L'ESPAGNE ECARTELEE PAR SES COMMUNAUTES AUTONOMES
LE DEBAT INSTITUTIONNEL MENE-T-IL INEXORABLEMENT VERS UN FEDERALISME A LA BELGE ?
par José Alves
(Le Soir, 27-9-94)
L'avenir de l'Etat espagnol est au centre du débat institutionnel engagé hier, lundi, dans le cadre du Sénat, avec la participation de Felipe Gonzalez et des présidents, de 16 des 17 Communautés autonomes (CCAA) qui constituent, depuis 1980, le modèle décentralisé de l'État des autonomies.
Seul manque à l'appel le » Lendakari - ou président du gouvernement basque, José Antonio Ardanza.» Je ne participe pas à des opérations d'inage, destinées à la galerie , dit-il. Le rôle de star revient ainsi à l'honorable Jordi Pujol, président de la Généralité (gouvernement catalan) depuis 14 ans.
Il s'agira, en tout cas, d'un débat crispé : le fonctionnement de l'État des autonomies laisse beaucoup à désirer dans un pays comme l'Espagne, qui souffre d'un déficit historique de » conscience nationale espagnole et dont la structure plurinationale appelle de plus en plus un modèle fédéraliste.
De toute évidence, la formule du » café pour tous inventée par l'ancien président, Adolfo Suarez, est loin de faire l'unanimité, car les Communautés historiques (Catalogne, Pays basque et Galice) n'ont jamais accepté l'idée de se retrouver un jour ou l'autre sur un pied d'égalité avec les autres CCAA.
Un conflit d'autant plus insoluble que les CCAA, dont l'accès à l'autonomie s'est fait par la » voie lente de l'article 143 de la Constitution de 1978, contestent aujourd'hui les privilèges arrachés par les communautés qui invoquent leurs spécificités historiques, linguistiques et culturelles.
RÉACTIONS NATIONALISTES
C'est l'autre aspect du problème : le développement de l'État des autonomies (transferts de compétences de l'État central au profit des CCAA), a favorisé l'éclatement général de réactions nationalistes, y compris dans des régions comme les deux Castilles, on ne peut plus identifiées avec le centralisme espagnol.
Bref, alors que les Basques et les Catalans invoquent leurs spécificités historiques, linguistiques et culturelles, pour revendiquer le droit d'autodétermination et même l'indépendance, les autres peuples d'Espagne exigent un traitement égalitaire dans le cadre de l'État des automomies.
» Il faut arrêter le plus tôt possible le processus autonomiste , estiment ainsi les responsables du Parti populaire (PP), le parti de la droite espagnole, qui retrouve certains » tics nationalistes , n'ayant jamais apprécié le processus de désintégration nationale introduit par l'Etat des autonomies.
C'est la raison pour laquelle le PP propose un » pacte national en vue d'un partage définitif des compétences (droits et devoirs) entre l'État central et les CCAA, clôturant ainsi le » processus autonomiste , à travers également la signature d'un pacte de loyauté constitutionnelle.
Mais Xavier Arzallus, président du Parti nationaliste basque (PNV), est très clair là dessus, ayant déclaré dimanche dernier, lors de la fête annuelle de son parti : nous ne somnes ni ne serons jamais loyaux à la Constitution espagnole - une déclaration qui contribue aussi à la crispation du débat.
Un débat qui porte notamment sur la transformation du Sénat en chambre territoriale, destinée aux CCAA, ce qui impliquerait une révision constitutionnelle. Ce serait un premier pas vers la création d'un Etat fédéral, calqué sur le modèle belge, à la place de l'Etat des autonomies, estiment les experts.
Mais en attendant, on discute au Sénat le renforcement des pouvoirs des CCAA, en vue notamment d'une » présence institutionnelle à Bruxelles, afin de participer aux négociations qui les concernent directement. De même, il est question de leur attribuer une certaine co-responsabilité en matière fiscale.
Ce dernier point est important: les CCAA ont déjà la gestion directe de 25 % du budget de l'Etat et leurs responsables font preuve souvent de mégalomanie (salaires élevés, multiplication des voyages officiels à l'étranger, etc.) car c'est Madrid qui fixe et recouvre les impôts.
» C'est le royaume du gaspillage et de l'irresponsabilité , dit-on dans les milieux les plus conservateurs, dénonçant aussi le niveau d'endettement des CCAA: en l'espace de 10 ans, il est passé de 55 à 750 milliards de francs, dont plus de 175 milliards correspondent à l'Andalousie et près de 110 milliards à la Catalogne.