M. MITTERAND SOUTIENT M. KOHL ET DESAVOUE
M. BALLADUR A PROPOS DU FEDERALISME EUROPEEN.
par Lucas Delattre
(Le Monde, 2-12-1994)
» Il y a et il y aura de plus en plus une Europe fédérale et intégrée : en prononçant ces mots en présence du chancelier Kohl et d'Edouard Balladur, mercredi 30 novembre à Bonn, François Mitterrand a publiquement désavoué les idées de son premier ministre sur l'avenir des institutions européennes.
Celui-ci, dans un article paru le même jour dans Le Monde, écrivait qu'» une Europe élargie comprenant un plus grand nombre d'Etats ne pourrait être fédérale , et parlait d'une organisation du continent en plusieurs » cercles variables selon les domaines. A Bonn, Edouard Balladur a réitéré son opposition à une organisation fédérale de l'Europe, qui est synonyme, selon lui, de » décisions prises à la majorité , autrement dit d'un danger pour la France de se voir imposer ses choix par des coalitions variables de petits pays.
L'avenir des institutions européennes et la conférence intergouvernementale de 1996 n'étaient pas formellement à l'ordre du jour du soixante-troisième sommet franco-allemand, qui s'est achevé mercredi. Mais l'ensemble de ces sujets a été au centre des discussions en tête-à-tête entre le premier ministre et le chancelier Kohl, mardi 29 novembre. Le parti d'Helmut Kohl, la CDU, s'est récemment prononcé pour une Europe fédérale intégrée autour d'un »noyau dur , une vision qui ne rencontre pas de grandes sympathies chez les gaullistes français. Helmut Kohl - faut-il y voir un signe ? - a dit devant la presse qu'» il n'avait pas encore eu le temps de lire l'article d'Edouard Balladur dans Le Monde .
A Bonn, Edouard Balladur a souhaité que le débat européen ne s'enferme pas » dans les schémas du passé ni dans les » catégories juridiques anciennes sur le fédéralisme ou le maintien de l'Etat unitaire. Le président Mitterrand lui a répondu que » dans ce cas-là, on ne passera nulle part et que » l'histoire de l'Europe est quelque chose de beaucoup plus confus .
» La vérité est dans une synthèse entre les deux théories selon les sujets empruntés , d'après François Mitterrand, visiblement satisfait d'intervenir dans une dispute interne à la majorité. Evoquant les » différences de théorie entre Edouard Balladur et le chancelier Kohl ainsi que » la manière dont monsieur le premier ministre pourrait s'arranger avec les Allemands , François Mitterrand a indiqué, non sans une certaine délectation, que » la question pourrait être posée dans le débat entre Français : c'est d'ailleurs là que réside la principale difficulté .
Les dirigeants de Bonn ne souhaitent pas s'immiscer dans ce débat qu'ils considèrent, eux aussi, largement franco-français. Leur philosophie en la matière est toute faite. C'est celle, selon le chancelier Kohl, d'un » fédéralisme moderne articulé autour de trois concepts : la région, la patrie, l'Europe. » Le fédéralisme ne pose pas de problème aux Allemands : il leur suffit d'ajouter un étage à leurs propres structures étatiques , analyse un diplomate français. » Nous relativiserons la discussion sur le fédéralisme en insistant davantage, au cours des prochains mois, sur la subsidiarité et la dérégulation , indiquait un haut fonctionnaire allemand à l'issue du sommet.
La partie la plus immédiate du sommet était consacrée à la situation en Bosnie. Contrairement à la volonté exprimée par son parti en début de semaine, le chancelier Kohl n'a pas exprimé une seule fois la volonté de lever l'embargo sur les armes à destination des Bosniaques. » La solution du conflit ne se décidera pas sur le champ de bataille , a déclaré le chancelier, avant tout soucieux de ne pas remettre en cause la solidarité européenne. A l'adresse de son opinion publique, comme ailleurs révulsée par l'horreur de la guerre, le chancelier a dit que les événements de Bihac étaient » le dernier avertissement et qu'il était » minuit moins une .
LUCAS DELATTRE