SEGUIN: NON AU "NOYAU DUR" FRANCO-ALLEMAND
par Baudouin Bollaert
SOMMAIRE: Le président de l'Assemblée nationale française, lors d'un discours prononcé devant le Conseil de l'Europe, s'est dit pour la » géométrie variable et contre l'Europe » à plusieurs vitesses .
(Le Figaro, 7-10-1994)
Philippe Séguin était hier à Strasbourg, devant le Conseil de l'Europe. Une organisation intergouvernementale, comme il les aime, émanation des Parlements nationaux de trente-deux pays (bientôt trente-trois). Une institution dont la principale raison d'être est de veiller au respect des droits de l'Homme sur le Vieux Continent et qui a servi de lieu, d'accueil privilégié pour les pays d'Europe centrale et orientale après l'effondrement du système communiste.
Depuis sa vigoureuse campagne pour le » non au référendum sur Maastricht, l'Europe inspire régulièrement au président de l'Assemblée nationale des discours et des articles de fond où il aime faire entendre sa différence. Ce fut encore le cas hier. Défenseur passionné de » l'identité nationale et du » principe d'égalité entre tous les Etats membres , il a estimé que les Parlements nationaux ne pourront pas être tenus à l'écart de la grande réforme institutionnelle de l'Union européenne en 1996
» Seuls représentants des peuples souverains, a-t-il dit, leur rôle dans le fonctionnement permanent de l'Union doit être clairement affirmé . Pas un mot sur le Parlement européen et ses 567 élus dont la légitimité, pourtant, n'est pas mise en cause. Mais alors que des eurodéputés seront associés au groupe de travail sur les institutions créé au sommet de Corfou, Philippe Séguin rappelle en privé, pour le déplorer, que rien n'a encore été prévu pour les députés nationaux.
Toujours en privé, il confie qu'un nouveau référendum sera certainement nécessaire pour ratifier les réformes institutionnelles de 1996. Mais il craint un télescopage avec une autre grande échéance : celle de la monnaie unique qui, selon le calendrier du traité de Maastricht, devrait voir le jour soit en 1997, soit en 1999. Il pense donc que la meilleure solution serait de proposer un » paquet d'ensemble aux Français.
Le débat actuel sur l'architecture de la future Europe ? » Je suis pour l'Europe à géométrie variable et contre celle à plusieurs vitesses , précise-t-il. La première repose sur un socle et des projets communs dont Airbus, dit-il, fournit un bon exemple. C'est une Europe intergouvernementale plus que communautaire. La seconde mène à un » noyau dur autour du couple franco-allemand. Or, il n'en veut pas. Pour ne pas accroître les » divisions et les » inégalités qui existent déjà et, aussi pour, ne pas renier la » vocation méditerranéenne de la France .
En fait, dans son discours strasbourgeois, Philippe Séguin a beaucoup emprunté à la vision du général de Gaulle en proposant la création rapide d'un » véritable Conseil de sécurité européen et en prônant une Europe de l'Atlantique à l'Oural où le Conseil de l'Europe et l'Union européenne finiraient par se joindre et, peut-être même, à se confondre .
» Il faut aller, c'est une évidence, vers une organisation de la grande Europe, mais pas n'importe laquelle, a-t-il déclaré. On nous parle de l'Europe à géométrie variable, de l'Europe des trois cercles autour d'un noyau dur. Il est évident que le troisième cercle existe déjà : c'est tout simplement le Conseil de l'Europe. C'est lui qui constitue le cadre privilégié pour des initiatives nouvelles. Il rassemble non seulement les Etats membres de l'Union européenne mais, aussi, les pays candidats et ceux qui aspirent à le devenir .
L'hymne à la Russie
Dans ce schéma, la Russie a plus que jamais sa place. Son adhésion au Conseil de l'Europe, prévue l'an prochain, sera, pour Philippe Séguin, » un signal d'une portée exceptionnelle pour le continent tout entier . Il y voit un prélude à un partenariat plus fort avec l'Union européenne, voire à une adhésion. En cela, il diverge nettement des positions du chancelier Helmut Kohl ou du ministre français des Affaires étrangères ?
» Autant il est illusoire de penser que l'Europe se construira sans l'adhésion profonde des peuples, a-t-il affirmé, autant il est vain d'espérer que l'Europe maîtrisera son destin, accédera à la stabilité et à la démocratisation du continent, sans la Russie et tout ce qu'elle représente.
Dans son premier discours important sur l'Europe - hors émissions de radio ou de télévision - depuis Maastricht, le président de l'Assemblée nationale a donc repris et approfondi les idées qui lui sont chères. Sans lancer de brûlot à quelques mois de l'élection présidentielle. Mais sans renoncer - loin s'en faut - à sa liberté de parole.
Baudouin BOLLAERT