MONNAIE UNIQUE: ENCORE UN EFFORT
Par André Gauron (*)
Libération, samedi 29 octobre 1994
Le Franc, le Mark, la Livre ... ne disparaîtront pas au 1· janvier 1997, comme on l'a laissé entendre tout au long du débat sur le traité de Maastricht. Face aux résistances apparues dans l'opinion publique, certains responsables s'emploient aujourd'hui à amender le déroulement de la troisième phase de l'Union économique et monétaire. Après le président de la Bundesbank, Hans Tietmeyer, qui s'est déclaré convaincu "qu'on pourrait encore payer en marks en l'an 2000", le président de l'Institut monétaire européen, Alexandre Lamballussy, chargé de préparer le passage à la monnaie unique, vient d'affirmer qu'un délai de "plusieurs mois ou de plusieurs années" pourrait bien exister avant sa création effective.
Le passage à la troisième phase, prévu pour le 1· janvier 1997 ou au plus tard 1999, se caractérise pour lui par "l'adoption de changes fixes irrévocables. On ne peut pas le faire à moitié, dit-il. Cela signifie une banque centrale européenne, une politique monétaire, une harmonisation des taux d'intérêt et un marché monétaire global". En revanche, "il ne sera pas nécessaire de changer les monnaies nationales contre leur équivalent en écus". De quoi rassurer ceux qui, en Allemagne mais aussi en France ou en Grande-Bretagne tiennent à payer son pain ou ses cigarettes en marks, francs ou livres.
La monnaie unique peut-elle exister tant que ne circuleront pas partout les mêmes billets ? La réponse, aussi paradoxal que cela paraisse, est oui. Ce que les uns prendront pour un recul est en réalité un immense progrès, la voie du réalisme. En effet, ce dont l'Europe a besoin depuis la mise en place du Système monétaire européen, en mars 1979, c'est d'adosser le mécanisme de change qui lie les monnaies européennes entre elles à une politique monétaire européenne afin de surmonter les contraintes nationales d'équilibre des paiements à l'origine de politiques économiques restrectives. Cela veut dire des parités fixes irréversibles entre les monnaies nationales et une mise en commun des réserves de changes gérées par une autorité unique. Cela nécessité un transfert de compétences des banques centrales nationales vers une banque centrale européenne, qui pourrait décréter qu'à partir du moment où les parités seront devenues irréversibles, elle n'utilisera plus dans ses propres interventions que l'écu. Celui-ci
acquerrait ainsi le statut de monnaie de banque centrale, à la fois monnaie de réserve et monnaie de règlement des paiements internationaux. Bref, l'Ecu, 'monnaie unique externe', coexisterait avec les monnaies nationales pendant toute la durée de la troisième phase. Les écus détenus par la Banque européenne le seraient en contrepartie des réserves de change nationales déposées auprès de celle-ci.
Pour stabiliser le système, il faudra en outre éliminer l'autre source de crise: les créances émises en contrepartie de l'endettement public des Etats. Une défiance à l'égard de la politique financière de tel ou tel Etat très endetté, la Belgique ou les Pays-Bas par exemple, provoquerait une vente de titres qui pourrait rendre les parités intenables. Pour éliminer ce risque, il conviendrait de convertir les créances publiques nationales en titres de l'Union européenne libellés en écus. Ainsi serait créé un marché monétaire global. L'amortissement de cette dette européenne serait assuré par le budget européen abondé en conséquence par les Etats nationaux en proportion de leur part d'endettement (...).
L'opinion publique, mal éclairée en France par des responsables politiques que l'Europe, décidément, ne passione guère, aurait tort de n'y voir qu'un débat de techniciens. L'enjeu n'est pas seulement de hâter la construction européenne. Il est aussi de donner à l'Europe les moyens d'une politique expansionniste sans laquelle il n'y aura pas de vrai recul du chômage. Cela vaut bien encore un effort.
(*) économiste, membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel