LA CHASSE AU NOYAU
par M.G.
(Agence Europe, (EU) Notules, 10-11-1994)
Qui l'a dit en premier, ce mot qui, depuis quelque temps, agite les esprits presque autant que le "F word" (pour fédéralisme) qui avait suscité tant de remous parmi les "eurosceptiques" britanniques ? Est-ce Karl Lamers qui a lancé le premier ce pavé dans la mare, en présentant au Bundestag ses idées sur ce qu'il appelle une "Kerneuropa" ? Que ceux qui se souviennent d'avoir déjà parlé de "noyau" le fassent savoir ! Ils sont certainement nombreux. Pour aujourd'hui, nous en citerons deux, tous deux Français. D'abord, Charles de Gaulle qui, comme le rappelle Alain Peyrefitte dans son livre retraçant ses années de dialogue avec le général, avait dit: "Il faut que l'Europe occidentale s'organise... Il faut commencer par ces cinq ou six pays qui peuvent former le noyau dur, mais sans rien entreprendre qui puisse barrer la route aux autres". Ensuite, Pierre Pflimlin, ancien Premier ministre français et ancien président du Parlement européen. Paul Collowald, qui était son chef de cabinet au Parlement européen, l'a
rappelé lors de la conférence de Karl Lamers à la Konrad Adenauer-Stiftung, jeudi dernier à Bruxelles. Paul Collowald - après en avoir parlé avec Pierre Pflimlin lui-même - a retrouvé dans les comptes-rendus de la session de l'Assemblée consultative du Conseil de l'Europe du 14 septembre 1962, à Strasbourg, les passages où Pierre Pflimlin, en tant que rapporteur de la commission politique de l'Assemblée, disait: "(..) Je pense que nous devons chercher quelque manière de concilier la nécessité de l'élargissement de la Communauté (..) et la nécessité non moins impérieuse de donner à la Communauté la cohésion, le dynamisme et, partant, l'efficacité dont elle a besoin". Liant déjà, dans la perspective du premier élargissement de la Communauté, élargissement et approfondissement (ce qui correspond à l'optique de Karl Lamers), M. Pflimin affirmait: "Je crois que nous devrions regarder ce problème en face, et qu'on devrait étudier ce que j'appelle un système differencié. Il comprendrait, en premier un noyau solide
de pays qui, progressivement, constitueraient une véritable Communauté, fortement structurée (..) D'autre part, autour de ce noyau, on pourrait imaginer que s'articule, selon des modalités qui resteraient à définir, un ensemble de pays qui coopéreraient avec le groupe central dans la mesure où leur situation politique le permettrait".
Dans les propos de M. Pflimlin, on remarque une nuance intéressante: son noyau n'est pas "dur", mais "solide". En fait (et M. Collowald l'a fait remarquer), Karl Lamers utilise aussi, de préférence, le terme "solide" (fest), plutôt que "dur" (hart), alors que nous avons tous eu tendance à parler de "noyau dur". Pour M. Lamers - et pour M. Schäuble -, il est important que ce noyau exerce une attraction "magnétique" sur ceux qui se trouvent autour. Et le président de la Bundesbank, Hans Tietmeyer, s'est exprimé de manière semblable lorsqu'il a dit, la semaine dernière à Londres, qu'un "cercle intérieur" de pays devrait pouvoir aller de l'avant avec l'Union monétaire, et que les autres suivront.
(MG)