LES CONDITIONS D'UNE DEFENSE EUROPEENNE
par André Dumoulin *
(Le Vif/L'Express, 21 octobre 1994)
Le 23 octobre prochain marquera le quarantième anniversaire du Traité de Bruxelles modifié. Certes peu connu, ce document diplomatique signé en 1954 à Paris amendait et complétait le Traité de Bruxelles de légitime défense collective ratifié par la Belgique, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne en 1948, pour une durée de cinquante ans.
Par-delà l'Histoire, ce traité contient surtout les fondements de l'identité européenne de défense et la base de l'Union de l'Europe occidentale (UEO), seule et unique organisation strictement européenne compétente en matière de défense et de sécurité.
Les autorités de l'UEO et les différentes capitales européennes ne choisiront pas la date du 23 octobre pour faire une » grand-messe .
Même ignoré, le quarantième anniversaire du Traité de Bruxelles modifié est cependant davantage qu'un symbole. Aujourd'hui, à l'heure où les problèmes de sécurité abondent et où débutent les débats internes au sein des instances européennes à propos de la conférence intergouvernementale de 1996 sur l'approfondissement de l'Union, l'avenir de l'identité européenne de défense et de l'UEO en particulier sont désormais clairement posés. Les échéances approchent et les experts commencent à s'agiter.
Les conditions spécifiques à l'émergence d'une réelle identité européenne de défense participent toutes du même constat : actuellement, sans une réelle volonté politique d'aboutir dans ces domaines, cette identité restera pour longtemps encore dans les limbes.
Plusieurs conditions doivent être réunies, comme la recherche d'une autonomie européenne en matière d'industries de défense et de maîtrise des technologies. D'autres, relatives à la mise en place des outils opérationnels de l'UEO (Eurocorps, centre satellitaire de Torrejon et satellites militaires européens, cellule de planification, avions de transport stratégique, force aéromaritime européenne et Euro-flotte, force d'action rapide européenne) sont en voie de constitution mais de manière prudente.
Au-delà de ces éléments opérationnels, une des premières conditions est d'aboutir à une clarification des relations entre l'Union européenne et l'Union de l'Europe occidentale. Cette dernière devient une organisation subordonnée et un sous-traitant attendant les instructions de l'Union européenne qui, souvent, tardent à venir. Pire, certains Etats membres de l'Union européenne mais non membres de l'UEO pourraient s'opposer à telle ou telle mission de l'Union de l'Europe occidentale à laquelle Bruxelles doit donner son feu vert. Avec l'élargissement futur de l'Union européenne, ce cas de figure pourrait devenir monnaie courante. Dès lors, il paraît judicieux de soutenir le concept des trois cercles formulé par Edouard Balladur organisant l'Union à géométrie variable et permettant d'avancer en matière de coopération militaire et de défense sans être bloqué ni freiné par certaines capitales européennes.
Sans politique étrangère et sécurité commune, une force armée européenne serait apathique. Mais, même l'interface UEO-UE demande de réelles clarifications et l'adoption de relations à établir, comme il avait été convenu, dans le respect des principes de transparence, de complémentarité et de réciprocité. Cela impose de prendre concrètement des mesures afin de faciliter les contacts, réunions et échanges d'informations entre les présidences, les secrétariats et les groupes de travail des deux organisations européennes et dépasser l'absence actuelle d'analyse commune et de synergie entre ces différents groupes de réflexion et d'analyse.
En attendant l'UEO devra être renforcée. Dès lors, faut-il imaginer d'intégrer finalement l'Union de l'Europe occidentale - dont l'appellation devra être revue, l'Assemblée dissoute et le Traité réécrit - dans le futur Traité de l'Union. Doit-on plutôt placer l'UEO en marge de l'Union européenne en lui permettant de conserver une certaine autonomie pour des raisons d'efficacité et de pragmatisme grâce à l'adoption d'un protocole sur la défense à géométrie variable ?
En attendant les avancées de la conférence intergouvernementale de fin 1996 et l'adoption éventuelle des conditions indispensables à l'émergence d'une réelle identité européenne de défense, - à savoir une clarification des relations entre l'Union européenne et l'UEO, le renforcement du centre de planification militaire de l'UEO encore marginalisé, l'adoption d'un Livre blanc européen, un réel contrôle politique des forces combinées interarmées de l'Otan par les Européens et la signature d'un nouveau Traité global de l'Atlantique Nord -, les différentes capitales européennes vont maintenir leur politique pragmatique en matière de défense et de sécurité. Politique prudente et flexible dictée encore et toujours par un strict intergouvernementalisme et caractérisée par deux orientations : la défense à plusieurs vitesses et les » alliances d'opportunité pour des missions ad hoc.
Ces montages à la carte associant un nombre plus ou moins grand de partenaires selon les circonstances et les missions restent assurément la procédure la plus souple et la moins contraignante en cette période de transition.
(*) Attaché de recherche à l'Institut européen de recherche
et d'information sur la paix et la sécurité (Grip).