop souvent proposé; celui de devoir recourir, dans l'avenir, à des élargissements précipités : ce serait trahir les espoirs de ces peuples, car, alors, notre Communauté se déliterait et ne constituerait plus pour eux qu'un mirage.
Il est donc indispensable de dépasser la contradiction existant entre approfondissement, démocratisation et élargissement. Si nous ne voulons pas que l'UE se replie dans l'égoïsme, si nous ne voulons pas qu'elle se délite dans l'élargissement, si nous refusons qu'elle se transforme en une AELE à peine améliorée, nous devons imaginer un système nouveau. Il ne saurait être question d'Europe à la carte, d'une Europe libre-service, où chacun viendrait chercher ce qui l'arrange, au cas par cas ou au coup par coup.
Il faut construire un ensemble cohérent de plusieurs cercles allant s'élargissant : un premier, réunissant ceux qui peuvent et veulent avancer dans la voie d'une Europe politique pratiquant la subsidiarité, démocratique, respectueuse des identités nationales; un deuxième cercle, unissant ceux qui veulent marcher vers la monnaie unique; un troisième, économique; un quatrième, de sécurité et de défense; un cinquième, de coopération diplomatique.
Le centre doit être le noyau dur, le pivot, le moteur de l'ensemble, en même temps que le but à atteindre pour tous. Il n'est pas question d'exclure qui que ce soit, mais il s'agit de progresser et de le faire dans une organisation telle qu'à terme, dès qu'ils le veulent et le peuvent, tous ces pays, sans exception, rejoignent le premier cercle.
Sans doute ne fallait-il pas, à ce stade, désigner nommément et unilatéralement les pays capables d'entrer dans le premier cercle : c'est l'affaire de chaque pays de le vouloir et d'en être capable, mais les députés de la CDU ont eu le courage de rappeler franchement la problématique que beaucoup s'acharnent à fuir. Ils ont eu la volonté de regarder la réalité en face et de tracer un chemin permettant de surmonter l'opposition entre l'approfondissement, la démocratisation et l'élargissement.
* Bernard Bosson, ministre de l'équipement, est le secrétaire général du CDS.